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Dorothée Schmid : « Les réfugiés sont avant tout une arme de dissuasion pour Erdogan »

jeudi 5 mars 2020 par Charles

Isolé diplomatiquement et en difficulté avec son allié russe, le président turc réutilise la menace d’un afflux de migrants comme moyen de pression sur les Européens, analyse Dorothée Schmid, de l’Institut français des relations internationales.
Propos recueillis par Marc Semo Publié hier à 06h00, mis à jour hier à 10h07

Entretien. Spécialiste du monde méditerranéen, Dorothée Schmid dirige le programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient de l’Institut français des relations internationales. Elle a notamment écrit La Turquie en 100 questions (Tallandier, 2017). Elle revient sur la crise humanitaire à Idlib, où vivent quelque 3,5 millions de personnes, dont 900 000 déplacés. Aujourd’hui, Recep Tayyip Erdogan surjoue l’urgence d’un devoir d’assistance et espère obtenir le déplacement des civils vers les zones sous contrôles turcs au nord et au nord-est.
Qu’espère le président turc Recep Tayyip Erdogan avec son chantage aux migrants ?
Depuis le début de la guerre syrienne la question des réfugiés a été gérée par Recep Tayyip Erdogan comme un atout aussi bien politique qu’économique. Et ce en premier lieu vis-à-vis de l’Union européenne. Les autorités turques avaient négocié, en 2016, avec Bruxelles un pacte migratoire s’engageant à lutter contre les passages de migrants vers la Grèce en échange notamment d’une aide de 6 milliards d’euros. Recep Tayyip Erdogan menace à nouveau l’Europe de l’afflux « de millions » de réfugiés. Il y a certes une part de gesticulation.
Son objectif n’en reste pas moins désormais de se libérer de ce fardeau jugé de plus en plus insoutenable par sa propre population. Il veut donc impliquer les Européens dans la crise, mais il sait aussi qu’il perdrait tout en mettant sa menace à exécution ouvrant une crise majeure avec l’Union. Les réfugiés sont avant tout une arme de dissuasion pour Recep Tayyip Erdogan
Cette fuite en avant est elle le signe d’un isolement croissant ?
La Turquie veut montrer qu’elle n’a plus besoin d’être accompagnée : elle s’est autonomisée avec la crise syrienne, où elle revendique de défendre d’abord ses intérêts. Depuis 2011, Ankara demandait l’instauration d’une zone de sécurité au nord de la Syrie pour protéger sa frontière, dont elle serait la garante dans le cadre d’une opération internationale. Paris avait soutenu un temps cette idée, mais ni l’administration Obama ni les autres Européens n’avaient suivi. La question se pose aujourd’hui en des termes différents. Grâce à son allié russe, le régime de Damas a gagné la guerre et veut reconquérir l’intégralité de la Syrie : la présence turque en trois points du territoire est mal vécue. L’affrontement avec la Turquie, semblait inévitable et il est désormais ouvert.


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