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Petite histoire du théâtre haïtien des 30 dernières années, par le comédien et metteur en scène, Rolando Etienne

jeudi 23 janvier 2020 par Charles

Propos recueillis par Lord Edwin Byron
Le théâtre reste et demeure cet art qui traduit au mieux la réalité des peuples. D’aucuns le définissent comme étant le miroir de la société. D’autres y voient l’art qui répondra encore longtemps aux exigences des communautés humaines. Somme toute, on est unanime à admettre que cet art tient aussi sa particularité en Haïti, de la préhistoire, comme dirait Rassoul Labuchin, à la modernité. Une randonnée sur les différents moments du théâtre haïtien, ses perspectives et ses figures nous est proposée avec Rolando Etienne, figure connue de la vie culturelle en Haïti, avec tant de chapeaux : metteur en scène, comédien, diseur et directeur de la troupe Dram’Art.
Sibelle Haïti : Un regard sur le théâtre haïtien des trente dernières années ?
Rolando Étienne : Il est très compliqué pour un artiste de prendre la posture d’un critique ou d’un historien de l’art pour parler d’une discipline dans laquelle il évolue. De plus, l’absence presque totale de documentation sur le théâtre haïtien au cours de cette époque là ne permet pas à quelqu’un de la quarantaine d’examiner exhaustivement et objectivement des événements qui se sont déroulés pendant son adolescence. Toutefois, je vais tenter de prendre la posture de l’observateur dont j’ai toujours su faire montre pour essayer d’apporter ma contribution dans cette tentative visant à camper ce moment faste du théâtre haïtien.
30 ans, donc 1989/2019
Transportons-nous pour commencer au triomphe populaire de 1986, l’année à laquelle la dictature a perdu sa tête. C’est-à-dire, Michèle Bennett et Jean Claude Duvalier ont été contraints de laisser le pouvoir, après 29 ans de règne sans partage. La dictature s’en va, la parole libre s’en vient. Car les moyens d’exister du théâtre, en tant qu’art collectif, s’exercent avec la participation de l’autre, sont intimement liés à un espace démocratique où la parole devient acte de création. L’artiste qui pratique le théâtre est un fervent défenseur de la liberté d’expression, en ce sens qu’il dénonce : les travers, les vices, les tabous de la société. C’est en analysant le théâtre sur cet aspect-là que je conclus que 1986 a permis un renouveau dans le théâtre haïtien. Les représentations de Syto Cavé, de Franckétienne, de Paula Clermont Péan, de la Compagnie Hervé Denis, de Daniel Marcelin, et de tant d’autres encore d’où s’articule une parole nouvelle, déclenchent dans certains esprits l’ère d’un nouvel ordre théâtral haïtien. Cette époque a été aussi marquée par la consécration du créole dans la production théâtrale en Haïti.
Pour répondre plus directement à la question, j’aborderai l’histoire du théâtre haïtien de ces trente dernières années en essayant de scinder cette période en trois moments.
1989/1997
C’est une belle époque caractérisée par la présence de la compagnie Hervé Denis et les grands ténors qui vivaient à l’étranger et qui, à la faveur des événements de 86, ont continué à produire dans le pays. Syto Cavé qui, lui, a traversé toutes ces époques, a connu des moments enrichissants au cours de cette période-là. Les spectacles sont à mettre à l’actif de ces grands-là. Citons par exemple : La tragédie du roi Henry Christophe, et Les chiens se taisaient d’Aimé Césaire, L’adaptation de : Les justes d’Albert Camus, Les Circoncis de la Saint Jean de Michel Philippe Lerebours, l’Amiral de Syto Cavé, toutes représentées par la compagnie Hervé Denis. Kavalye Polka écrit et mis en scène par Syto Cavé, ce fou d’empereur de Claude Innocent, Quelle heure est-il, montés par Syto, les reprises de Pèlentèt, Totolomanwèl, Melovivi, Kalibofobo de Franckétienne ainsi que la reprise de Kaselezo, avec la mise en scène de Paula Clermont Péan. Daniel Marcelin a aussi marqué ce moment avec la mise en scène des Fous de Saint Antoine de Lionel Trouillot. Dans d’autres espaces de Port-au-Prince, comme au théâtre national, des hommes comme Damis Jean Kelly assurait la formation de centaines de jeunes à travers sa structure dénommée CHAD.
On ne retiendra également que la création des espaces culturels comme le centre culturel Pyepoudre, la Bibliothèque de l’Etoile Filante et la Cosafh ont beaucoup aidé à la propagation, la diffusion et la transmission d’un savoir théâtral et artistique aux jeunes des quartiers pauvres de Port-au-Prince, ce qui a permis d’assurer la relève après le départ et la mise « à la retraite » des grands acteurs comme Lobo, Magalie et Hervé Denis, Riché Kenscoff, Daniel Marcelin, Rouddy Siller et les autres que je n’aurai pas le temps de nommer ici.
Je terminerai en disant que si cette époque a été très intéressante et enrichissante dans les anales du théâtre haïtien, ce, en dépit des turbulences sociopolitiques liées au coup d’Etat de 1991, il conviendra de faire remarquer qu’il manquait singulièrement d’espaces de rencontres entre les ténors et les jeunes qui cherchaient à pratiquer le théâtre. Cette rupture somme toute désagréable a provoqué un long moment de transition dans la vie théâtrale haïtienne de ces trente dernières, car, suite à l’arrêt de la Compagnie Hervé Denis et la mort de Carl Marcel Casséus dit Lobo en 1997, on a mis du temps avant la relance du théâtre qui a lieu en 2003 avec l’avènement du Festival Quatre chemins.
Deuxième Moment : 2003 /2010
Ce deuxième moment est caractérisé par la création du festival de théâtre Quatre chemins et l’irruption de la FOKAL sur la scène en tant que mécène des arts. A ce moment précis, le phénomène de subvention a timidement fait son apparition dans le milieu théâtral. C’est ainsi que des valeurs qui sommeillaient en marge de la société traditionnelle, ont fini par s’émerger. Désormais, une nouvelle cartographie du théâtre haïtien a été dessinée. Les grands lieux culturels de la capitale, de son agglomération, sont la ville de Carrefour avec la bibliothèque Justin Lhérisson, Martissant/Fontamara avec la Bibliothèque de l’Etoile Filante, Christ-Roi avec le centre Culturel Pyepoudre, la Cosafh à l’avenue Poupelard, et bien sûr, l’institut Français en Haïti qui continuait de recevoir les jeunes de partout ; et finalement la construction de la salle FOKAL/Unesco, à l’avenue Christophe. Sans oublier les travaux ô combien importants du Petit conservatoire de Daniel Marcelin, à Delmas. C’est donc ses différents espaces qui ont contribué à la relance du théâtre en Haïti.
Cette époque était marquée par des grands moments. De très bons comédiens, compagnies de théâtres, metteurs en scènes, ont vu le jour et ont su agréablement enrichir le répertoire du théâtre haïtien. Les premiers moments de cette épopée ont été caractérisés par l’entrée en scène fulgurante de la Troupe NOUS sur l’échiquier du théâtre haïtien, avec Bobomasouri, et surtout Services Violences Série. C’est une esthétique nouvelle jamais explorée auparavant dans le théâtre en Haïti. Le corps est au centre des préoccupations du metteur en scène qui en fait un véritable outil de transformation. Rien est gratuit, tout est réglé, contrôlé, dans un laboratoire, sous le contrôle du jeune metteur en scène d’alors, Guy Régis Junior.
La valeur et la présence du créole dans les mises en scène de Ralph Civil, de la Compagnie Théâtre Créole, ont été, selon moi, un moment important dans le théâtre haïtien de la première moitié des années 2000. La mise en scène d’Antigone de Sophocle, traduite par Félix Morisseau Leroy, a permis d’avoir une vision plus claire de ce qu’est le théâtre haïtien, le phénomène de transe, la possession. Ce déboulement du personnage qui est la trame même du théâtre haïtien. D’autres troupes comme Foudizè teyat ont exploré le même domaine et ont apporté leur particularité au sujet. La Compagnie de théâtre Dram’Art a connu des moments glorieux aussi au cours de cette période. Cette troupe a tenté à plusieurs reprises d’explorer la tentation du pouvoir. La prise, la gestion du pouvoir et le maintien au pouvoir par la force, ont été la toile de fond de plusieurs représentations de cette troupe : Ubu roi d’Alfred Jarry, les bâtisseurs d’empire de Boris Vian et Avenue sans issue sont les principales créations dans lesquelles la troupe a essayé de donner une couleur haïtienne, à des textes considérés cadors du théâtre universel. L’une des mises en scène à avoir connue un succès retentissant à cette époque-là est Haïti Cri d’espoir de Béleck Georges avec les acteurs de la Cosafh qu’il a lui-même formés.
La vie théâtrale était intéressante. Il était plus facile de faire du théâtre dans le pays qu’avant. La présence des centres culturels étaient à la fois des espaces de travail et des lieux de performance. La subvention était un peu plus démocratique. Il y avait tant bien que mal plusieurs salles dans le pays. On peut citer entre autre : Le Rex théâtre, le forum Eldorado, la Salle Sainte Cécile, la Salle FOKAL Unesco, Les sœurs de Sainte Rose de Lima et l’Institut Français en Haïti.
Troisième Moment
Apres le séisme du 12 janvier 2010, le théâtre haïtien, comme toutes les autres disciplines artistiques, est retombé dans ses travers. Les ravages opérés par cette catastrophe : destructions des salles de théâtre, des centres culturels, des bibliothèques, mort de jeunes comédiens, départs précipités de plusieurs comédiens à l’étranger qui n’ont jamais remis les pieds en Haïti, ont tout simplement anéanti les efforts que l’on a consentis pour développer ce secteur.
C’est donc dans ce grand chaos que l’on a pendant deux ans travaillé pour assurer le renouveau du théâtre, en assurant la formation de plusieurs groupes de jeunes issus des compagnies qui ont marqué la décennie écoulée. Ainsi, des jeunes metteurs en scène ont vu le jour, une nouvelle compagnie a été créée, grâce aux supports des étrangers. Il s’agit de la Brigade d’Intervention Théâtrale Haïtienne (BIT Haïti). Ce fut une grande ouverture vers l’extérieur qui a beaucoup profité aux jeunes de l’époque. Il faut quand même reconnaitre que le festival Quatre chemins a tenu ces trois éditions post-séisme dans la grande douleur, avec des créations en demi-teinte. Avec une quasi-absence du public dans les manifestations. D’autres festivals ont également pris naissance dans la foulée : Kont anba tonèl et En lisant permettant aux créateurs de mieux exprimer leurs talents.
Au final, aujourd’hui, on assiste à un renouveau du théâtre, beaucoup de créations théâtrales sont représentées sur nos planches. J’ai personnellement assisté à plus d’une quinzaine de représentations cette année. Ce qui, pour moi, est une ascension fulgurante du théâtre, après la grande léthargie du début des années 2010.
SH : Comment classes-tu le théâtre haïtien sur le plan de la perspective ?
R.E. : Encore une fois, toutes tes questions sont d’ordre théorique et académique. Cela n’ouvre pas pour moi beaucoup de perspectives comme artiste pour élaborer sur mon travail. Je dirai, pour répondre à ta question, que le meilleur serait de faire un état des lieux de la situation théâtrale dans le pays.
D’abord au niveau de la législation. Il n’y a pas un cadre réglementaire sur la situation des artistes et des créateurs haïtiens. Même la loi sur la fonction publique ne reconnait pas le métier d’acteur. Les lois qui sont en souffrance au Parlement voient dans l’artiste un musicien, qui, pis est, un musicien du compas direct. Il n’ya pas moyen de dire ou de prouver véritablement que le comédien ou le metteur en scène, et autres métiers découlant du théâtre que nous pratiquons, mène une activité reconnue comme telle par la législation haïtienne.
Ensuite, sous l’angle des espaces conventionnels. Depuis le terrible séisme du 12 janvier 2010, soit 10 ans déjà, il n’existe que deux espaces de production et de représentation théâtrales à Port-au-Prince : la petite salle FOKAL/Unesco (moins de 200 places) et la salle de Sainte Rose de Lima qui est constamment fermée. Donc pour jouer ici, il faut s’accommoder.
Enfin, voyons l’aspect formation : aujourd’hui, à l’heure où nous parlons, il n’y a aucune école de formation d’acteurs fonctionnelle dans le pays. L’ENARTS est fermée depuis plusieurs mois. Le Petit Conservatoire est fermé depuis des années. Le Théâtre national ne s’est jamais illustré en la matière. Et les rares troupes qui assumaient cette fonction ne le font plus.
Donc, à la lumière de ces constats, l’on pourrait conclure à des lendemains sombres pour le théâtre haïtien. Mais non, aujourd’hui comme jamais, il est plus facile de faire du théâtre en Haïti. Malgré l’absence quasi-totale d’intervention de l’Etat dans ce secteur. Il existe des ouvertures intéressantes sur le monde qui permettent aux créateurs haïtiens de mieux développer leurs talents et leurs compétences. On compte de nos jours beaucoup de jeunes qui font de la mise en scène. Les spectacles de meilleures qualités qu’avant. L’écriture dramatique est plus riche. Il y a plus de festivals dans le pays, offrant du coup, un meilleur éventail de spectacles. Cela donne aussi un peu plus d’ouverture aux créateurs. On retiendra également que, de nos jours, de plus en plus de jeunes vivent essentiellement du théâtre, ce qui fait que le théâtre prend encore plus de place dans nos vies.
Pour ma part, le théâtre haïtien connait un pic intéressant, au cours de ces cinq dernières années. Il appartient à nous autres, opérateurs, de consolider ces acquis pour que vive le théâtre haïtien. Car si nous renforçons davantage les compagnonnages internationaux, si nous exigeons et obtenons de l’Etat un meilleur encadrement, nous parviendrons à faire rayonner le théâtre haïtien dans les temps à venir
SH : Peut-on aujourd’hui parler d’un théâtre haïtien ou d’un théâtre à l’haïtienne ?

R.E : Je ne parlerai pas du deuxième aspect de la question car, honnêtement, je ne comprends pas trop l’expression théâtre à l’haïtienne. A mon goût, il existe bien un théâtre haïtien. Cela, depuis longtemps déjà. Depuis l’acte fondateur de cet Etat. La cérémonie du Bois-caïman, à travers le serment du grand prêtre Boukman, a été la manifestation première de la genèse d’un théâtre haïtien. La question de l’existence ou non d’un théâtre haïtien fait débat, c’est comme la sempiternelle question de l’existence ou non d’une littérature haïtienne. Pour moi, la question ne se pose pas. Car, un pays qui a connu une vie culturelle aussi riche durant les sept ans de la colonisation française et 216 ans de vie de peuple, ne saurait ne pas avoir un théâtre qui soit le reflet de ces traditions et de ces mœurs.
Permettez que je situe tout cela dans le temps, afin de mieux cerner le sujet qui préoccupe et aussi question de permettre aux jeunes lecteurs de mieux se situer.
Le théâtre haïtien à proprement parler a pris diverses formes au cours de son évolution. Après l’Indépendance, les premiers moments étaient un peu difficiles. La qualité n’était certes pas au rendez- vous, car il suffisait seulement pour un homme de théâtre de faire l’apologie des héros de l’indépendance pour que son œuvre soit reconnue et qu’elle ait du succès en dépit de ses faiblesses sur le plan esthétique. C’est un théâtre qui a pris naissance avec les balbutiements qu’on reconnait à tout nouveau-né. Le théâtre haïtien est né suite à la création de la nouvelle société haïtienne, née de la révolution de Saint-Domingue. Mais, ce n’est qu’après plusieurs décennies, avant de s’imposer comme véritable activité ancrée dans le réel haïtien. Ce théâtre, une fois qu’il a trouvé son équilibre, a cheminé dans des chemins éclairés visant son épanouissement. Je reprendrai ici les propos de Rassoul Labuchin : « Beaucoup de formes nouvelles de théâtre ont émergé pour traduire et, de façon originale, l’Haïtien, son âme, ses mœurs, ses légendes, son histoire dans son avancée tantôt lente, tantôt accélérée, mais conforme aux besoins de l’heure. »
Il est important de souligner certains faits qui ont illustré ce théâtre. D’abord, le genre historique a de façon significative marqué les premiers moments de la production théâtrale haïtienne. Citons Isnardin Vieux, et Massillon Coicou qui est d’ailleurs, selon les critiques, le plus grand dramaturge de son époque, avec des textes comme : « Mackandal, liberté, Féfé ministre et Féfé candidat » qui ont montré combien l’histoire nationale a inspiré nos auteurs dramatiques. Ses pièces qui ont connu des succès retentissants sur les planches haïtiennes et françaises sont un témoignage éloquent de la place du réel haïtien dans la production théâtrale du pays. On notera aussi dans la même veine La crête à Pierrot de Charles Moravia et l’Amiral Killick d’Edmond Laforest.
Le chef-d’œuvre de Dominique Hyppolyte, Le Torrent, avec la peinture spectaculaire de plusieurs figures héroïques d’Haïti, en particulier Dessalines, a traversé plusieurs générations. Mais, c’est au cours de la deuxième moitié, avec la création de la SHAD (Société Haïtienne d’Art Dramatique), que le mouvement théâtral haïtien a connu un essor considérable. Là, des pièces retraçant le vécu haïtien, notre drame existentiel : Le faisceau de Stephen Alexis, La famille des Pitite Caille de Justin Lhérisson, etc. ont été représentées pour le bonheur du public haïtien. L’engagement d’un homme comme Félix M. Leroy qui eut en 1958 à faire le plaidoyer pour un théâtre créole en Haïti, non pas comme outil de propagation d’un théâtre pour un plus grand nombre, mais comme élément esthétique pour faire parler l’âme haïtienne, est d’un apport essentiel à la mise en œuvre de ce théâtre haïtien. A ce compte, Robert Bauduy dira : « Dès lors, le théâtre populaire haïtien pouvait prétendre poser ses problèmes spécifiques, définir son rapport avec son public, à la tradition orale, ce qu’approfondira par l’actualisation des contes populaires un autre dramaturge de la même génération : Franck Fourché ».
Plus près de nous, le travail colossal qu’a réalisé Syto Cavé dans le domaine de la dramaturgie ainsi que dans la mise en scène, les écrits de Fouché sur l’ethno-drame (vodou et théâtre en Haïti), les nombreux textes dramatiques de Franckétienne, le travail considérable des jeunes comme Guy Régis Junior, Billy Elucien, les travaux de Paula C. Péan, de la Compagnie Hervé Denis, les mises en scène de : Ubu Roi avec Dram’art, les Gouverneurs de la Rosée avec Daniel Marcelin et tant d’autres encore, ne peuvent être assimilés à aucun autre théâtre, à aucun autre univers sinon que l’univers merveilleux haïtien, offrant du coup au théâtre une esthétique nouvelle ressemblant en rien à celle de l’occident.
SiBelle Haiti : Qu’en est-il de l’engagement dans le théâtre haïtien ?
Rolando Etienne : Encore une question piège. Selon moi, de tous les temps, le théâtre a toujours été une discipline engagée. Je ne vais pas cette fois me référer trop au passé, je vais de préférence me servir de deux grands maîtres du théâtre moderne : Jerzy Grotowski et Peter Brook. Selon moi, la publication du livre vers un théâtre pauvre a révolutionné la pratique du théâtre. Il développe sa théorie du théâtre pauvre où le jeu et la technique de l’acteur héritée priment sur les costumes, les décors, l’éclairage. Selon lui, les techniques utilisées maintenant encore dans le théâtre, ne sont pas pour le théâtre une sorte d’avantage. Cela s’apparente mieux au cinéma et à la télévision. Alors, il élimine tout : musique pré-enregistrée, et la remplace par la voix de l’acteur, et se rend compte qu’il obtient une autre musique. Ensuite les décors, en les remplaçant par les objets qui sont proches de lui. Ces moyens sont plus faciles que les moyens techniques. Ainsi donc on arrive vers un théâtre dépouillé où seul reste le corps de l’acteur, l’homme dépouillé qui ici est placé au dessus de tout cet appareillage technique. Donc, c’est l’acteur dans son corps, c’est le théâtre total, mais dépouillé de tous les moyens techniques, donc le théâtre total dans l’acteur total.
C’est cet engagement esthétique de Grotowski qui a animé les actions de Dram’art et qui fait qu’on a pu passer dix années à faire du théâtre en dehors des énormes bazars dont le théâtre haïtien avant était le digne héritier. Il suffisait pour nous de travail le corps de l’acteur, de s’assurer de sa capacité à établir une vraie communication entre le lui et le public, pour penser à l’œuvre théâtrale. Sans de pareilles recherches, certains théâtres ne parviendraient jamais à exister.
Et après, quand Peter Brook nous résume le théâtre entre l’action et l’observation, cela nous conforte dans notre démarche de dépouillement, car nous ne réfléchissons pas aux moyens techniques et financiers qui seront mis à notre disposition pour créer, mais quelle esthétique travailler pour permettre aux acteurs de rendre son personnage.
Donc l’engagement n’est pas seulement dans le discours, la propagande, mais aussi dans la manière de créer. Pourtant, certains auteurs sont engagés dans la manière d’aborder le réel, Shakespeare dans sa manière d’aborder les questions sociales : Roméo et Juliette, la prise et la gestion du pouvoir, Othello, Macbeth, Hamlet, se révèle aussi un auteur engagé.
Le théâtre haïtien n’a pas échappé à cette règle. Toutes les étapes de son évolution sont empreintes d’un engagement assez profond. Il prend plusieurs formes. Chez Félix M. Leroy, c’est un parti pris pour le créole (je l’ai développé dans la question précédente). Chez Franck Fouché, c’est la présence du vodou dans le théâtre haïtien qui donne à cet art une dimension profondément haïtienne qu’on retrouvera dans aucun autre théâtre. D’autres auteurs s’inscrivent dans la dynamique de la transformation sociale et politique, etc. Les textes de Franckétienne sur la question de la femme sur le phénomène du pouvoir dans tous ces aspects : politique, social et mystique. Théodore Beaubrun, dans Lavi nan Nouyòk ou encore Les lapins de madame Fleviau, touchent avec une profonde sensibilité, le drame existentiel haïtien.


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