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Wilson Laleau présente « Haïti, PetroCaribe et ses déraisons... »

mercredi 22 janvier 2020 par Charles

Dans cette autobiographie sans complaisance, l’ancien ministre Wilson Laleau rétablit quelques vérités méconnues sur le pouvoir d’État, tout en évoquant son travail et son parcours politique jalonné de tumultes. Dans ces chapitres on trouve, mêlés à ce que l’auteur veut dévoiler et dénoncer, des esquisses de politiques sectorielles, des sujets d’intérêt public que l’opinion a ressassés.

Wilson Laleau dérange tout le monde. Les hommes politiques pour commencer, lui qui déteste la langue de bois et prend le parti de soutenir un discours clair, simple, mais d’une étonnante rigueur. Les hommes d’affaires ensuite. Si notre analyse est juste, il serait erroné de réduire les rapports difficiles entre Wilson Laleau et certains opérateurs du monde des affaires à un mouvement d’humeur. Lui qui propose aux conservateurs – y compris étrangers – un implacable réquisitoire contre l’instrumentalisation de l’État, l’immobilisme – l’inertie séculaire –, s’en prend aux adeptes de la facilité de toutes sortes – « Pito nou lèd nou la » –, à la bêtise et au manque d’initiative privée, au système de prédation – condamnant les patriotards et les contrebandiers –, lui qui, enfin, accuse faiseurs d’opinion et le culte de l’argent de nous entraîner vers une mauvaise pente. Chacun attend encore de juger sur les actes. Bouillonnant d’idées et de projets, Wilson Laleau s’y était engagé sans désemparer, ce qu’il croyait être sa « mission de vie », en ouvrant ou en continuant une quantité impressionnante de chantiers : réforme du code du commerce et particulièrement trois nouveaux textes de lois sur le commerce électronique, l’administration électronique et la signature électronique ; nouvelle législation sur la préparation et l’exécution des lois des finances ; réforme du Trésor ; réforme du secteur énergétique ; projet de restructuration du ministère de l’Économie et des Finances ; promotion d’une politique nationale de la qualité et création du premier Bureau haïtien de normalisation ; mise en place de nouveaux mécanismes d’accompagnement des Petites et moyennes entreprises ; promotion de l’entrepreneuriat-jeunesse ; projet de loi sur la gestion du patrimoine de l’État ; mise en place du compte unique du Trésor, généralisation des postes comptables et des comptables publics au sein de l’administration publique ; projet de création d’un fonds d’investissement ; les nouvelles mesures de financement du budget, la loterie fiscale, et de lutte contre la contrebande, etc. Il vous fait rêver en grand en l’écoutant parler des « projets des microparcs industriels, de développement de la bio-économie et leur arrimage avec les centres d’études pré-universitaires et professionnels généraux à distribuer à l’échelle de toute la République comme support à une politique industrielle et d’emplois qualifiés et bien rémunérés, en vue de créer des opportunités pour les jeunes et renforcer leur confiance dans l’avenir du pays ». Truffé de notes en bas de pages, de références académiques, de tableaux et d’annexes, ce copieux travail de mémoire marque dans sa vie la rupture avec les hésitations des débuts.
Pour bien comprendre cette adéquation entre le livre et son temps, on partira certainement de son titre éclatant : « Haïti, PetroCaribe et ses déraisons. Manifeste pour une éthique de responsabilité ». D’emblée, il indique l’essentiel : cette oeuvre est une arme de combat, une contre-attaque salutaire. Il se trouve en effet que l’époque, polluée par des passions destructrices, colporte toutes sortes d’inexactitudes et de jugements péremptoires tendant tous à faire du concept de ce dossier brûlant et complexe un outil de lynchage irréductiblement manipulé par des secteurs et des forces eux-mêmes impliqués en grande partie dans l’exploitation du fonds vénézuélien. Là, on trempe carrément dans l’amalgame outrancier : confusion, exagération, manipulation, fuite en avant, chantage, procès et abus à la pelle. Vu la composition de la faune politique et les ambitions des uns et des autres sur fond de jalousie mal dissimulée, pouvait-il en être autrement ? Rien de nouveau sous l’ardent soleil politique de notre singulier petit pays !
Ce n’est pas en tant que ministre que Wilson Laleau doit être connu d’abord, c’est en tant que professeur puis vice-recteur de l’Université d’État d’Haïti, à son style, dont le phrasé, le rythme, le mécanisme pédagogique, la clarté lyrique, la fulgurante rhétorique s’apparentent autant au pamphlet qu’à l’histoire économique. Un style limpide dont la prééminence était telle que, à l’en croire, la réflexion en découlait comme l’eau de la source. Homme de chiffres, de statistiques et de dossiers, il tenait en effet que bien écrire, c’est bien penser. Et que « la forme construit le fond ». Avec un sens certain de l’éthique, il travaillait donc sans relâche à ce que sa prose lui survécût. Il faut en effet lire de près les chapitres du livre sur « la fabrication de l’opinion » et « le métier de ministre ». Ensuite, les passages concernant ses activités en tant que ministre à double casquette (Économie et Finances, Commerce et Industrie) sont fort édifiants. Wilson Laleau, dans un pays rongé par la médiocrité et la sinécure, a toujours aimé travailler avec les jeunes. Bête de travail, il leur faisait spontanément confiance : la preuve, il s’est associé aux plus qualifiés et dynamiques pour étudier des dossiers importants. Mais pour le travail, il jugeait qu’ils étaient plus fins que les vieux pour comprendre les ressorts humains. Qu’ils étaient intellectuellement plus disponibles aussi. On comprend alors que ce à quoi s’attaque Wilson Laleau ; c’est à la mauvaise foi des uns et à la haine des autres, plus particulièrement celles des forces conservatrices et prédatrices qui maîtrisent à la perfection l’art de freiner les énergies nouvelles et les esprits éclairés.
On lui reprochera sans doute d’avoir constamment recours en tant que ministre à la vérité et à la volonté de changement – mais il les revendique parce que, selon lui, elles sont le premier moyen de faire bouger les lignes au-delà des vieilles habitudes qui couvrent des situations de rentes nuisibles au progrès social et humain dans le pays. Le connaissant, toujours égal à lui-même, même s’il est, sans doute, aussi perplexe sur l’avenir : ses choix, il ne les regrette pas. La confrontation de Wilson Laleau avec la postérité devrait être passionnante. Esprit sensible aux palpitations du monde moderne, il connaît, du moins il pressent, l’image que le public se fait de lui. Ce n’est pas, ce ne sera jamais celle – pour répéter Carl Labossière – d’un « liquidateur » comme Leslie Delatour. À l’inverse, Wilson Laleau – ce que rappelle abondamment son livre – fait réfléchir, hoqueter, débattre, et les observateurs en redemandent.
Si cette autobiographie n’échappe ni à quelques débats houleux ni aux traditionnels pièges d’un premier livre, impossible de rester glacial devant un tel parcours. Quel imbroglio ! La morale de l’histoire, car il semble y en avoir une, à lire l’auteur entre les lignes, c’est que le pays est truffé d’esprits rétrogrades qui bloquent toute réforme avec un art consommé de l’hypocrisie. Amour immodéré du pouvoir, passion débridée pour l’argent, orgueil sénile, absence de patriotisme et indifférence face à l’avenir, trahissent la stérilité du monde politique et du secteur des affaires en particulier.
Ce ministre réformateur, qui ne cessa de se battre pour le bien commun avec ferveur, vécut entouré de contempteurs. Enfin, dans quel monde vivons-nous, actuellement ? Là-dessus, Wilson Laleau, en oracle enfiévré de la présidence controversée de Michel Joseph Martelly, fut le pionnier, qui a préconisé et décrit, dans les grandes lignes, un changement de monde pour chercher à implémenter les « vertus » du capitalisme chez nous, mais un capitalisme social et solidaire encadré par la puissance publique. Une véritable transmutation du paradigme civilisationnel, à l’échelle nationale. Un moment rarissime dans notre histoire, car les mêmes mots de base ne signifient plus la même chose qu’avant. Il régnait dans ce décor une sorte de torpeur, une espèce d’atmosphère étouffante et vilaine à laquelle j’étais d’autant plus sensible que je travaillais à ses côtés.

Pierre Raymond Dumas
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