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« L’Arabe du futur » de Riad Sattouf : autopsie d’un succès

jeudi 18 juin 2020 par Charles

Dans le tome II de son roman graphique, Riad Sattouf continue de raconter son enfance dans la Syrie des années 1970.
Par Frédéric Potet Publié le 25 juin 2015 à 14h39 - Mis à jour le 30 juin 2015 à 16h33

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Le tome II de "L’Arabe du Futur" de Riad Sattouf (ici, le 12 juin 2015 à Paris), a bénéficié d’un tirage initial de 100 000 exemplaires. Thomas Oliva / AFP
Il faut appeler un chat un chat, écrivions-nous ici même il y a un an pour évoquer le « bide » du ­deuxième film de Riad Sattouf, Jacky au royaume des filles, six ans après le succès des Beaux Gosses (900 000 entrées). L’évidence se posait là en effet : avec 150 000 entrées payantes, ce long-métrage au budget de 8 millions d’euros sur le thème – complexe – de ­l’inversion des rapports de domination homme-femme n’avait pas trouvé son public. Riad Sattouf, né en 1978 à Paris, était alors revenu à sa discipline d’origine, la bande dessinée, avec L’Arabe du futur. Dans ce roman graphique, il conte sa jeunesse en Libye et en Syrie, où son père, chantre du panarabisme, avait emménagé avec femme et enfants.
Pas un sujet facile non plus, de prime abord. Qui irait se passionner pour cette histoire familiale se déroulant il y a trente ans dans un Moyen-Orient écartelé entre archaïsme et progrès ? S’il faut appeler un chat un chat, alors parlons ici de succès. Le premier tome s’est vendu à 200 000 exemplaires – du rarement vu pour un roman graphique. Il a été traduit en quatorze langues et a obtenu, en janvier, le Fauve d’or du meilleur album de l’année 2014 au Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.
Une mise en avant exceptionnelle
La sortie du deuxième volume, il y a un mois, a donné l’occasion à Riad Sattouf de vivre ce que peu d’auteurs de BD ont eu la chance de connaître dans leur carrière : des sollicitations médiatiques à foison, une présence en librairie tous azimuts, un bouche-à-oreille du tonnerre… Peu de doute à avoir : L’Arabe du futur 2 devrait faire un malheur sur les plages, cet été. Mais ne demandez pas à son auteur de se pencher sur les raisons de ce succès. « Je n’ai pas d’explication particulière à donner. Ce n’est pas à moi qu’il faut demander cela. A chaque fois que je me lance dans un projet de livre ou de film, je fais ce qui me semble être le mieux pour le public, sans chercher à analyser quoi que ce soit », lâche-t-il, dans une langue de bois digne d’un footballeur professionnel après un match gagné haut la main.

Dans les souvenirs du petit Riad évoqués dans le tome II de "L’Arabe du futur", une visite des ruines de la cité antique de Palmyre. Riad Sattouf/Allary Editions
Reste que L’Arabe du futur marche sur les pas de ­Persepolis, le best-seller de Marjane Satrapi décrivant sa jeunesse dans l’Iran de la révolution islamique. Il n’est pas interdit non plus de citer Maus, le chef-d’œuvre d’Art Spiegelman sur la Shoah, réalisé à partir du témoignage de son père. Ces différents récits ont en commun de plonger dans l’histoire contemporaine par le biais de l’autobiographie, genre littéraire que la bande dessinée a adopté depuis longtemps.
« J’ai écrit “L’Arabe du futur” en espérant que ma grand-mère puisse le lire. Et pour faire taire tous ceux qui pensent que la BD est destinée aux débiles légers »
« Les lecteurs aiment qu’on leur raconte des histoires personnelles et la BD, médium accessible au plus grand monde, est idéale pour cela. Certaines autobiographies sont même des chefs-d’œuvre, comme Vie de Mizuki dont la presse n’a quasiment pas parlé », confie Riad Sattouf, en évoquant cette trilogie de l’auteur japonais Shigeru Mizuki ayant pour cadre le Japon rural des années 1920 et de la deuxième guerre ­mondiale, publiée chez Cornelius. Le propre de ce type de récit est de viser un public plus large que celui des amateurs de bande dessinée. « Quand je suis en dédicace, je vois beaucoup de personnes qui me disent avec un air gêné : “Vous savez, je n’y connais rien…” Or, c’est précisément pour elles que je fais de la BD. J’ai écrit L’Arabe du futur en espérant que ma grand-mère puisse le lire. » En souhaitant aussi que « tous ceux qui pensent que la BD est destinée aux débiles légers », ferment leur clapet une bonne fois pour toutes.

Autres temps, autre continent : la trilogie "Vie de Mizuki", roman graphique du Japonais Shigeru Mizuki, est un chef-d’œuvre aux yeux de Riad Sattouf. Shigeru Mizuki/Mizuki Pro./Cornélius
De nombreux voyages attendent désormais Riad ­Sattouf pour la promotion de son livre à l’étranger (Brésil, Canada, Etats-Unis…). Celui-ci n’a pas encore été adapté en arabe mais plusieurs propositions sont arrivées récemment au siège des éditions Allary. Venant de quel coin du monde ? L’auteur refuse d’en dire davantage, préférant attendre que la série soit terminée pour être traduite dans « des pays de langue arabe que j’aimerais démocratiques », dit-il. Le dessinateur-réalisateur a mis en suspens ses projets pour le cinéma et la télévision. Il est actuellement attelé au troisième tome de son récit autobiographique. Un ­quatrième devrait suivre. Le futur sourit à L’Arabe du futur.

"Persepolis", le best-seller de Marjane Satrapi a ouvert la voie au roman graphique autobiographique. Persepolis 2007, Marjane Satrapi & L’Association


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