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Russie : le coronavirus, cette épine dans le pied de Vladimir Poutine

samedi 21 mars 2020 par Charles

« Tout est sous contrôle », assure le président russe. Les raisons très politiques qui le poussent à minimiser l’ampleur du fléau. Par Marc Nexon

Modifié le 20/03/2020 à 13:12 - Publié le 20/03/2020 à 10:41 | Le Point.fr

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La dénonciation vient de l’un des plus proches alliés de Moscou : Alexandre Loukachenko, le président à poigne de la petite Biélorussie. « L’infection du coronavirus flambe en Russie », dit-il. Celui qui partage près de 1 000 kilomètres de frontière commune avec le grand voisin russe n’apporte aucune preuve, mais il énonce tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.
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Un coup d’œil aux statistiques suffit à donner du crédit à son propos. Depuis le début de l’épidémie, la Russie compte officiellement 199 personnes infectées et un mort. Une femme âgée de 79 ans décédée le 18 mars à Moscou. Soit une proportion dérisoire au regard d’une population de 145 millions d’habitants. Même le Luxembourg avec ses 203 cas surpasse le continent russe. Sans parler du record italien établi à plus de 35 700 malades (au jeudi 19 mars). Et si l’on admet que les autorités ont effectué 133 000 tests comme elles le prétendent, la Russie affiche le taux de réponses positives le plus faible au monde.
Soif de pouvoir
Dès lors, comment expliquer que le coronavirus parti de Chine ait pu enjamber une dizaine de fuseaux horaires pour échouer au cœur de l’Europe en épargnant le plus vaste État de la planète ? Difficile d’imaginer que la fermeture de la frontière avec la Chine décidée fin janvier par Moscou ait permis d’obtenir un tel résultat.

Il y a une raison. Elle est politique. Vladimir Poutine dispose d’un agenda printanier chargé. Le 22 avril, il entend soumettre par référendum son projet de nouvelle Constitution. Un texte qui se résume à une priorité : lui permettre de réoccuper le fauteuil présidentiel à l’issue de son mandat en 2024. Et de poursuivre ainsi son règne jusqu’en 2036 s’il le désire.
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Il coche aussi une autre date. Celle-là, quasi sacrée : le 9 mai, jour où le pays doit célébrer le 75e anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie. Avec une brochette de chefs d’État parmi lesquels Emmanuel Macron convié au défilé de 10 000 militaires, dont des soldats français. Un rassemblement grandiose pour un Poutine en pleine lumière.

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« Mensonges flagrants »
Face à ces deux échéances, le coronavirus joue les trouble-fêtes. Résultat, le pouvoir tarde à faire état de la réalité. Et s’enfonce dans des « mensonges flagrants », accuse même un rapport des services de l’Union européenne. Un regroupement de médecins anonymes raconte ainsi avoir été alerté d’un afflux imminent de patients souffrant de pneumonie. Les chiffres de Rosstat, l’agence officielle des statistiques, indiquent un bond de 39 % des pneumonies en janvier. Soit 2 000 cas probables de coronavirus. Mais le mot n’est jamais prononcé.
En Russie, il est vrai, chacun a conscience de l’état de délabrement des équipements sanitaires et vit avec la hantise de devoir séjourner dans un hôpital. Ces derniers jours, des malades atteints du virus et admis à l’hôpital 40 de Kommounarka, près de Moscou, ont pris la poudre d’escampette avant d’être ramenés par la police. Deux femmes se sont également enfuies d’un établissement de Saint-Pétersbourg. Au même moment, une nouvelle déconcertante est tombée. C’est Evgueni Prigozhine, un oligarque proche de Poutine, qui se chargera de fournir la nourriture aux deux futurs hôpitaux destinés à accueillir les malades du coronavirus. Or l’intéressé souffre d’une réputation exécrable. Pas seulement en raison de ses « usines de trolls » accusées d’ingérence dans les élections américaines de 2016. Il possède aussi une compagnie de restauration. Plutôt douteuse, car en décembre 2018 celle-ci a intoxiqué 127 enfants de 7 écoles maternelles.

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Bas les masques
Autre source d’inquiétude : les tests. Le plus grand flou entoure leur fabrication. Une société de Kazan aurait reçu la mission de fournir 100 000 équipements et 56 mini-laboratoires. Sauf que nul n’en connaît le propriétaire. « Ça sent le détournement de fonds », a souligné Alexeï Karnaoukhov, du centre anticorruption affilié au parti Iabloko. Quant aux masques, le gouvernement aurait décidé de confier une partie de la fabrication aux prisonniers et aux militaires.
Tout en continuant à minimiser l’ampleur du fléau, Poutine comprend désormais qu’il peut tirer un bénéfice politique de la situation. Lors de son allocution devant le Parlement, il a cité le coronavirus comme facteur d’« instabilité » au même titre que les menaces extérieures venues de l’ouest. Sous-entendu : lui seul peut garantir la stabilité du pays. Et pour longtemps.
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Le 17 mars, il a même visité un centre d’information sur le coronavirus. Parmi les outils déployés, 9 000 caméras de surveillance supplémentaires, des instruments de reconnaissance faciale destinés à vérifier les quarantaines et la censure des « fausses informations » diffusés sur les réseaux sociaux. Une panoplie qui s’accompagne de la fermeture des établissements scolaires et de l’annulation des événements sportifs. Avec, en prime, l’interdiction des rassemblements de plus de 50 personnes. Une dernière mesure qui vient à point nommé pour tuer dans l’œuf le projet de l’opposition de manifester contre « le coup d’État constitutionnel ». Poutine l’affirme : « Tout est sous contrôle. »
La rédacti


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