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À l’école du coronavirus : pouvons-nous faire mieux que l’Italie, l’Espagne, la France et les États-Unis ?

samedi 4 avril 2020 par Charles

Le Dr Johan James Vilus, ancien directeur d’hôpitaux (hôpital du Canapé Vert, hôpital Saint-François de Sales) et ancien assistant-chef de mission de MSF, produit une réflexion sur la pandémie de coronavirus qui frappe le monde actuellement. Le spécialiste analyse pourquoi certains pays, même bien lotis en matière de santé, sont frappés de plein fouet par le virus. Nous publions une première partie la réflexion du Dr Vilus.
Publié le 2020-04-03 | Le Nouvelliste
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La pandémie de coronavirus est une école planétaire à laquelle les populations et dirigeants du monde entier ne cessent d’apprendre. Des notes sont attribuées à chaque pays en fonction d’une seule matière, le nombre de décès liés à la maladie. Ici, seule la note obtenue compte. Les moyens, efforts ou stratégies ne retiennent que très peu l’attention… si tout se passe bien. Cette réflexion essaie 1) de comprendre la performance de certains pays 2) d’analyser la performance anticipée pour Haïti 3) de proposer une voie de sortie.
I. LA PERFORMANCE DES PAYS MESURÉE À L’AUNE DU CORONAVIRUS
L’épidémie de coronavirus ne tue pas autant dans tous les pays. Le taux de létalité[1] a permis de diviser, toutes choses étant égales par ailleurs, les pays du monde en quatre groupes : les bons élèves[2], les cancres[3], les marginaux[4] et les autres[5].
Les bons élèves. À l’exception notable de l’Allemagne, les bons élèves sont tous asiatiques (Chine, Taïwan, Singapour, Corée du Sud, Japon) et ce n’est pas un hasard. 1) leur préparation était supérieure à celle des autres pays, en tous points. Parfaitement compréhensible, ils avaient tous retenus les leçons des épidémies similaires (MERS[6], SRAS[7], grippe aviaire). 2) leur plan de réponse était déjà prêt. 3) leur capacité de réponse pouvait s’appuyer sur un imposant dispositif de dépistage. 4) ils appliquent tous des stratégies différentes adaptées à des réalités épidémiques différentes. 5) ils se caractérisent tous par leur grande discipline sociale et une cohérence dans les choix décisionnels.
Les cancres. Ils sont pour la plupart des pays européens (Italie, Espagne, Royaume-Uni, France) auxquels s’ajoutent deux pays non européens (l’Iran et les États-Unis). Une combinaison de facteurs explique leur situation. 1) une impréparation ; 2) une mauvaise appréciation de l’ampleur de l’épidémie. 3) une capacité de réponse inadaptée. La France et les États-Unis ne pouvaient réaliser au début de l’épidémie que 2 500 tests par jour ; 4) des choix décisionnels douteux. L’Angleterre avait initialement opté pour l’immunisation de masse avant de se rétracter ; 5) des caractéristiques socioculturelles et démographiques particulières. L’Italie a la population la plus vieille d’Europe.
Les marginaux. Il existe en fait deux catégories de marginaux. 1) les tenants de l’immunisation de masse (Pays-Bas et Suède) et 2) Cuba.
Le principe scientifique de l’immunisation de masse est simple. Si une grande partie de la population contracte la maladie, la majorité des individus développeront une immunité contre elle, et stopperont ainsi la pandémie. Cependant, chaque maladie a son « seuil d’immunité grégaire ». Celui du coronavirus est de 50 à 70%. Ainsi, il faudrait que 50 à 70% de la population soit infectée pour créer cette immunité. Cependant, il laisse derrière lui un lourd bilan humain. C’est ce qui a porté l’Angleterre à changer d’avis.
Cuba est une exception et un modèle de solidarité. Il est l’un des rares pays à offrir l’expertise de ses médecins.
II. LA PERFORMANCE ANTICIPÉE D’HAÏTI
Elle sera analysée à partir 1) du modèle de calcul de propagation de l’épidémie ; 2) de la capacité présumée de riposte du système de soins ; 3) de la pyramide des âges ; 4) de situations sanitaires antérieures.
Le modèle de calcul. Le modèle utilisé est le SEIR (Susceptible-Exposé-Infectieux-Rétabli). Son principe est simple 1) la population est décomposée en fonction des statuts infectieux [8] ; 2) la population est supposée être répartie de manière homogène dans l’espace étudié. Dans la pratique, les choses sont plus complexes. La population n’est pas une simple liste de noms et un ensemble de relations. C’est un système où les liens interagissent, subissent des transformations dans le temps et l’espace. De la sorte, le modèle de propagation de l’épidémie doit être compris pour ce qu’il est : une simulation ; et utilisé avec prudence tenant compte de ses limites. Enfin, il ne doit pas être vu pour ce qu’il n’est pas : une sorte de prophétie auto-réalisatrice.
La capacité de riposte du système de soins. Les deux facteurs les plus fiables pour prédire la performance d’un pays sont 1) le niveau la préparation ; 2) la rapidité et la pertinence de la riposte. La riposte est liée dans une certaine mesure au système de soins. Mais elle n’est nullement conditionnée uniquement par cela. Dans un souci de simplification extrême, beaucoup ont résumé cette capacité de riposte en nombre de lits d’urgence ou de respirateurs disponibles. Vu sous cet angle, aucun pays ne disposerait d’une capacité de réponse appropriée.
Dans la pratique les choses sont plus nuancées. Malheureusement l’exception chinoise et le coup médiatique de la construction d’un hôpital en dix jours a voulu s’imposer comme norme ; masquant le fait que pour une population de 11 millions environ, les Chinois n’ont ajouté que… 2 500 lits supplémentaires[9].
La pyramide des âges. Si le virus frappe toutes les tranches d’âge, les personnes de plus de 65 sont les plus susceptibles de mourir. Elles ne représentent que 6% de la population [10], soit 720 000 personnes[11].
Les situations sanitaires (tuberculose et choléra) du passé.
Des décennies de lutte contre la tuberculose font qu’il est rare de voir un Haïtien tousser ou éternuer sans se couvrir le visage, il s’agit de lui dire de couvrir son visage avec son coude. De plus la vaccination au BCG, obligatoire à la naissance, serait un facteur protecteur selon les conclusions d’une étude récente (2020) conduite par Otazu et al.
Le choléra avait induit une campagne nationale de sensibilisation à l’importance du lavage des mains. Les habitudes n’ont pas complètement changé mais il existe une fondation sur laquelle on peut bâtir.
[1] Le taux de létalité est obtenu en divisant le nombre de décès liés au coronavirus par le nombre de personnes contrôlées positives.
[2] Les bons élèves ont un taux de létalité faible et/ou ont pu réussir à inverser la tendance de l’épidémie.
[3] Les cancres affichent un taux de létalité élevé et/ou ont toutes les peines du monde à juguler l’épidémie.
[4] Les marginaux affichent des profils assez singuliers.
[5] Ceux dont les caractéristiques ne répondent à aucun des groupes précédents sont classés dans la catégorie « autres ».
[6] Syndrome respiratoire du Moyen-Orient, l’acronyme dérive de l’anglais Middle East Respiratory Syndrome.
[7] Syndrome respiratoire aigu sévère
[8] Susceptible-exposé-infectieux-rétabli.
[9] En construisant deux hôpitaux respectivement de 1 000 lits (le plus médiatisé) et 1 500 lits
[10] Enquête sur la mortalité la morbidité et l’utilisation des services (EMMUS VI).

[11] Avec une population estimée à 12 000 000 de personnes.
Le texte a été modifié pour tenir compte des limitations du journal imprimé. La version complète de l’article est disponible dans la présentation en ligne du journal ou sur demande.

Johan James VILUS et al. jjvilus@yahoo.com, ancien directeur d’hôpitaux (Hôpital du Canapé Vert, Hôpital Saint-François de Sales), ancien assistant-chef de mission de MSF


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