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Crise politique/Dialogue Jovenel Moïse a choisi seul Joseph Jouthe

mercredi 4 mars 2020 par Charles

Jovenel Moïse nomme un Premier ministre en dehors des négociations. Qu’il soit proche ou contre le président de la République, les acteurs politiques et de la société civile sont unanimes à le reconnaître. Certains critiquent l’entêtement du président à avancer seul ; d’autres disent espérer un dénouement à la crise même s’ils ne sont pas convaincus…

Après environ un mois de négociations et de tergiversations, le président de la République passe en force en nommant un Premier ministre en dehors des pourparlers. Le président du Comité haïtien d’initiative patriotique, qui organisait les pourparlers, le professeur Jean Robert Charles, a démissionné. Liné Balthazar, président du PHTK, et Evans Paul, deux proches du président de Jovenel Moïse, tentent de calmer le jeu tout en reconnaissant que le choix de Joseph Jouthe a été fait en dehors des négociations.
« Le président a fait un choix, le président a fait son choix », a avancé Evans Paul sur un ton dont lui seul connaît la formule. Si l’ancien Premier ministre reconnaît que ce choix a été fait en dehors des négociations, il déclare toutefois, qu’il « il faut se demander si les négociations allaient jamais aboutir. Il faut admettre qu’il n’y avait pas vraiment une volonté de trouver un accord ; peut-être des deux côtés, chacun jouait le temps… »
L’ancien Premier ministre de Martelly et allié du pouvoir en place affirme au Nouvelliste avoir appris la nouvelle de la nomination de Joseph Jouthe comme tout le monde. Il dit « souhaiter » que ce choix aide à sortir le pays de la crise qui, a-t-il dit, présente plusieurs dimensions. Evans Paul ne met pas en doute les qualités de Joseph Jouthe mais le contexte dans lequel le choix a été fait.
Pour Liné Balthazar, le PHTK prend acte de la décision du président de nommer un Premier ministre et de mettre en place un gouvernement pour remplacer le gouvernement démissionnaire qui fonctionne depuis environ un an. « Nous n’avons pas d’objection à ce que le président nomme une personnalité pour constituer un gouvernement d’ouverture », a-t-il dit lundi au Nouvelliste.
Interrogé pour savoir si le PHTK avait participé au choix de Joseph Jouthe, Liné Balthazar, président du parti politique de Jovenel Moïse, a répondu « pas directement ». « Le président a fait des consultations, nous avons été informés directement ou indirectement de la décision », a-t-il avancé en mode langue de bois. Il a toutefois reconnu que ce choix n’avait pas été abordé lors des négociations.
Joseph Jouthe, le Premier ministre nommé du président de la République lundi, n’était pas sur la table des négociations, ont confié au Nouvelliste plusieurs participants à ces parties de pourparlers ayant débuté à la nonciature apostolique et qui ont continué en la résidence de la représente spéciale du secrétaire général de l’ONU en Haïti.
Il n’y a pas que les partis politiques de l’opposition qui n’ont pas été mis au courant de ce choix.
Une personnalité influente, partie prenante dans les négociations qui a son entrée au Palais national et dans les ambassades étrangères en Haïti, a confié lundi au Nouvelliste qu’avec le choix de Joseph Jouthe comme Premier ministre, le chef de l’Etat a « doublé tout le monde. Les partis politiques, la société et même la communauté internationale qui supportait les négociations. Après l’échec des pourparlers à la nonciature apostolique, la plupart des autres rencontres entre les acteurs politiques et les représentants du président ont eu lieu en la résidence de madame Helen La Lime, cheffe du Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH) », a révélé au journal notre source.
« C’est pourquoi Jovenel Moïse aura des comptes à rendre à la communauté internationale qui s’attendait à la signature d’un accord politique avant le choix d’un Premier ministre », a avancé notre contact, qui souligne avoir rencontré plusieurs fois au Palais national le chef de l’Etat sur des propositions de sortie de crise présentées et discutées lors des séances de négociations.
« Le président a entraîné tout le monde dans un jeu de dupes. Après environ un mois de négociations, le problème demeure entier puisque même a minima, il n’y a pas eu d’accord politique. Le chef de l’Etat est seul dans son choix de Premier ministre », a-t-il dénoncé.
Il faut souligner que le président du Comité haïtien d’initiative patriotique (CHIP) qui organisait les pourparlers, le professeur Jean Robert Charles, a remis sa démission vendredi dernier. Officiellement, il évoque des raisons de convenance personnelle, mais d’autres proches des négociations ont fait savoir au Nouvelliste qu’il avait de sérieux désaccords avec le chef de l’Etat sur le déroulement des pourparlers.
« Je vous remercie grandement pour les 25 jours passés ensemble dans le cadre des pourparlers inter-haïtiens en vue d’une sortie durable de la crise politique, comme facilitateur. En effet, pour des raisons de convenance personnelle, je vous informe que je décide, dès cette note reçue, de ne plus faire partie du Comité haïtien d’initiative patriotique (CHIP) », lit-on dans la lettre de démission de Jean Robert Charles.
De son côté, Emmanuel Ménard critique la démarche du président de la République qui a court-circuité les négociations politiques en désignant de manière « unilatérale » un nouveau Premier ministre. « Le président a choisi de cheminer seul », dénonce Emmanuel Ménard, représentant du bloc démocratique signataire de l’accord de Marriott, qui avait pris sur lui la responsabilité de participer aux négociations politiques à la nonciature apostolique. Sur les ondes de Radio Magik 9, il dit prendre acte de la décision du chef de l’État de mettre fin au dialogue entre les forces politiques et les forces morales du pays en vue d’une issue pacifique et démocratique à la crise.
Visiblement déçu de l’initiative de Jovenel Moïse, l’ancien directeur général de l’ONA rejette d’un revers de main cette décision « unilatérale ». « Nous autres qui étions sur la table de dialogue ne faisons pas partie de cette démarche. Nous n’allons pas participer à ces bacchanales », jure-t-il.
Selon le président de la République, le choix du Joseph Jouthe a été fait en consultation avec les différents secteurs du pays. « Suite aux consultations que j’ai eues avec différents secteurs du pays, j’ai fait choix du citoyen Joute Joseph comme nouveau Premier ministre. Ce dernier est appelé à former, dans les meilleurs délais, un GVT d’ouverture et de consensus, capable de répondre aux urgences de l’heure », lit-on dans une publication qu’il a faite très tôt lundi matin sur Twitter pour annoncer la nouvelle.
Faux, selon Emmanuel Ménard. Ce dernier affirme que la question de la formation du gouvernement et du choix d’un nouveau Premier ministre fut le dernier point dans les discussions. Le nom de Joseph Jouthe n’a donc jamais été soulevé lors de ces discussions. « Nous étions partis sur le principe d’écourter le mandat du chef de l’État. Nous nous étions ensuite mis d’accord sur une feuille de route », raconte Emmanuel Menard. Il rappelle que c’est sur la question de la réduction du mandat du président de la République que les discussions s’étaient achoppées. « Nous constatons une fois de plus qu’il n’y avait aucune volonté de la part du chef de l’Etat de mener une bonne négociation en vue de trouver une solution à la crise. Le président a choisi le bras de fer avec la population. Nous en prenons acte », a-t-il déclaré.
Emmanuel Ménard déplore que les différentes sceances de négociations conduites à la nonciature apostolique et dans d’autres espaces du pays n’avaient pas abouti. Toutefois, il pense que cela a servi à prouver que le chef de l’État n’est pas intéressé au dialogue. « Il préfère la confrontation », déduit Emmanuel Ménard, responsable du parti Force Louverturienne.
Jude Charles Faustin, conseiller du chef de l’État, attribue le choix de Jovenel Moïse de passer en force à l’« échec » des discussions qui ont duré plusieurs sans aboutir à un accord politique. « Le président est arrivé à un carrefour où il doit monter une équipe pour faire face à un ensemble de problématiques, telles que l’insécurité et le coronavirus qui nous menace actuellement », justifie l’ancien député. Le chef de l’État avait cédé beaucoup aux acteurs politiques en vue de trouver cet accord politique. Mais maintenant, il ne peut plus continuer à attendre, selon Jude Charles Faustin. Il explique que Jean-Michel Lapin, qui avait remplacé Jean-Henry Céant depuis près d’un an à la Primature, était limité en tant que Premier ministre a.i. Il ne disposait pas de tous les leviers pouvant lui permettre de prendre un ensemble de décisions.
Jude Charles Faustin, qui voit en Joseph Jouthe quelqu’un qui peut continuer à favoriser le dialogue, annonce que le gouvernement dit de « consensus » et d’ « ouverture » devrait être formé d’ici 48 heures. Un gouvernement qui sera formé avec ou sans les membres de l’opposition radicale. « Le pays est une mosaïque dans sa représentation. Il n’y a pas que ces gens de l’opposition radicale qui constituent l’échiquier politique. Il y a près de trois cents partis politiques qui sont enregistrés dans la pays », souligne le conseiller du chef de l’État.

Robenson Geffrard
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