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Le mandat du Président de la République prendra-t-il fin le 7 février 2021 ou le 7 février 2022 ?

jeudi 2 juillet 2020 par Charles

Dans n’importe quel pays qui se respecte, une telle question ne se poserait même pas car une date si importante dans la vie politique du pays serait connue de tous. Alors comment expliquer cette confusion dans l’esprit des Haïtiens ?
Regardons les exigences constitutionnelles :
Le Conseil Électoral Permanent est une institution indépendante qui, selon l’article 191 de la Constitution de 1987 amendée, « est chargé d’organiser et de contrôler en toute indépendance, toutes les opérations électorales sur tout le territoire de la République jusqu’à la proclamation des résultats du scrutin. » La loi détermine ses règles d’organisation et de fonctionnement (art.199).
De plus, l’article 191.1 de la Constitution confère au Conseil Électoral Permanent la responsabilité d’« élaborer également le Projet de Loi Électorale qu’il soumet au Pouvoir exécutif pour les suites nécessaires. »
On constate que, pour organiser les élections, la Constitution exige la mise sur pied d’un Conseil Électoral Permanent (art.191) dont les règles d’organisation et de fonctionnement sont déterminées par la loi (art.199) et la promulgation d’une loi électorale (art.191.1).
L’article 149 de la Constitution de 1987 fut amendé en 2011 pour se lire comme suit :
« En cas de vacance de la Présidence de la République soit par démission, destitution, décès ou en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée, le Conseil des Ministres, sous la présidence du Premier Ministre, exerce le Pouvoir Exécutif jusqu’à l’élection d’un autre Président.
Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République pour le temps qui reste à courir a lieu soixante (60) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance, conformément à la Constitution et à la loi électorale.
Dans le cas où la vacance se produit à partir de la quatrième année du mandat présidentiel, l’Assemblée Nationale se réunit d’office dans les soixante (60) jours qui suivent la vacance pour élire un nouveau Président Provisoire de la République pour le temps qui reste à courir. »
De plus, l’article 149.1 amendé stipule que « Ce Président est réputé avoir complété un mandat présidentiel. »
On constate que cet article ne prévoit pas le cas de figure où le mandat d’un président arriverait à terme alors que l’élection présidentielle dont le résultat doit servir pour désigner son successeur n’est pas encore complétée ou n’a tout simplement pas encore eu lieu. Donc, cet article est muet quant à la façon de combler une vacance dans ce cas de figure.
L’article 134.1 de la Constitution de 1987 ne fut pas amendé en 2011 et se lit comme suit : « La durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans. Cette période commence et se terminera le 7 février suivant la date des élections. »
On constate que, lorsque cet article fut écrit en 1987, la Constitution ne prévoyait pas de situation où le mandat du Président de la République pouvait être plus court ou plus long que cinq ans. Pour ce qui est du mandat écourté, il convient de souligner qu’il ne s’agit pas ici d’un cas de démission, de destitution, de décès ou d’incapacité physique ou mentale permanente traité par l’article 149. Par conséquent, lorsqu’en 2011 l’article 134.2 de la Constitution fut amendé pour introduire le cas de figure voulant que le mandat d’un Président de la République puisse être écourté suite à un quelconque retard ou problème avec le scrutin qui l’empêcherait d’entrer en fonction le 7 février de l’année de l’élection, on aurait dû penser à amender aussi l’article 134.1 de la Constitution car désormais la possibilité qu’un Président de la République puisse perdre une partie dans la durée de son mandat de cinq ans existe. En maintenant l’article 134.1 tel quel, il alimente automatiquement une contradiction avec l’article 134.2 amendé. En effet, tandis que l’article 134.1 fixe la durée du mandat présidentiel à cinq ans, l’article 134.2 ouvre la possibilité à ce qu’elle puisse être de moins de cinq ans dans les faits.
Afin d’éviter cette contradiction, on aurait dû amender l’article 134.1 de façon à ce qu’elle s’harmonise avec l’article 134.2. Par exemple, il aurait pu se lire de la façon suivante : « La durée du mandat présidentiel est normalement de cinq (5) ans. » Cette formulation démontrerait qu’un mandat présidentiel peut ne pas être de cinq ans. L’article 134.2 viendrait alors exposer tous les cas de figure possibles. En plus d’avoir manqué cela, l’article 134.2 ne clarifie pas ce qu’on entend par l’année de l’élection dans ce cas précis. Pourtant, une clarification serait importante ici car il s’agit de choisir entre deux dates distinctes : la date où l’élection présidentielle aurait dû normalement avoir lieu, c’est-à-dire le dernier dimanche d’octobre 2015 versus celle à laquelle l’élection présidentielle a effectivement eu lieu, en l’occurrence en novembre 2016. En d’autres termes, cette formulation ne spécifie pas si l’année de l’élection correspond au dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel en cours ou s’il s’agit de la date à laquelle les élections ont finalement eu lieu suite à un retard dans son déroulement. La date de fin du mandat du Président de la République variera selon qu’il s’agit de l’une ou de l’autre date.
Regardons maintenant le cadre administratif qui a été instauré en vue d’organiser les élections :
Le « électoral du 2 mars 2015 fut publié le même jour dans Le Moniteur. Il définit les modalités d’organisation des élections des membres des conseils municipaux, des membres des Conseils d’Administration des sections communales, des membres des Assemblées des Sections Communales (ASEC), des membres des Assemblées municipales et départementales, des membres des Conseils départementaux et du Conseil interdépartemental, des Députés, des Sénateurs et du Président de la République. L’article 114.1 du Décret stipule que « Le début et la fin de la période de campagne électorale sont fixés par le CEP. » De plus, l’article 239 du Décret spécifie la façon dont les mandats des élus arrivent à terme. Il est rédigé en ces termes : « Afin d’harmoniser le temps constitutionnel et le temps électoral, à l’occasion d’élections organisées en dehors du temps constitutionnel, pour quelque raison que ce soit, les mandats des élus arrivent à terme de la manière suivante :
Le mandat du Président de la République prend fin obligatoirement le sept (7) février de la cinquième année de son mandat quelle que soit la date de son entrée en fonction ;
Le mandat des Sénateurs prend fin le deuxième lundi de janvier de la sixième année de leur mandat quelle que soit la date de leur entrée en fonction, sous réserves de l’application des articles 50.3 à 50.7 du présent Décret ;
Le mandat des Députés prend fin le deuxième lundi de janvier de la quatrième année de leur mandat quelle que soit la date de leur entrée en fonction ;
Le mandat des élus des collectivités territoriales prend fin au cours du mois de janvier de la quatrième année de leur mandat. »
On constate que le Pouvoir exécutif a pris un décret relatif à l’organisation des élections alors que l’article 191.1 de la Constitution confère au Conseil Électoral Permanent la responsabilité d’élaborer le Projet de Loi Électorale qu’il soumet au Pouvoir exécutif pour les suites nécessaires. En d’autres termes, la Constitution exige une loi mais le Pouvoir exécutif a pris un décret pour organiser les élections. De plus, ce décret introduit les formules « temps constitutionnel » et « temps électoral » qui ne se retrouvent pas dans la Constitution. Sans oublier son article 244 qui prétend, entre autres, abroger « toutes Lois ou dispositions de Lois » qui lui sont contraires. Ne dirait-on pas que ce décret est inconstitutionnel ?
La Constitution prescrit la formation d’un Conseil Électoral Permanent qui est chargé d’organiser et de contrôler les élections sur toute l’étendue du territoire de la République. Le Pouvoir exécutif a mis sur pied un Conseil électoral provisoire (CEP).
On constate que la Constitution est en vigueur depuis le 29 mars 1987. Pourtant, plus d’un quart de siècle plus tard, le Pouvoir exécutif a fait choix d’un Conseil électoral provisoire pour organiser les élections. Là encore, ne dirait-on pas que ce CEP est inconstitutionnel ?
Le 5 février 2016, l’Accord politique pour la continuité institutionnelle à la fin du mandat du Président de la République en l’absence d’un président élu et pour la poursuite du processus électoral entamé en 2015 fut signé par le Président de la République, M. Michel Joseph Martelly, le président du Sénat de la République, M. Jocelerme Privert et le président de la Chambre des députés, M. Cholzer Chancy.[1] Cet Accord démontrait clairement que tous les acteurs intéressés s’étaient engagés « dans la démarche pour trouver une solution haïtienne allant dans le sens des intérêts supérieurs du peuple haïtien, de la préservation des acquis démocratiques et de la consolidation de la cohésion nationale »[2] Parmi les décisions prises, on peut lire notamment :
Le constat du dysfonctionnement du Conseil électoral provisoire (CEP) qui avait débuté le processus électoral entamé en 2015 et la nécessité de le redynamiser en vue de poursuivre le processus électoral.
L’urgence de rassurer et d’inspirer plus de confiance à tous les acteurs impliqués dans le processus électoral.
L’élection d’un Président provisoire ayant un mandat de 120 jours maximum à partir de la date de son installation.
La nomination de nouveaux membres du CEP en vue de la poursuite du processus électoral initié au cours de l’année 2015 après évaluation des étapes déjà franchies.
On constate que les acteurs intéressés incluant les représentants des deux pouvoirs politiques s’étaient engagés à poursuivre le processus électoral initié en 2015 pour compléter les sièges vacants au Sénat de la République et à la Chambre des députés et pour finaliser l’élection présidentielle. D’ailleurs, l’Arrêté du 29 mars 2016 nommant les membres du CEP publié dans Le Moniteur du 30 mars 2016 confirme qu’ils sont nommés en vue de la poursuite du processus électoral entamé au cours de l’année 2015, conformément à l’Accord du 5 février 2016 susmentionné. Quel article de la Constitution peut-il être invoqué pour soutenir la signature d’un tel accord ? Ne dirait-on pas qu’il est inconstitutionnel ?
Sur quelle base constitutionnelle avait eu lieu l’élection du Président provisoire pour combler le vide provoqué au niveau du Pouvoir exécutif suite à la fin du mandat du Président de la République et de son départ du pouvoir le 7 février 2016 ?
On constate que l’article 149 de la Constitution traitant de vacance de la Présidence de la République ne couvre pas le vide provoqué à la fin de son mandat et de son départ du pouvoir le 7 février. Par conséquent, l’Accord du 5 février 2016 est une invention des acteurs politiques. Ne dirait-on pas, dans ce cas, que la Présidence provisoire dans ce contexte est inconstitutionnelle ?
L’Exécutif a officiellement élargi le mandat du CEP dans le cadre d’un Arrêté présidentiel en date du 27 mai 2016. Désormais, le CEP avait aussi pour mission de réaliser les élections pour le renouvellement du tiers du Sénat dont le mandat arrivait à terme en janvier 2017. Dans cet arrêté aussi, il est mentionné que le CEP qui a été créé le 29 mars 2016 avait la charge de, notamment :
Poursuivre le processus électoral initié en 2015 pour compléter les sièges vacants au Sénat de la République et à la Chambre des députés.
Finaliser les élections présidentielles.
Organiser les élections pour le renouvellement du tiers du Sénat dont le mandat arrivait à terme en janvier 2017.
On constate que l’Exécutif a officiellement demandé à ce CEP, le 27 mai 2016, d’organiser les élections pour le renouvellement du tiers du Sénat dont le mandat arrivait à terme en janvier 2017 alors que ce même CEP n’avait toujours pas complété les élections présidentielles pour lesquelles les résultats définitifs auraient dû être proclamés depuis le 6 mai 2016 et le Président élu de la République installé le 14 mai 2016, selon l’Accord du 5 février 2016. L’élargissement de ce mandat ne faisait pas partie de l’Accord du 5 février 2016. Il est vrai que quelques voix s’étaient élevées au niveau du Parlement pour qualifier d’illégal l’arrêté élargissant le mandat du CEP. Cependant, les acteurs intéressés avaient décidé de maintenir leur participation au processus électoral. Par cette décision, ils avaient donné leur accord à ce qui se passait.
Constatations
Mon analyse tend à démontrer que le processus électoral mis en place pour la réalisation des élections était probablement inconstitutionnel. De ce fait, les résultats des élections issues d’un tel processus ne sauraient être constitutionnels. Il est donc utopique de penser pouvoir déterminer les dates de fin des mandats des élus issus de ces élections en cherchant la réponse dans la Constitution. C’est peut-être même mieux ainsi. Car en invoquant la Constitution pour essayer de répondre à cette question, on sera forcé d’admettre que le processus électoral tel que mis en place était inconstitutionnel et que les mandats des élus issus de ces élections l’étaient tout autant. Veut-on vraiment aller là ? Qu’adviendrait-il alors si l’élection du Président était jugée inconstitutionnelle ? Je ne voudrais pas être celui qui va devoir répondre à cette épineuse question.
À mon avis, pour déterminer les dates de fin des mandats des élus issus de ces élections, on est obligé de considérer le cadre administratif ou le processus électoral établi de façon consensuelle par les acteurs politiques. On est forcé d’admettre qu’ils avaient pris sciemment la décision de contourner la Constitution afin de concocter ce processus électoral. Par conséquent, la date de fin du mandat de chacun d’eux doit être déterminée sur la base du cadre administratif ou du processus électoral qu’ils ont adopté d’un commun accord pour la réalisation de ces élections. À la fin de l’Accord, on peut lire ce qui suit : « Fait de bonne foi à Port-au-Prince, le 5 février 2016. »
Le Président de la République a lui-même suivi cette logique lorsqu’il a écrit dans son tweet publié le lundi 13 janvier 2020 à 12h02 du matin avoir constaté la caducité du Parlement. Il avait écrit ceci : « Ce lundi 13 janvier 2020, ramène la fin de la 50ème législature. Nous constatons la caducité du Parlement et nous prenons acte de ce vide institutionnel occasionné par le départ de la chambre des députés et des 2/3 du Sénat.[3] » Les parlementaires étaient entrés en fonction le deuxième lundi de janvier 2017. Par conséquent, dans le cas des Députés par exemple, leur mandat de quatre ans[4] devrait se terminer le deuxième lundi de janvier 2021 selon le temps électoral. Le Président de la République a constaté la caducité du Parlement le 13 janvier 2020 parce qu’il a dû savoir que les parlementaires concernés étaient élus dans le cadre du processus électoral initié en 2015. De ce fait, dans le cas des Députés, il est clair que c’est le temps constitutionnel qui fut retenu pour confirmer la fin de leur mandat, conformément à l’article 239 (c) du Décret électoral du 2 mars 2015. L’article 239 (b) du Décret fut appliqué dans le cas des Sénateurs. Étant donné que le Président de la République était lui aussi élu dans le cadre de ce même processus électoral initié en 2015, en appliquant le temps constitutionnel, son mandat arrivera à échéance le 7 février 2021, conformément à l’article 239 (a) du Décret électoral du 2 mars 2015.
En passant, l’article 134.1 de la Constitution stipule ceci : « La durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans. Cette période commence et se terminera le 7 février suivant la date des élections. » Il faudrait penser à revoir la deuxième phrase qui, telle que formulée, laisse croire que le mandat présidentiel débute et se terminera le même jour. Par exemple, puisque la première phrase précise déjà la durée du mandat présidentiel, on aurait pu se contenter d’écrire ceci dans la deuxième phrase : « Cette période commence le 7 février suivant la date des élections. » Pour connaitre la date de fin du mandat présidentiel, on n’aurait qu’à compter cinq années à partir du 7 février suivant la date des élections. Une autre façon de l’écrire serait comme suit : « Cette période commence le 7 février suivant la date des élections pour se terminer le 7 février de la cinquième année du mandat présidentiel » Il convient d’éviter toute ambiguïté dans un tel texte.
Finalement, cette façon d’écourter les mandats des élus alimente certains questionnements. En effet, Il y a lieu de définir clairement la portée de la phrase suivante qu’on retrouve dans l’article 134.2 de la Constitution : « … son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection. » Par exemple, le président élu a officiellement prêté serment et pris ses fonctions comme président d’Haïti le 7 février 2017. En disant que son mandat est censé avoir commencé le 7 février 2016 alors qu’il n’était pas encore physiquement et officiellement au pouvoir, a-t-on évalué l’implication juridique que peut entrainer une telle affirmation ? De plus, le pays était dirigé par un gouvernement provisoire du 7 février 2016 au 7 février 2017. Lequel de ces deux gouvernements pourrait-il être tenu responsable de tout acte répréhensible qui pourrait avoir été commis entre le 7 février 2016 et le 7 février 2017 ? Le gouvernement provisoire qui était au pouvoir durant cette période pourrait-il tenter de se décharger de ses responsabilités au cas où il se serait fait accuser en prétextant que le mandat du gouvernement élu qui l’a succédé était censé avoir commencé ? On pourrait continuer à se poser toute une série de questions. Une chose est certaine cependant : en matière juridique ce qui n’est pas clair peut venir vous hanter.
[1] L’intégralité de l’Accord est disponible à l’adresse Internet suivante :
https
 ://
www
.
haiti
- 
reference
.
com
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pages
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02
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06
/
accord
- 
politique
_
parlement
- 
excutif
/
[2] Textuellement indiqué dans l’Accord.
[3] Publié dans un article du journal Le Nouvelliste, le 13 janvier 2020.
[4] Article 92 de la Constitution.

Frantz Icart
Auteur


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