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Prise de possession des sites de Varreux par l’Etat, l’analyse de Me Patrick Laurent

mardi 26 novembre 2019 par Charles

Publié le 2019-11-25 | Le Nouvelliste
La prise de possession des sites de Varreux par l’État haïtien interpelle plus d’un et la question qui est sur toutes les lèvres : « Est-ce un acte légal ou arbitraire ? ». Une telle question peut-être répondue à la lumière du contrat, pour comprendre les modes de résolutions de conflit prévus dans le contrat, examiner les conditions de résiliation et résiliation anticipée du contrat, la nature du contrat, les lois applicables notamment la loi fixant les règles générales relatives aux marchés publics et aux conventions de concessions d’ouvrage de service public, arrêté régissant les modalités d’application de la loi fixant les règles générales relatives aux marchés publics et aux conventions de concessions d’ouvrage de service public ; cahier des clauses administratives générales aux conventions de concession d’ouvrage de service public ;
Mode de résolution de conflit prévu dans le contrat des parties
L’État haïtien, l’Électricité d’État d’Haïti et la Société générale d’énergie S.A (SOGENER) ont conclu un accord d’achat d’Electricité en date du 3 trois février 2006. S’agissant de mode de résolution de conflit, les Parties conviennent d’aller en arbitrage conformément aux articles 23-1, 23-2 qui se lisent ainsi « En cas de contestation les deux parties essaieront de trouver une solution à l’amiable dans les trente jours (30) suivant une notification de l’une ou de l’autre des parties ».
Au cas où les différends s’élèveraient entre le fournisseur et l’EDH et/ou l’État d’Haïti, les parties conviennent de recourir à l’arbitrage. La partie la plus diligente adressera à la partie adverse une lettre recommandée avec accusé de réception contenant l’exposé du litige ;
Art 23-2 Tous différends découlant du présent seront tranchés définitivement et sans appel suivant le règlement d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale de Paris par (03) Arbitres nommés conformément à ce règlement …..
L’existence d’une clause compromissoire dans un contrat (clause d’arbitrage) rend le juge Etatique incompétent pour trancher un différent découlant du contrat à moins que la clause serait déclaré nulle. Ainsi donc, le Doyen est incompétent pour entendre une affaire relative aux parties contractantes voire rendre une ordonnance sur la question à moins qu’il s’agisse d’un exequatur pour permettre l’exécution de la sentence arbitrale ; l’article 959-7 du code de Procédure civile : « Lorsqu’un litige dont un tribunal arbitral est saisi en vertu d’une convention d’arbitrage est porté devant une juridiction de l’État, celle-ci doit se déclarer incompétente.
Si le tribunal arbitral n’est pas encore saisi, la juridiction étatique doit également se déclarer incompétent à moins que la convention d’arbitrage ne soit manifestement nulle. »
Vu sous cet angle, on serait tenté de dire que la décision du Doyen d’ordonner à l’État haïtien de prendre possession des sites de Varreux est illégale et arbitraire d’une part ;
Résiliation de plein droit ou anticipée du Contrat entre l’État haïtien, EDH/SOGENER
Résiliation de plein droit
La nature du contrat
A l’analyse il est de toute vraisemblance qu’il s’agit d’un contrat de convention de concession d’ouvrage de service public (puisque la production et la vente de l’énergie électrique (loi 18 juin 1948) et la distribution du courant sont le monopole de l’État,).
L’article 4 -13 de la loi du 10 juin 2009, fixant les règles générales relatives aux Marchés publics et aux Conventions de concession d’ouvrage de service public, définit en ces termes la convention de concession d’ouvrage de service public : « Contrat administratif par lequel un opérateur privé signataire, le concessionnaire, est choisi par une autorité concédante en vue de la construction et de l’entretien à ses frais d’un ouvrage de service public moyennant son exploitation à titre onéreux et son transfert à l’autorité concédant à l’expiration du terme » Donc à la signature d’une telle convention il s’était entendu qu’à l’expiration du contrat les sites de Varreux seront transmis à l’État, ainsi que les matériels et équipements.
L’art 9.4 du contrat liant les parties prescrit ce qui suit : afin de satisfaire aux exigences du présent contrat, les matériels et équipements fournis et installés par le fournisseur sont et resteront la propriété de l’EDH A LA FIN DU PRESENT CONTRAT (Les équipements sont énumérés dans le contrat)
Cependant on n’est pas encore à la date d’expiration du contrat, l’État ne saurait rentrer en possession du site et des équipements. Ce faisant, cet acte pourrait être taxé d’illégal et arbitraire. Ce qui laisserait croire que l’État aurait agi de façon prématuré.
Résiliation anticipée du contrat (avant expiration)
Néanmoins l’État, en vertu de l’article 22 du cahier des clauses administratives générales applicables aux conventions de concession d’ouvrage de service public, pourrait résilier le Contrat avant terme pour manquement grave du concessionnaire. Les manquements graves sont :
Méconnaissance systématique des stipulations contractuelles dans l’exécution technique ;
Abandon ou interruption du service concédé pour des motifs imputables au concessionnaire, même si ces faits sont dus à des difficultés financières ;
Utilisation d’outillages ou d’installations défectueux ;
Non-paiement de la redevance due au concédant dans les délais ;
Fraudes et/ou malversations reconnues par le concessionnaire ou établies par décision de justice ;
En effet, lors même que l’État aurait reproché le concessionnaire de manquement grave, il est tenu de mettre le concessionnaire en demeure de satisfaire à ses obligations par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai x. Passé ce délai, si le concessionnaire n’a pas obtempéré l’État serait en droit de résilier le contrat.
En effet, la SOGENER, depuis environ un mois, n’a pas produit du courant électrique, ce comportement pourrait être considéré comme un manquement grave ; il s’agit d’une interruption dans le service concédé qui donnerait droit à l’État de résilier avant terme le contrat. Dans ce cas il reviendrait à l’État de constater l’interruption du service et de mettre SOGENER en demeure (sommer) de reprendre la production dans un délai de -------- (art 22 cahier des clauses administratives générales applicable aux conventions de Concessions d’ouvrage de service public)
Dans l’hypothèse où SOGENER n’a pas été mis en demeure (sommation) de reprendre la production. L’État ne devrait pas résilier le contrat et prendre possession des sites et des équipements. Ce faisant, il va trop vite en besogne, son acte pourrait être considéré comme illégal et Arbitraire.
Il importe de noter que la plainte au parquet de l’État haïtien contre la SOGENER est une action autonome. Elle n’a pas pour vertu d’obtenir la résiliation du contrat. Donc nonobstant la plainte, la convention des parties garde son plein et entier effet et ne préjudicie nullement à une éventuelle procédure de résiliation.
Patrick LAURENT av
Documents consultés
- L’Accord entre l’État haïtien, EDH et SOGENER
- Décret portant réforme du livre IX DU Code de procédure sur l’arbitrage, Moniteur 3 avril 2006 ;
- Loi du 18 juin 1948 faisant de la production et de la vente de l’Énergie électrique un monopole de l’État ;
- Loi fixant les Règles générales relatives aux marchés Publics et aux conventions de Concession d’ouvrage du service public, du 10 juin 2009, Moniteur 28 juillet 2009 ;
- Arrêté précisant les modalités d’Application de la loi fixant les règles générales relatives aux marchés publics et aux Conventions de concession d’ouvrage du Service Public du 26 octobre 2009, moniteur 4 novembre 2009 ;
- Cahier des clauses administratives générales applicables aux conventions de concessions d’ouvrage du service public ;

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