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Donald Tusk : « J’en ai marre d’être le bureaucrate en chef »

jeudi 21 novembre 2019 par Charles

Le nouveau président du Parti populaire européen (PPE) se dit « prêt à combattre ». Les populistes, d’abord. Mais Macron devrait aussi se méfier des uppercuts du Polonais. Par Emmanuel Berretta

« Depuis cinq ans, j’en ai marre d’être le bureaucrate en chef. Je suis prêt à combattre. J’espère que vous l’êtes aussi. » C’est par ces mots offensifs que Donald Tusk a achevé son premier discours de président élu du PPE (Parti populaire européen), mercredi à Zagreb, à l’issue du congrès de la grande famille des chrétiens-démocrates européens. Il s’adressait à ses troupes au terme d’une élection qui n’en était pas une puisqu’il était le seul candidat à la succession du Français Joseph Daul. Avec 93 % de voix, Tusk réalise un score soviétique que dans sa jeunesse agitée, dans les rangs de Solidarnosc, il aurait dénoncé avec véhémence.
Avec Tusk (prononcez « tousk »), le PPE change de style. Daul n’aimait que l’ombre, les coulisses, les coups de fil aux dirigeants européens. Il travaillait l’Europe par le haut en tirant les ficelles. Son successeur annonce la couleur : retour au peuple, à ses préoccupations sécuritaires, à sa soif de dignité, de reconnaissance, par la prise en compte de ses problèmes et son aspiration à être de quelque part tout en appartenant à une communauté plus vaste.

La paix des braves avec Macron  ?
Sa formule « je suis prêt à combattre » vaut avertissement pour ses adversaires désignés, en premier les nationalistes et les populistes. Soit tous ceux qui promettent et manipulent l’opinion, en surfant sur le sentiment d’insécurité, de « reprendre le contrôle » (« take back control », la formule des brexiters) ou de retrouver la grandeur de leur pays (le fameux « make your country great again ») de Donald Trump.
Toutefois, Emmanuel Macron, qui n’a eu de cesse de taper sur le PPE et son « immobilisme » supposé, devrait également se méfier des uppercuts du Polonais Tusk. Si les formules rhétoriques du président français font souvent mouche, il trouvera en Tusk un adversaire à sa taille. Les tweets au rasoir du Polonais valent bien les longues interviews du chef de l’État français dans la presse. Jusqu’ici président du Conseil européen, Tusk était tenu à une certaine réserve diplomatique. Dès aujourd’hui, cela n’est plus le cas. Et Macron sera dans le viseur aussi longtemps qu’il n’aura pas compris que le PPE n’est plus un adversaire de la campagne des européennes passée mais un partenaire incontournable de la nouvelle majorité composite qui structure le paysage politique européen pour les cinq ans à venir. Le groupe Renew Europe, celui des macronistes et des libéraux de toute tendance, n’a pas supplanté le PPE à Strasbourg. Désormais, il est indispensable de ranger les querelles et de travailler ensemble, avec le troisième pilier, les sociaux-démocrates.

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Chacune des trois grandes familles politiques doit balayer devant sa porte avant de juger l’autre. Les sociaux-démocrates souffrent de compter dans leurs rangs les socialistes roumains, extrêmement corrompus et prêts à s’amnistier eux-mêmes. Les libéraux font confiance à Andrej Babis, soupçonné de corruption et qui soulève la rue en Tchéquie contre lui. Enfin, le PPE n’en finit plus de ses démêlés avec Viktor Orban, jamais avare d’une provocation contre la Commission et certaines libertés publiques, sans compter l’enrichissement rapide de ses proches sur des fonds européens.
Donald Tusk n’a pas esquivé le sujet, hier, dans son discours. « Nous ne sacrifierons pas des valeurs telles que les libertés civiques, l’État de droit et la décence dans la vie publique sur l’autel de la sécurité et de l’ordre. (...) Celui qui est incapable de l’accepter se met de facto en dehors de notre famille. » Viktor Orban, dont le parti est soi-disant « suspendu » au sein des instances du PPE, est indirectement visé. Le Polonais souhaite mettre fin à ce débat interne « aussi rapidement que possible » sur une « conclusion évidente ». Le nouveau président du PPE aura-t-il vraiment les coudées franches  ? Prendra-t-il le risque d’une scission du PPE  ? Viktor Orban, qui soutient Ursula von der Leyen, rentrera-t-il dans le rang sous la menace réelle d’une expulsion  ?

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L’Europe est trop souvent ennuyeuse dans sa communication. Donald Tusk promet de réveiller l’attention du public par un verbe haut et sensible. Il invite ses troupes à faire de même : « Ne craignez pas de dire en public ce que vous ressentez vraiment (même si vous pensez, quelquefois, que c’est une expérience dangereuse) et vous évoquerez sûrement les émotions des gens et vous capterez leur attention. »
Le public français connaît mal cet homme de 62 ans, né à Gdansk. Diplômé d’histoire en 1980, il consacre son mémoire à Jozef Piłsudski, une figure politique et militaire polonaise qui lutta contre la Russie pour l’indépendance de la Pologne. Le régime repère cet « agitateur », lequel fonde un mensuel clandestin prônant le libéralisme économique, mais il reste un catholique polonais et, plus tard, son parti, la Plateforme civique, se déclare contre le mariage gay et pour un strict contrôle de l’avortement. En tout cas, son anticommunisme lui vaudra quelques jours d’incarcération juste avant que le régime communiste ne décrète une amnistie. Varsovie ostracise ce jeune opposant, à l’époque chevelu. Ne pouvant exercer une profession intellectuelle, il en vient à intégrer une coopérative ouvrière pour peindre des cheminées industrielles en équipement d’alpiniste.

Tusk, le « hooligan »
Ses ancêtres, issus de la minorité kachoube, frontalière de l’Allemagne, avaient déjà payé un lourd tribut à l’histoire tragique de la Pologne. Accusés par les nazis puis les communistes d’être déloyaux, les Kachoubes sont persécutés. Le grand-père de Tusk, un cheminot, est déporté dans un camp de concentration, puis engagé d’office par la Wehrmacht pendant la Seconde Guerre mondiale. Il aurait déserté pour rejoindre l’armée libre polonaise, à l’Ouest. À l’âge de 14 ans, Donald Tusk perd son père, charpentier de son état. Sa mère subvient aux besoins de la famille en occupant un emploi dans un hôpital. Le jeune Tusk se passionne pour le football, au point d’envisager une carrière professionnelle… Supporteur inconditionnel du Lechia Gdansk, il se décrit lui-même comme un jeune « hooligan errant dans les rues à la recherche d’une baston ».
La baston, le regard intense de Tusk semble la chercher encore quand on découvre ses tweets tranchants. À Donald Trump, il décoche, à la veille d’un sommet de l’Otan : « Chère Amérique, considérez mieux vos alliés. Après tout, vous n’en avez pas tant que ça. » Quand, en mai 2018, le président américain rompt l’accord sur le nucléaire iranien, Tusk persifle : « Avec des amis comme ça, on peut se passer d’ennemis. » En février 2019, il s’interroge par tweet : « Je me demandais à quoi ressemblerait cet endroit spécial en enfer pour ceux qui ont promu le #Brexit sans même un plan pour le mener à bien en toute sécurité. » Boris Johnson est évidemment visé…
Le refus du Brexit
Le refus du Brexit est l’une des lignes de force de la présidence Tusk au Conseil européen. Jusqu’au bout, il s’est revendiqué du camp des « rêveurs » qui espèrent encore que la sortie de l’UE par le Royaume-Uni est évitable. Au point d’agacer la diplomatie française, qui lui reproche de « sortir de son rôle ». Donald Tusk, germanophone, a appris l’anglais pour diriger le Conseil européen. On affirme qu’il rédige lui-même ses discours, toujours très clairs et à la rhétorique implacable. Il semble toutefois que son chef de cabinet, Piotr Serafin, ne soit pas étranger à ce style tout en malice.
Cependant, le Polonais, pendant près de sept ans Premier ministre (de novembre 2007 à septembre 2014), n’a rien pu faire contre l’évolution de son propre pays vers un régime de type autoritaire. Les ultraconservateurs du PiS viennent d’être confortés par une nouvelle victoire aux législatives du 13 octobre. Avec 43,59 %, le PiS a largement devancé la Coalition civique (27,40 %). Tusk n’est pas prophète en son pays... Le PPE lui offre un territoire plus grand, l’Europe tout entière, à évangéliser.


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