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À la mémoire de Guiteau Toussaint 16 Publié le 2020-06-15 | Le Nouvelliste

mardi 16 juin 2020 par Charles

« Bonjour Lalime, tu ne vas pas imaginer combien je suis content d’avoir de tes nouvelles. Content aussi d’apprendre comment tu évolues à l’université du Québec à Montréal. Félicitations ! Côté BNC, ça avance surtout après le choc de l’absorption de la Socabank. À propos de ton projet, je vais le revoir avec la direction du marketing, et je te ferai part de nos commentaires. Sincères salutations. Tiens bon. Guiteau Toussaint. »
C’est le contenu de mes derniers échanges avec Guiteau, quelques heures avant son assassinat le dimanche 12 juin 2011 chez lui, à l’âge de 56 ans. Le hasard a voulu que je figure parmi les dernières personnes avec qui il avait communiqué avant sa mort tragique et révoltante. Le projet dont il parlait dans ce message était justement ma chronique : « Des idées pour le développement ». Il m’encourageait à garder une présence dans la presse économique malgré mon absence du pays pour des raisons académiques. Guiteau était très convaincu de l’importance d’avoir une presse économique spécialisée afin de participer à une plus large éducation économique et financière de la population.
Deux ans plus tard, dans le cadre de mes études doctorales, je vais comprendre que Guiteau était en train de me convaincre du rôle de la presse économique spécialisée dans l’augmentation du niveau de littératie financière des ménages. Et que ce niveau de littératie financière était étroitement lié à la création des richesses, individuelles et collectives. Cela va être la thématique de ma thèse de doctorat. C’est à ce moment que j’ai tenté de prendre contact avec le successeur de Guiteau Toussaint à la tête de la Banque nationale de crédit (BNC), M. Jean Philippe Vixamar. Celui-ci m’avait avoué qu’il souhaitait entrer en contact avec moi, car c’était le dernier dossier dont Guiteau lui avait parlé et auquel il voulait donner suite.
C’est ainsi que la BNC va être le sponsor de la chronique de mars 2012 à juin 2020 avec une période de rupture entre octobre 2015 et novembre 2016. Durant cette période, le président du conseil avait justifié sa décision de résilier le contrat par l’absence de rentabilité de la chronique pour la BNC. Tout le contraire du visionnaire Guiteau Toussaint.
Guiteau Toussaint était davantage convaincu que moi-même de l’importance d’avoir beaucoup plus de chroniqueurs économiques spécialisés dans les médias haïtiens. Il avait pris mon projet de chronique très au sérieux. Plus que je l’aurais imaginé. Je profite de cette parenthèse pour remercier Jean Philippe Vixamar et Fernand Robert Pardo, deux des présidents du conseil d’administration de la BNC, qui ont donné suite à la volonté de Guiteau Toussaint.
La promotion de l’excellence
Ce qui m’avait impressionné chez Guiteau, c’était son parti pris pour l’excellence. Je n’avais aucun lien avec lui, sinon qu’il appréciait mes articles à la page économique du journal Le Matin. Ma première rencontre avec lui, c’était pour une entrevue concernant ses réalisations à la tête de la BNC, réalisations pour lesquelles il a été désigné « Fonctionnaire public de l’année 2007 par le journal Le Matin » (voir l’édition du 28 décembre 2007). C’est durant cet entretien que j’avais compris qu’il s’agissait d’un trait de son caractère : il était toujours à la recherche de l’excellence, toujours prêt à encourager l’effort, toujours enthousiaste à supporter tout ce qui peut refaire l’image du pays à l’étranger.
Cet amour pour le talent et l’excellence, je peux en témoigner. Quand je l’ai rencontré, il m’a accueilli comme si l’on se connaissait depuis longtemps. Le prétexte : « Thomas, tes articles sont bien écrits et bien argumentés. Félicitations ! ». Le jour de sa mort, il se réjouissait de savoir que je venais de réussir mes examens de synthèse au programme de doctorat en économie.
Guiteau ne cachait pas son admiration pour la compétence de feu Thélusma Frédéric, vice-président du comité de restructuration de la BNC, qui l’avait accompagné dans la rude tâche d’inculquer une nouvelle culture du service et de résultats à la Banque nationale de crédit (BNC). Il ne voulait pas s’accaparer de la gloire. Il me disait qu’il s’agissait d’un travail d’équipe et qu’il a été bien encadré et supporté dans l’aventure consistant à sauver la BNC de la banqueroute. Il s’entourait de gens brillants, en particulier des jeunes.
L’idéal du service public
Le deuxième élément important de la réponse de Guiteau à mon courriel, c’était sa rapidité. Cela faisait partie de son souci quotidien de satisfaire tout le monde au mieux de ses possibilités, qualité qu’il a transmise comme base du service à la clientèle de la BNC durant sa présidence. Il m’avait confié qu’il se chargeait parfois lui-même de répondre aux sollicitations des clients ou de demander à ses collaborateurs d’en faire le suivi sans délai, contrairement à la coutume dans la fonction publique. Il n’hésitait pas à mettre la main à la pâte, oubliant parfois qu’il était le président du conseil d’administration. Durant mon entrevue avec lui, les gens pénétraient parfois sans hésiter dans son bureau avec le sourire aux lèvres.
Guiteau m’avait avoué qu’il savait travailler 16 heures par jour lors de la première phase du sauvetage de la BNC. Car assainir 50 % de prêts délinquants, passer de 450 employés à 240, sauver la banque d’une faillite technique… ressemblaient à une mission impossible au point de n’intéresser aucun professionnel dans un pays pourtant habitué au lobbying lorsqu’il s’agit de postes ministériels et de direction générale. C’est cette impossibilité de trouver un haut cadre honnête, compétent et prêt à sauver la BNC qui a conduit Guiteau à quitter son confort de directeur général du ministère de l’Économie et des Finances pour l’aventure si risquée du sauvetage de la BNC.
La réforme en profondeur du fonctionnement de la BNC, des ressources humaines sur les plans qualitatif et quantitatif et la recapitalisation de la banque figuraient parmi les priorités du plan de restructuration élaboré par Guiteau. Contre la mauvaise gestion coutumière, il a fallu de la rigueur administrative, contre le conservatisme familier, il a fallu une vision claire et nette et au déficit de compétence et à l’absence d’adaptation aux changements survenus dans le secteur bancaire, il a fallu une capacité d’innovation pour ne conserver de la BNC que le nom. D’où le slogan : « Le même nom, une autre banque ». Quatre ans plus tard, en 2003, la mission a été accomplie avec maestria au point d’intéresser de grandes écoles américaines de gestion qui voulaient faire de l’expérience de la BNC un cas d’espèce.
Le choc d’absorption de la Socabank
La troisième phrase de Guiteau à mon endroit concernait son nouveau défi à lui attribué par les autorités fiscales et monétaires en 2007 : l’absorption de la Socabank. Il considérait cette initiative comme un choc pour la BNC. Comme un réparateur des krachs, il n’a pas rechigné. Il a accepté le nouveau chalenge pour lequel il réclamait trois ou quatre ans pour tout assainir. Alors que l’on craignait un Socagate capable de chambarder le secteur bancaire haïtien et d’anéantir la confiance nécessaire au bon fonctionnement du système, l’opération s’était passée comme une lettre à la BNC, au temps de Guiteau.
Au moment où le pays connait une des pires crises de personnalité de caractère et où les cadres et les dirigeants sont manipulables et corruptibles, Guiteau devait en grande partie sa réussite à sa personnalité, son caractère imperturbable, calme, patient, modéré et jovial. Il me disait vouloir préférer la démission au lieu de compromettre ses performances, et ce, même durant les périodes de fortes turbulences des années 2002 et 2003. « Mieux vaut payer un salaire régulier à un individu incompétent en le gardant en dehors de l’institution au lieu de l’intégrer au sein de l’équipe », affirmait-il, en commentant le surpeuplement et l’inefficacité qu’ont connus certaines entités de l’administration durant cette période.
À ma question de savoir s’il était prêt à sauver la Teleco, l’Ed’H et les autres entreprises publiques en faillite, Guiteau s’était contenté de répondre que l’expérience qu’il avait faite à la BNC pouvait être répliquée à toutes les institutions publiques roulant au bord de l’abîme. Dommage ! Les bandits ne lui ont pas laissé le temps de sauver d’autres institutions publiques.
Notre chère Haïti Thomas a perdu l’un de ses dignes fils. Celui qui a tout donné pour sa patrie a reçu, en récompense, une balle en plein visage, chez lui. Alors que partout dans le monde, il aurait été vénéré et comblé de médailles d’honneur. L’Haïti d’aujourd’hui a besoin des centaines et des milliers de Guiteau Toussaint. Pour l’ensemble des œuvres de Guiteau et pour l’honneur de la patrie, justice doit être faite.
Mais le plus dur à accepter est que l’État haïtien reste muet face à la disparition de ses plus fidèles serviteurs. Neuf ans plus tard, l’enquête se poursuit encore. On ne réclame plus de justice pour Guiteau. Pas même l’Association professionnelle des banques (APB). Comment un grand commis de l’État peut-il connaître un tel destin sans provoquer l’indignation de ses collègues ? Je ne peux m’empêcher de penser à l’ancien directeur de la Commission nationale des marchés publics (CNMP), l’ingénieur Robert Marcello, lui aussi ancien cadre de la BNC. Ou encore à l’ex-directeur central de la police judiciaire, Michaël Lucius, criblé de balles en rentrant chez lui. Que dire des nombreux policiers morts sur les lieux de travail ?
Mon cher Guiteau, tu ne seras jamais effacé de la mémoire des gens qui t’ont connu ! De ton vivant, des universités étrangères voulaient étudier le sauvetage de la BNC comme « succes story ». Tu as marqué positivement ton passage sur cette terre. Tu fais donc partie d’une catégorie très rare.
Thomas Lalime
thomaslalime@yahoo.fr

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