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jeudi 16 avril 2020 par Charles

Les yeux grands ouverts sur la mort
Comprendre ce phénomène pour mieux aborder sa vie « En toute chose, il faut considérer la fin. » La Fontaine

Publié le 2020-04-15 | Le Nouvelliste

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Le grand écrivain et philosophe Albert Camus résumait, dans une petite phrase lapidaire, le tragique de la condition humaine : « Les hommes meurent…Et ils ne sont pas heureux. » Si les hommes étaient heureux durant leur court passage sur terre, ils pourraient se résigner à la mort, vue comme la disparition totale. D’un autre côté, s’ils ne mouraient jamais, c’est-à-dire si leur existence était éternelle, ils pourraient accepter une vie marquée du sceau de la souffrance.
L’histoire du roi de Perse
On raconte l’histoire d’un ancien roi de Perse qui voulait percer le secret de la vie humaine. Il demanda alors à l’homme le plus sage et le plus instruit de son royaume d’entreprendre cette lourde et difficile tâche.
Quelques années plus tard, ce dernier lui apporta trois volumes de mille pages sur l’Histoire des Hommes depuis leur origine.
- Sire, dit-il, voici le travail demandé.
Mais, à cette époque, le roi était en train de résoudre des problèmes relatifs à l’organisation de son royaume. Contrarié, il lui dit :
« Tu vois comme je suis confronté, jour et nuit, à des problèmes d’État de la plus haute importance. Où penses-tu que je puisse trouver le temps de lire toutes ces pages ? Ne peux-tu condenser tout cela en un seul volume ? »
Chose dite, chose faite. Un an plus tard, l’écrivain se présenta devant le roi avec un seul tome de l’histoire de l’humanité. Malheureusement le souverain menait alors une terrible guerre contre un autre État.
- Cette guerre me tracasse tellement que je peux à peine dormir la nuit. Mille pages ! Tu imagines ! J’aurais bien aimé avoir autant de temps libre que toi. Ne peux-tu résumer davantage cette histoire ?
- D’accord, mon Roi répondit calmement le sage.
Et il se remit une nouvelle fois au travail. Après quelques mois, il lui apporta un condensé de deux cents pages. Le roi, était alors très souffrant, affaibli, et paraissait beaucoup plus vieux.
- J’apprécie ton dévouement. Mais je me porte si mal que je n’ai point la force de lire même ce résumé que tu viens de produire. Je connais ton grand esprit de synthèse. Un tout dernier effort : fais-moi un petit opuscule de trente pages.
Une nouvelle fois, le sage reprit la rédaction de son ouvrage. Quand il revint, le monarque était à l’article de la mort. D’une voix haletante, à peine audible, il demanda à l’écrivain :
« Mon ami... Dis-moi…. en quelques mots… la principale… caractéristique de la vie humaine »
Alors, le sage de répondre, plein de compassion pour son roi :
« Sire, c’est la souffrance… De la naissance à leur mort, les hommes souffrent. Comme vous, en ce moment ! Il y a la souffrance de la vieillesse, celle de la maladie, celle de la mort. Et ceci commence dès la naissance, la toute première des souffrances. »
Pourquoi prétendre que la vie est essentiellement souffrance ?
Certes, la vie ne se résume point à la peine et à la douleur. Elle est vaste, globale, même si nous avons tendance malheureusement à la fractionner, à la réduire à un petit secteur, dépendamment de notre champ d’intérêt ou d’action. Elle apparait davantage comme une alternance de joie et de peine.
Toutefois, à regarder de près, l’on constate que la souffrance reste et demeure le dénominateur commun de l’existence. Il y a d’abord la souffrance physique due à un traumatisme, un handicap, à la maladie, telle la nouvelle pandémie de Covid-19 qui tue aujourd’hui des dizaines de milliers de personnes, qui nous menace et contre laquelle la médecine moderne démontre son impuissance. Il existe aussi la souffrance qui résulte de la difficulté de satisfaire ses besoins de base ou d’autres, superfétatoires créés et entretenus par une publicité organisée.
Mais il y a encore la souffrance morale ou mentale que nous nous infligeons souvent à nous-mêmes en coloriant (en interprétant) la réalité avec nos pensées, nos sentiments et nos émotions. Cette dernière est imputable le plus souvent à nos peurs, au « cercle vicieux et sans fin du désir et de l’attachement » encouragé par une société de consommation qui survalorise les biens matériels et entretient le culte de l’ego et du paraitre.
Ajoutons-y pour compléter le tableau, la souffrance philosophique ou existentielle due à l’incapacité de trouver un sens à sa vie, à la peur refoulée de la mort, cette échéance que nous essayons d’oublier par une consommation et des activités frénétiques et que vient nous remettre en mémoire le nouveau coronavirus SARS-Cov-2.
Pourquoi essayer d’abord de comprendre la mort ?
Le déni de la mort est une caractéristique fondamentale de la civilisation occidentale. La mort est absente de nos conversations, de nos réflexions, de l’éducation que nous donnons à nos enfants. L’homme se conduit comme si son existence sur terre devait durer éternellement. Pour répéter Sogyal Rimpoché, « nous sommes semblables à des enfants qui se couvrent les yeux dans une partie de cache-cache et s’imaginent ainsi que personne ne les voit ». Ce jeu de cache-cache avec la mort, ce refus d’accepter notre « Condition Humaine », nous entraîne à construire notre existence sur du sable. Le monde illusoire que nous avons bâti nous parait merveilleux et réel jusqu’à ce que la mort d’un proche, de plusieurs proches, de plusieurs de milliers de proches ou l’imminence de la nôtre fasse s’écrouler cette fantasmagorie. Pourquoi ne pas commencer par l’étude des finales, comme le recommandait au jeu d’échecs, le grand joueur cubain José Raoul Capablanca ?
Il existe généralement trois attitudes face à l’existence. Il y a d’abord l’attitude de ceux qui ont trouvé ou, du moins, croient avoir trouvé définitivement la réponse. Cette dernière, ils l’auraient obtenue soit dans une religion, soit dans l’athéisme, le scientisme, le marxisme, le capitalisme, ou dans un « isme » quelconque. Il s’agit de « gens de foi », fidèles à leur croyance, souvent portés au dogmatisme et au prosélytisme. Un deuxième comportement s’observe fréquemment. C’est celui de l’homme qui ne s’est jamais interrogé, ne s’interroge pas, n’ose pas s’interroger, car il a à la fois peur de trouver, peur de ce qu’il pourrait trouver et peur de ne pas trouver. Quant à la troisième attitude, c’est celle des chercheurs, des audacieux engagés dans une quête constante et qui abordent la question avec courage, ouverture d’esprit et sans idée préconçue.
Si l’on veut comprendre la vie, il faut commencer par appréhender la mort. Vos choix, vos décisions, votre attitude dans la vie dépendent, consciemment ou non, du sens que vous accordez à la mort. Accepter l’inéluctabilité de cette dernière, l’intégrer dans sa vie quotidienne au lieu de la fuir, l’apprivoiser, admettre qu’elle peut survenir à tout moment, n’importe où, n’importe comment, permet de vivre avec plus de sérénité, de joie, et de composer avec les aléas de l’existence. Que signifie-t-elle ? La destruction totale, la néantisation ? Que se passe-t-il en ce moment ultime et après ? Autant de questions auxquelles chacun d’entre nous se devrait de répondre avec courage. La « religion sans preuve et la science sans espoir », pour reprendre les termes d’Edouard Schuré, ont tenté d’apporter leur réponse, mais n’ont fait trop souvent qu’augmenter la peur, le désarroi et la confusion.
Qu’est-ce que la mort du point de vue de la médecine ?
C’est la « cessation complète de toutes les activités vitales et biologiques ». Mais une telle définition ne résout point le problème, car elle ne fait que définir un concept, un état, par son contraire. La mort serait donc l’absence de vie. Et qu’est-ce que la vie ? Comment sait-on que toutes les activités vitales ont cessé ? Car la grande question est la suivante : à quel moment peut-on déclarer de façon irrémédiable et irréversible, qu’une personne est décédée, qu’elle est « parfaitement morte » ? Comment savoir qu’il ne s’agit point d’un coma, d’une réduction considérable, spontanée ou provoquée mais réversible, des fonctions vitales ? Ceci expliquerait ces rocambolesques histoires de vampires, de zombies, de morts sortant de leurs tombes dans les entreprises funéraires et « retués », renvoyés dans le « Hadès ». D’où le concept médical de « mort clinique ». Les critères de diagnostic de la mort ont évolué au fil du temps et des progrès de la technologie. Autrefois, c’était le croque-mort qui décrétait le décès d’une personne quand elle ne manifestait aucune réaction à la morsure du gros orteil : simple test de sensibilité . Par la suite, l’arrêt respiratoire fut considéré comme le témoin le plus sûr du passage de vie à trépas. Si un miroir placé devant la bouche du mourant ne se couvrait pas de buée, on en concluait à la mort, car cela voulait dire qu’il n’y avait pas d’émission de vapeur d’eau et de gaz carbonique, donc pas d’expiration. Plus tard, l’arrêt cardiaque a été utilisé comme critérium. Avant la découverte du stéthoscope par Laënnec, l’on se contentait de poser l’oreille sur la poitrine du mourant. Puis, ce nouvel instrument a été utilisé jusqu’à l’apparition de l’électrocardiographie. Désormais, un tracé électrique plat du cœur signait le passage dans l’autre monde. On s’est, par la suite, rendu compte de la prééminence du cerveau, siège présumé de la pensée et de la conscience. Un électroencéphalogramme plat devenait, dès lors, le signe pathognomonique (définitif) de la mort. Ainsi, les critères ont évolué avec le temps et, poser le diagnostic de mort est devenu désormais l’apanage du médecin. Aujourd’hui, dans les services modernes de réanimation, pour déclarer mort un patient, il faut à la fois un état d’inconscience totale, une absence de respiration spontanée et deux électroencéphalogrammes plats de trente minutes à quatre heures d’intervalle, ou encore, la preuve d’une absence de circulation cérébrale par angiographie. Quand ces conditions sont remplies, on arrête tout et l’on peut procéder au prélèvement d’organe. En dépit de toute cette codification technique, la frontière entre la vie et la mort demeure floue et cette dernière conserve obstinément son mystère….

Dr Erold Joseph eroldjoseph2002@yahoo.fr et eroldjoseph2002@gmail.com
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