MosaikHub Magazine

Dany Laferrière, ou l’invitation au voyage par et dans l’art

vendredi 6 décembre 2019 par Charles

L’écrivain Dany Laferrière

Valérie Lessard
Publié le 24 novembre 2019
Avec son plus récent titre, Vers d’autres rives, Dany Laferrière remet l’art au coeur de la vie de tous les jours et convie le lecteur à décloisonner le temps pour se réapproprier le droit d’imaginer et de créer.
Un jour je suis entré dans un tableau et je m’y suis perdu. Un voyage vers d’autres rives, écrit Dany Laferrière en lettres attachées à travers un vibrant entrelacs de branches fleuries et d’oiseaux dans lequel on peut aussi apercevoir sa silhouette portant noeud papillon et veste verte.
Il avait 16 ans, à l’époque, et c’était lors d’une de ses nombreuses visites dans un musée de Port-au-Prince où il se pointait tous les jours, au point de passer plus de temps dans cet univers rêvé que dans le monde réel, peut-on lire.

Dany Laferrière évoque les peintres et poètes qui ont façonné son imaginaire à l’adolescence.
Photo : Gracieuseté des Éditions du Boréal
Toutes ces heures passées en compagnie des peintres, des poètes et de leurs oeuvres ont illuminé son adolescence et lui ont apporté un sens du volume, un sens des couleurs, un rapport direct avec les sensations et, surtout, un art du récit, soutient-il en entrevue.
Il présente ainsi les tableaux de Wilson Bigaud et de Jean-René Jérôme, ou encore les poèmes de René Depestre et de Roussan Camille.
Tous les gens que j’ai connus durant cette époque-là n’avaient pas du tout une distance avec l’art. [...] Ils n’essayaient pas d’expliquer les oeuvres qu’ils faisaient. Ils les faisaient tout simplement, comme on peut faire d’autres gestes de la vie.
Dany Laferrière, écrivain
Ces autres gestes du quotidien, c’est notamment ceux de l’omniprésente, de la prégnante Da, sa grand-mère, toujours là dans Vers d’autres rives, en arrière-plan, sa tasse de café à la main. Da auprès de qui il s’est ouvert au monde, à observer sa manière de faire la soupe au poisson et d’échanger avec les gens, auprès de qui il a développé son aptitude à regarder la mer et les fourmis pour y voir le beau.

La grand-mère de l’écrivain, Da, et sa tasse de café sont de retour dans ce nouveau titre.
Photo : Gracieuseté des Éditions du Boréal
L’académicien originaire d’Haïti affirme que pour toucher à ces autres rives, baignées par l’imaginaire des créateurs et par le sien, il suffit d’une très grande concentration, comme seuls les enfants savent en avoir, précise-t-il. Ce n’est pas ce qu’on a fait qui est le plus important, c’est cette concentration, cette façon de s’échapper.
Quand on regarde un enfant qui se concentre sur une feuille de papier et qui tente de faire un oiseau, on se demande dans quel but. Est-ce pour voler ? Et c’est précisément ça : on a l’impression qu’il finit par voler. Souvent, la distance qu’on a mise entre l’art et la vie me semble fallacieuse.
Dany Laferrière, écrivain
Du moins, cette distance, il ne l’a jamais observée dans son Haïti natale, où n’existait pas cette posture particulière de l’artiste dans la société, ni cette idée voulant que ce dernier occupe une place spéciale au sein de sa communauté.
J’ai vécu auprès de ces gens qui sont à la fois poètes et peintres et musiciens, et je n’avais pas vu du tout cette façon de faire. Cela m’a imprégné et a fait de moi l’écrivain que je suis, c’est-à-dire très attaché au quotidien, à ce qui est concret, à ce qui est naturel, souligne-t-il.
Écrire et dessiner sans frontière
Il ne faut dès lors pas s’étonner qu’il ait renoué une fois de plus avec la gestuelle toute naturelle, issue de l’enfance, d’écrire et de dessiner lentement mais sûrement. Dany Laferrière a ainsi voulu donner une autre dimension au temps autrement saucissonné, saccadé, d’aujourd’hui.
L’auteur et illustrateur a du même coup voulu faire tomber les frontières entre ce qui appartient au passé et au présent, dans sa manière même de se raconter - qui pourra paraître un brin décousue aux yeux de certains.

Agrandir l’image
(Nouvelle fenêtre)


Dans « Vers d’autres rives », Dany Laferrière persiste et signe des textes et des dessins faits à la main.
Photo : Gracieuseté des Éditions du Boréal
Il n’y a pas de linéarité, ce n’est pas juste comme un rail de train. C’est une profusion, c’est un mouvement, explique celui qui présente aussi les artistes états-uniens (James Ellroy, entre autres) et québécois (Émile Nelligan, par exemple) qui l’ont accueilli à Miami et à Montréal.
On ne sait pas qui arrive en premier. On ne sait pas dans quel âge on est, puisque nous sommes commandés par les saveurs, les sensations, les émotions, les couleurs, les odeurs, et que l’émotion tient une place plus importante que le paysage, enchaîne Dany Laferrière.
Ce faisant, il transcende aussi la frontière entre les mots et les images, imbriqués de manière encore plus organique que dans le précédent Autoportrait de Paris avec chat, sans pour autant que les choses soient totalement maîtrisées, reconnaît sans gêne le principal intéressé.
On espère [...] qu’il se passe quelque chose de neuf, dont on n’attendait rien, fait-il valoir. C’est comme pour préparer un plat, une soupe, comme ma grand-mère faisait : c’est des aliments qui sont tout à fait disparates qu’on met dans une chaudière d’eau bouillante et, à la fin, ce qu’on recueille, c’est un plat qui n’a le goût ni de l’un ni de l’autre, mais qui a son propre goût.
Car au final, rappelle-t-il, l’écrivain n’existe pas sans au moins un lecteur. Et c’est justement ce voyage bidirectionnel qui donne tout son sens à la démarche de chacun.
Le lecteur, il est assis et il lit le livre. Il vient après, mais il est fondamental, insiste Dany Laferrière. Ce qui est intéressant dans le voyage, c’est que le voyageur n’a de sens que quand il raconte son voyage à celui qui ne s’est pas déplacé. [...] Les deux personnages sont reliés l’un à l’autre, et ce, fondamentalement.
Valérie Lessard


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie