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Ebola : embarquement pour Monrovia, capitale coupée du monde

mercredi 3 septembre 2014

Se rendre au Liberia devient de plus en plus difficile. La nuit, Monrovia est une ville fantôme, désertée par le couvre-feu. Reportage.

Les passagers qui attendent en silence devant la porte d’embarquement ne sont pas des nostalgiques qui rentrent au pays. En effet, si les deux destinations qui figurent sur le tableau d’affichage sont mondialement connues, ce n’est pas pour leurs plages bordées de palmiers. Ni même pour leurs histoires douloureuses.

La RAM y va, les autres compagnies...

Ce soir, à l’aéroport de Casablanca, le vol de la Royal Air Maroc (RAM) décolle en direction de Freetown, via Monrovia. Les capitales de la Sierra Leone et du Liberia, deux des pays les plus touchés par l’épidémie d’Ebola. Ceux qui s’y rendent ont une bonne raison : ce sont en grande majorité des travailleurs humanitaires ou des journalistes, blancs. "Je suis employé dans une compagnie de télécoms et j’espérais pouvoir travailler depuis Accra", explique l’un des rares passagers libériens, qui a laissé sa femme au Ghana. "On ne peut pas dire que j’aie sauté de joie quand on m’a demandé de rentrer", ajoute-t-il, avant de remarquer une équipe de télévision espagnole, qui tourne : "Ils ont le droit de nous filmer comme ça ?" Oui, et ils ne sont pas les seuls. Le passager est bientôt accosté par une hôtesse impeccable, flanquée de deux cameramen. "Nous travaillons pour la RAM, vous voudriez bien nous dire ce que vous pensez du vol ? Enfin, expliquer que c’est bien, qu’on continue à y aller, alors que tout le monde a suspendu la liaison ?"

Air France a mis un terme à la desserte de Monrovia depuis la mi-juin sans préciser pourquoi, mais reconnaît que l’arrêt des vols vers la Guinée et la Sierra Leone est lié à l’épidémie d’Ebola. La RAM, elle, explique les maintenir "par solidarité africaine", tandis que Brussels Airlines assure des liaisons irrégulières. L’OMS ne se contente pourtant pas d’expliquer que la fermeture des vols est inutile, puisque le virus ne se transmet pas, comme la grippe, par voie aérienne, ce qui rend une infection extrêmement peu probable. Elle martèle que couper ces pays du monde est contre-productif, en rendant l’aide plus difficile à acheminer.

La gravité de la situation palpable dès l’aéroport

Parmi la petite quarantaine de passagers qui descendent à Monrovia cette nuit-là, quatre enfilent nerveusement des gants en caoutchouc à la descente de la passerelle. L’arrivée au terminal ne détend pas vraiment l’ambiance. Avant d’entrer, les passagers sont priés de se laver les mains sous un robinet d’eau chlorée, qui coule d’un bidon dans un seau en plastique. Quiconque ne respecte pas la consigne, ne serait-ce que parce que le tarmac est plongé dans la pénombre et que le panneau n’est pas clairement visible, est rappelé à l’ordre. En effet, les deux cerbères devant la porte ont beau être parfaitement courtoises, elles rappellent à chacun qu’il pénètre dans l’enfer d’un pays qui ne sait comment contrôler une épidémie meurtrière. "Please allow me to take your temperature", marmonnent-elles mécaniquement, dans un anglais chargé d’un accent libérien si lourd que même les Anglo-Saxons se font répéter la formule. Masques sur les yeux et la bouche, protégées d’un tablier et de gants, elles brandissent un thermomètre électronique qu’elles placent près de la tempe des nouveaux arrivants.

Monrovia, une ville transformée par l’angoisse

Dehors, l’air collant de la saison des pluies enveloppe le parking où ne traînent guère que les chauffeurs venus chercher les passagers. L’aéroport est un îlot lumineux, avant la route bordée de végétation que pas un réverbère n’éclaire. "Cela vous dérange si on dépose un ami ? Il a peur de devoir dormir ici sinon, à cause du couvre-feu", demande le conducteur de la voiture de l’hôtel. La présidente Ellen Johnson Sirleaf a déclaré l’état d’urgence le 6 août et le pays est prié de rentrer dans ses pénates, de 21 heures à 6 heures du matin. En cas d’arrêt à l’un des rares checkpoints, il suffit cependant de montrer sa carte d’embarquement, preuve que l’on sort de l’avion. Et les voitures portant le nom d’un hôtel ne sont généralement pas arrêtées. Deux plots orange au milieu de la route, la lumière d’une torche, un signe de menton du soldat emmitouflé dans sa doudoune, par les 25 degrés de l’hiver humide, et l’on repart.

Charles, le passager clandestin, travaille pour une entreprise qui équipe les compagnies minières. Lui aussi a laissé sa femme à Accra, où il est resté vingt-quatre jours, espérant qu’on ne lui demanderait pas de rentrer. "Je n’ai jamais vu Monrovia aussi vide", souffle-t-il alors que la voiture entre dans la ville. Un vieux sans-abri traîne sur un trottoir défoncé, les yeux d’un chien errant se reflètent dans la lumière des phares qui éclairent les flaques ridées par les roues. Le mystérieux virus a changé la vie quotidienne. En plus des restaurants qui ferment tôt, voire qui n’ouvrent plus le soir si les employés vivent loin, les habitudes ont changé. Plus de poignées de main. "Au bureau, on prend notre température le matin, à l’heure du déjeuner, et à la fin de la journée", explique Charles. "Chaque employé reçoit aussi une dose de chlore par semaine. Et les chefs tentent de conduire eux-mêmes, au lieu d’employer leur chauffeur. On sait qui s’est assis dans la voiture, comme ça..." Le chauffeur acquiesce, lui dont la température est prise après chaque course. Tout contact avec l’extérieur est devenu potentiellement dangereux et à l’entrée de l’hôtel, le rituel de lavage des mains à l’eau chlorée se double d’un bac où désinfecter ses chaussures. Le chauffeur, lui, entre se soumettre au thermomètre électronique. Au cas où...


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