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Charif Majdalani, écrivain : « Beyrouth, mardi 4 août, 18 h 07 »

dimanche 9 août 2020 par Charles

Tribune
Charif Majdalani
Ecrivain
Un rugissement, des secousses, de longues minutes d’effroi… Relatant la catastrophe qui a terrassé sa ville, le romancier rappelle, dans une tribune au « Monde », qu’à l’instar du soulèvement du 17 octobre 2019, ce jour du 4 août marque une nouvelle étape dans le combat que mène le peuple libanais contre l’incurie des politiques.
Publié hier à 07h00, mis à jour hier à 17h04
Temps de
Lecture 4 min.

Tribune. Je suis sur mon balcon, en train d’écouter un message vocal, après avoir déposé sur une petite table l’assiette de fruits que je viens de finir, lorsque soudain le sol se met à bouger avec une violence incroyable, accompagné d’une sorte d’affreux rugissement. Je bondis, épouvanté, je sens le balcon aller et venir comme une pauvre balançoire et je pense évidement que c’est un tremblement de terre. L’esprit tétanisé, immobile au milieu du séisme comme si le moindre mouvement pouvait accroître l’impression de perte générale de contrôle des choses, je ne fais rien d’autre que me dire : « ça va finir, ça va finir, ça va finir » et je pense aussi « les enfants, les enfants », ou encore « le béton est solide, ça va tenir, le béton est solide, ça va tenir », tandis que mon œil capte sans les gérer les informations sur les objets qui tombent autour de moi et se brisent au sol.
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Cloué sur place
Et puis ça s’arrête d’un coup de rugir et de bouger, je vais me précipiter à l’intérieur pour retrouver ma femme et mes enfants mais, à ce moment, je suis à nouveau cloué sur place, submergé par le fracas interminable et monstrueux d’une énorme explosion, et mes yeux cette fois se fixent sur ce paysage familier, les arbres, les immeubles au loin, tout ce que j’ai devant moi en permanence et qui semble, à cet instant, comme foudroyé par l’affreuse bande-son qui s’est plaquée dessus. Quand cette horreur à son tour est passée, je me précipite enfin à l’intérieur en me rendant compte que je ne comprends toujours pas ce qui est arrivé, « tremblement de terre, d’accord mais pourquoi cette explosion ? » ou alors « explosion, d’accord, mais alors pourquoi un tremblement de terre juste avant ? ». Et tout ça en courant parce qu’il y a plus urgent, il y a mes enfants paniqués et ma femme, tous réunis et qui se serrent les uns aux autres pour faire rempart à on ne sait quoi.
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C’est au bout d’encore quelques minutes de désarroi, de gesticulations fébriles (afin de prendre de l’argent et des cartes d’identité dans l’éventualité de devoir sortir et de ne plus revenir en cas de réplique), que les premières informations se mettent à nous parvenir, par message ou par téléphone – parce que les communications n’ont pas été interrompues. Mais nos cerveaux sont à ce moment comme ces innombrables scènes filmées du drame qui, au moment de la déflagration, se transforment en un enchevêtrement de sons et de morceaux de murs ou de plafond, à cause de la chute ou du renversement de ceux qui tiennent les caméras.
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