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L’opposition déloyale

mardi 26 novembre 2019 par Charles

Publié le 2019-11-25 | Le Nouvelliste
En Haïti chacun vit son lot de fantasmes face au pouvoir. Le président en place rêve toujours de tout avoir et de désigner son successeur. L’opposition n’attend même pas que l’élection s’achève pour contester la victoire du vainqueur, quel qu’il fût. Et elle est toujours prête à empêcher la tenue des prochaines élections.
Duvalier et les mille tentatives de le renverser. Aristide et les coups d’Etat de Roger Lafontant et du général Raoul Cédras avant sa première année. Aristide encore et la Convergence démocratique et le Groupe des 184. René Préval qui doit cohabiter avec Lavalas lors de son premier mandat et avec l’opposition entière pendant le second. Michel Martelly qui livrera une partie de ses prérogatives au Parlement pour pouvoir gouverner. Jovenel Moïse qui en fera autant alors qu’il est contesté par une partie de l’opposition bien avant sa prestation de serment.
La crise que nous vivons de nos jours s’inscrit dans la suite de nos différents épisodes depuis 1957 au minimum. Chacun a ses convictions et cela suffit pour lancer un destin politique en marge de la loi et des intérêts de la population.
Les oppositions en Haïti ne sont pas loyales envers les règles démocratiques. Aucun président ces dernières années, même les présidents provisoires, n’a pu gouverner le pays en toute tranquillité. Notre régime politique n’est pas mis sur un piédestal.
L’opposition officielle qui devrait dérouler ses arguments au Parlement est souvent dans le silence ou dans l’outrance ou encore dans les rues et tous les perdants se liguent contre l’élu. Rarement le débat, le dialogue, la guerre des arguments tiennent le haut de l’actualité. L’ultimatum est le premier mot de la conversation politique en Haïti.
Se presser de faire partir le président en poste est un sport national, et comme tous les présidents, même ceux « à vie », finissent toujours par partir, la Fédération nationale des opposants refuse des membres tant ils sont nombreux ceux qui veulent tenter leur chance et prendre d’assaut la chaise bourrée.
Il y a toujours un prétexte ou une raison objective qui pousse à la sédition ou à sortir des rails démocratiques, jamais une raison pour porter les forces politiques à s’entendre sur la gouvernance du pays. Il faut dire que si le pouvoir intéresse tout le monde, gouverner est le cadet des soucis de nos politiciens. On se rêve en roi. Pas en empereur pour finir comme Dessalines, mais en monarque comme celui du Nord, Henri 1er. Pour faire dans le grandiose, par le travail forcé s’il le faut, pour ériger à sa guise un royaume. A sa gloire et selon ses propres règles surtout.
En face, les élus manquent de pédagogie, ne travaillent pas pour donner sa chance à la démocratie, ne vendent pas la valeur de l’Etat de droit à la nation. Quand enfin un responsable haïtien demande de respecter son mandant et la loi, c’est toujours pour se défendre, rarement pour proposer le meilleur à la nation.
La démocratie n’est pas la seule route sur terre pour les régimes politiques. Ce mécanisme complexe et coûteux peut nous échapper un jour si nous continuons à refuser de faire ce que préconise Ricardo Seitenfus : le bilan du passé pour en tirer les leçons et les conséquences et un pacte pour l’avenir qui embrigade tous les signataires à respecter les règles du jeu démocratique et à défendre le choix fait.
Au pays d’« un jour pour le gibier, un jour pour le chasseur », des fois la roue tourne et le pouvoir est renversé. S’ensuit une nouvelle bataille entre les joueurs d’hier qui changent de camp. Reste l’éternel problème de la légitimité, rarement réglé, et source de nouvelles joutes pour le pouvoir.
Les oppositions déloyales sont tout aussi dangereuses que les présidences royales. L’une fait le lit de l’autre avec une régularité consternante en Haïti.

Frantz Duval
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