MosaikHub Magazine

« Un régime présidentiel à l’américaine  ? Ce serait l’horreur  ! »

mardi 5 novembre 2019 par Charles

Nous avons demandé au constitutionnaliste Denys de Béchillon de lire le dernier ouvrage de François Hollande. Il se montre critique. Propos recueillis par Florent Barraco
Publié le 03/11/2019 à 15:00 | Le Point.fr

Dans son dernier livre, François Hollande plaide en faveur d’un régime présidentiel.
© Estelle Ruiz / NurPhoto
Profitez de votre abonnement à 1€ le 1er mois !

François Hollande a encore fait parler de lui. Depuis sa renonciation, en décembre 2016, l’ancien président de la République continue de commenter l’actualité politique et de décocher des flèches contre son ex-ministre qui lui a succédé à l’Élysée. Dans un livre, Répondre à la crise démocratique, François Hollande plaide pour une vaste réforme constitutionnelle : il propose d’allonger d’une année la durée du mandat présidentiel, six ans renouvelables une fois, et de réduire à quatre ans celui des parlementaires. Dans diverses interviews, il a également répété son idée de supprimer la fonction de Premier ministre. Nous avons demandé à Denys de Béchillon, agrégé de droit public, professeur à la faculté de droit de Pau, responsable du comité scientifique du Club des juristes et chroniqueur au Point, de lire l’ouvrage de l’ex-chef de l’État. Il porte un regard critique sur les propositions de François Hollande.
Le Point : En quoi le livre de François Hollande est-il original ?

close
volume_off

Denys de Béchillon : Prises une à une, ses propositions ne sont pas décoiffantes : on parle depuis belle lurette de supprimer la fonction de Premier ministre ou de mettre en place une responsabilité politique du président de la République ; il y a des mois que François Sureau a réhabilité l’idée de redonner une durée différente aux mandats présidentiel et parlementaire pour permettre une expression ordonnée de l’éventuel désaccord des populations en cours de route. Rien de tout cela n’est bien nouveau en soi. Ce qui, en revanche, présente un relief particulier, c’est que ce soit l’héritier majeur du socialisme français qui plaide pour le passage à un régime présidentiel à l’américaine, fût-il aménagé, et qu’il en profite pour exécuter quelques vaches sacrées dans sa propre famille. Je pense, par exemple, à l’exigence d’un mode de scrutin proportionnel pour les élections législatives.
Que pensez-vous des propositions constitutionnelles de François Hollande, le quinquennat remplacé par un mandat de six ans pour le président de la République et des députés élus pour quatre années  ?

Je ne suis pas enthousiaste. Primo, je continue de me méfier, surtout après l’épisode des Gilets jaunes, de tout ce qui donne à penser que la France irait mieux si elle avait une autre Constitution. François Hollande reste mesuré sur la portée sociétale de ses propositions. Mais c’est quand même sur ce terrain qu’il juge utile de prendre la parole. On ne peut pas faire abstraction de ce choix.
Gardons la bonne distance avec la critique institutionnelle. Il n’est démontré nulle part qu’un autre modèle saurait, par sa vertu propre, résoudre mieux les vrais problèmes des Français, créer des millions d’emplois, élever le pouvoir d’achat, annihiler la dette, restaurer la civilité dans les banlieues, empêcher le blocage des trains ou fabriquer l’amour du prochain. Quant à la rupture de la confiance du peuple envers ses dirigeants, je voudrais bien qu’on me montre une démocratie de taille comparable ou supérieure à la nôtre dans laquelle cet écueil ne se présenterait pas.
Secundo, je suis troublé par un trait central du propos. François Hollande a, plus que d’autres, souffert de ses « frondeurs », c’est-à-dire de l’infidélité immature de sa propre majorité. Il sait très bien que le plus grand obstacle opposé à la réalisation du programme sur lequel un président de la République s’est fait élire au suffrage universel vient précisément de la difficulté qu’il y a à gérer « ses » troupes, notamment en raison de l’hétérogénéité idéologique des partis de gouvernement. Il voit dans quelles ornières nous ont menés les formes débridées du parlementarisme. Il déclare même les rejeter et se justifie bien d’avoir dû recourir à l’article 49.3 pour faire passer des réformes à ses yeux nécessaires… Et pourtant, le cœur de son système consiste d’une certaine manière à fuir en avant, c’est-à-dire à proposer un renforcement majeur de l’Assemblée et, par ailleurs, à faire disparaître une bonne partie des contrepoids que la Ve République avait disposés (le droit de dissolution, la responsabilité politique du gouvernement, etc.). Le souhaitable à ses yeux ? « L’exécutif ne peut [...] plus faire pression sur le Parlement : il doit désormais composer avec lui. » (p.70)

Cela pose problème  ?
Peu importe que François Hollande préfère la délibération collective à la chefferie napoléonienne. C’est son droit et c’est, pour le coup, le credo de sa famille politique. Le problème vient de ce que l’on ne voit pas ce qui fait qu’un Parlement redevenu très omnipotent renoncerait tout à coup à ses démons et se rendrait naturellement responsable, mûr, coopératif, compétent, moins politicard, etc. Le système promu par notre ancien président ne peut pas fonctionner sans une transmutation de cet ordre, mais il ne nous explique pas pourquoi elle aura lieu. Il postule son avènement, comme une sorte de conséquence nécessaire de la prééminence parlementaire retrouvée. Mais on est en droit de ne pas y croire. Notre histoire montre plutôt que cela n’arrive jamais, en tout cas pas de manière durable. Jusqu’ici, les assemblées, lorsqu’elles ont été laissées toutes-puissantes, se sont bien plus souvent montrées faibles, lâches et peu responsables que sages et héroïques.
Il faudrait donc prendre d’immenses précautions et disposer (autrement) de solides garde-fous si l’on voulait injecter au Parlement la dose de pouvoir massive que suppose le système hollandien. Mais on ne les voit guère. Plus encore, il faudrait hausser le niveau de jeu, si je puis oser cette métaphore sportive. Cela requerrait de se préoccuper de la qualité du recrutement, de l’attractivité de la fonction pour nos concitoyens les plus capables et les plus talentueux, de leur sélection au sein des formations politiques… J’en passe et des meilleures. Or, de tout cela – qui, je le répète, appellerait un ambitieux programme de fond –, notre auteur ne dit à peu près rien. Le recul montre pourtant que la prohibition du cumul des mandats n’a pas suffi à transfigurer le paysage et qu’il reste un long chemin à parcourir, quoi qu’il en soit de la spécificité de tel ou tel parti.

Bref, je trouve qu’il y a trop de vœux, de paris ou, si l’on préfère, pas assez de pessimisme raisonné ni vraiment de rigueur dans le système institutionnel proposé par François Hollande. Il me semble avoir pris trop de distance avec le postulat essentiel des Lumières selon lequel les institutions doivent être pensées pour fonctionner malgré l’absence de vertu – toujours possible – de ceux qui détiennent le pouvoir.
Lire aussi Marylise Lebranchu : « Nicole Belloubet doit tirer les conséquences de son comportement »
Ce que propose François Hollande, pour résumer, c’est un régime présidentiel à l’américaine. La France est-elle prête pour ce système  ?
Je n’ai aucune raison de penser que ce régime soit objectivement meilleur que le nôtre. Et, même à supposer qu’il le soit, je n’ai pas plus de raisons de croire que nous vivrions mieux sous son empire. Plutôt le contraire. Voyez l’impeachment de Trump. Ça nous amuse, vu d’ici. Mais nous devrions y regarder à deux fois et nous détacher du contexte avant de nous pâmer. Imaginez un processus comparable chez nous avec, cette fois, un président estimable, qui n’aurait rien fait de gravement répréhensible mais qui se trouverait en butte à l’hostilité haineuse d’une fraction malveillante du Parlement, bien décidée à lui rendre la vie impossible en instrumentalisant une maladresse mineure qu’elle parviendrait à monter en épingle. Il ne faut pas rêver : ce serait l’orgie. Du Benalla à la puissance mille. Avec comme résultat assuré la cannibalisation du débat public et une stérilisation à peu près totale de l’action politique. On ne parlerait plus que de ça, et l’exécutif ne pourrait plus travailler « normalement » au bien du pays. Ce serait l’horreur : le fond du bout de la société du spectacle dans ce qu’elle a de pire. Autrement dit, le problème n’est pas de savoir si nous avons assez mûri pour vouloir et assumer un régime présidentiel. Il est plutôt de constater que nous avons suffisamment régressé pour vouloir le type de vie politique qu’il porte dans ses bagages.
François Hollande a-t-il raison de constater les failles de la Ve après la fin du septennat  ? Aujourd’hui, le Premier ministre n’a plus guère d’utilité...
Autant je crois rétrospectivement que le passage au quinquennat était une lourde erreur, autant je reste persuadé que la fonction de Premier ministre n’est pas inutile. Même en période normale de coïncidence des majorités, il n’est pas mauvais d’avoir à discuter un peu aux plus hauts sommets de l’État. Il existe une hiérarchie claire, bien sûr, entre les deux hommes, mais elle n’empêche pas le président d’avoir à convaincre, à négocier, à en rabattre parfois. Et puis la Constitution exige dans d’assez nombreux cas qu’ils se mettent vraiment d’accord… L’isolement au pouvoir n’est jamais satisfaisant et ce dialogue contraint a du bon, même quand il est difficile. En outre – mais c’est aussi un paradoxe de la pensée de François Hollande –, on peut difficilement regretter que « tout » remonte jusqu’au chef de l’État et vouloir supprimer dans le même temps une des sources importantes de la dilution de ce « tout », vu que Matignon en traite quand même une bonne part. Il est vrai que les choses seraient plus « claires » s’il n’y avait pas de Premier ministre, mais, dans le fond, quelle importance ? Et qui se soucie vraiment de ce prétendu défaut de clarté ? Je serais sensible à une démonstration dont il résulterait que le système cafouille parce qu’il est dyarchique. Mais ce n’est pas ce que je lis, ni d’ailleurs ce que je vois. Ajoutez à cela que l’on peut continuer de trouver bon de maintenir le chef de l’État encore un tout petit peu à l’abri des jeux parlementaires. Le Premier ministre a la charge d’animer et de diriger la majorité, quitte à y laisser sa tête si la responsabilité de son gouvernement est engagée ou que le président estime nécessaire d’en faire son fusible. Je ne suis pas sûr que ce soit tellement inutile, ni tellement pernicieux.
Quelles pourraient être les pistes d’une nouvelle réforme constitutionnelle pour toiletter la Ve République  ?
Je regrette qu’il ait fallu abandonner l’excellente inspiration du projet initial de l’actuelle réforme qui consistait, d’une part, à concentrer le plein travail législatif sur les seules questions de principe et à traiter le reste en commission, voire par ordonnance, et, d’autre part, à renforcer drastiquement la fonction d’évaluation du Parlement sur les textes qu’il a déjà votés. Une des nombreuses raisons pour lesquelles on fait beaucoup trop de lois dans ce pays vient de ce qu’on ne cherche pas assez à savoir ce qu’ont vraiment donné les précédentes afin de se déterminer sur les vraies leçons de l’expérience.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie