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Porter un masque en salle de classe, la grande affaire

mercredi 19 août 2020 par Charles

Porter un masque n’entre pas dans les habitudes de beaucoup d’écoliers qui ont passé des jours, durant le temps du confinement, sans pointer le nez dehors. Sous le regard des parents, devant la télévision, ou encore les yeux scotchés sur leur portable, ils ont vécu sans cache-nez. Avec la rentrée des classes, fini la respiration à l’air libre.
Publié le 2020-08-18 | Le Nouvelliste

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Porter un masque en salle de classe, la grande affaire
Porter un masque n’entre pas dans les habitudes de beaucoup d’écoliers qui ont passé des jours, durant le temps du confinement, sans pointer le nez dehors. Sous le regard des parents, devant la télévision, ou encore les yeux scotchés sur leur portable, ils ont vécu sans cache-nez. Avec la rentrée des classes, fini la respiration à l’air libre.
Publié le 2020-08-18 | Le Nouvelliste

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« Parler avec un masque, ça gêne. Physiologiquement, tout être humain arrive difficilement à l’accepter. C’est une nuisance à notre bonheur. Regardez comment je vous parle. Ma voix est filtrée à travers un masque. Avec la covid-19, c’est fini la respiration à l’air libre », prédit Marckenley Jean, élève de terminale au Collège Canapé-Vert. Samuel Sergino Joseph, élève de 9e année fondamentale au même collège est du même avis : « Je ne peux pas porter le masque. Je me sens mal à l’aise. Je dois respirer. Cela n’entre pas dans mes habitudes de le porter puisque durant tout le confinement je ne suis pas sorti, j’étais tout le temps à la maison. » Néhémia Démosthènes, la jupe bien droite, chignon serré, a les mêmes mots que son camarade : « Je n’arrive pas à porter trop longtemps une chose surtout au niveau du visage. Ça me gêne. À la maison, je n’en portais pas. Je ne sortais pas. Durant tout le confinement, je suis restée chez moi à regarder la télé. Mon père ne voulait pas que je pointe le nez dehors. Avec Dieussica Délice, c’est un son de cloche plus adapté au contexte de l’épidémie du coronavirus : « J’arrive à gérer le masque. Parfois je l’enlève quand je ne peux pas bien respirer. Mais j’ai l’habitude de le porter quand je vais faire des courses, aller au marché par exemple. Je gère. » Koralli Bernard essaie de s’adapter : « Moi, je l’enlève, je le remets. J’enlève le masque tout le temps. » Francesa Angie Pétion, les noeuds amassant solidement ses tresses, porte l’objet de protection sanitaire pour venir à l’école. « D’habitude, je ne porte pas de masque. Quand je prends un tap-tap pour me rendre à l’école, je n’en mets pas non plus. Idem pour les passagers. Disons que je remarque de rares cache-nez dans le tap-tap ». L’élève débite ses opinions sous les yeux ahuris de madame Mona Messeroux Philippe, enseignante de français en 9e année fondamentale. Et pourquoi porter maitenant un masque ? « Je le porte parce que c’est une obligation », dit-elle. Maïa kovsky Pierre tient le même discours. Le mot obligation revient comme si les élèves de cette classe d’examen s’étaient passé ce vocable. Mais c’est Léandro Roussel Bissereth qui étonne le plus avec son interrogation et son affirmation : « Est-ce que la maladie est vraiment en Haïti ? C’est une rumeur. Mon père, lui, porte le masque ; je crois qu’il le met pour la forme », dit cet ado qui veut prendre une posture de rebelle.
Le masque, une question vitale
Madame Philippe a l’oeil sur sa classe. Elle opine : « Il parait que beaucoup d’enfants avaient l’habitude de porter un masque à la maison, mais il y en a qui ne peuvent pas le supporter et qui essaient de l’enlever de temps en temps, mais nous essayons de gérer cette situation. On les encourage, on leur apprend à garder le masque parce que c’est très important pour leur vie et celles de leurs camarades. Et si certains élèves font des remarques qui heurtent la logique prévalant dans ce contexte sanitaire, c’est parce qu’ils sont sous influence. À l’école, nous faisons de notre mieux pour leur inculquer de bonnes habitudes. »
L’enseignante mise sur plusieurs facteurs pour diminuer les risques de propagation de l’épidémie : le respect de la distance physique, salles de classes spacieuses et aérées, fauteuils individuels en guise de bancs, lavage répété des mains, récréation en deux temps.
Le train de l’école à distance
Depuis 67 ans, la directrice du Collège Canapé-Vert, madame Franck Paul, est dans l’enseignement. Elle a commencé à transmettre ce trésor inestimable aux enfants à l’âge de 17 ans. Jamais de mémoire d’enseignante, elle n’a vécu une telle crise. Le collège Canapé-Vert n’a pas rattrapé, comme d’autres institutions scolaires du pays, le train de l’école à distance. Aussi la directrice du collège mise-t-elle sur le présentiel. Quatre murs, un tableau, un professeur, des élèves, les pales des ventilateurs qui brassent l’air. L’école fonctionne en situation réelle.
Pourquoi une telle option quand ce collège dispose de salles informatiques, de montage de vidéographie, de salle d’enregistrement et de son site Internet ?
Madame Franck Paul répond : « En Haïti, le Collège Canapé-Vert fait partie des premières écoles à avoir installé une salle informatique. Je m’inscris tout à fait dans les technologies de l’information et de la communication (TIC). C’est une possibilité énorme de création de richesse et de facilité d’accès au savoir, mais on ne peut pas accéder à la modernité seulement avec un petit groupe. Quand je cogite sur la question, je me dis : il faut une entrée rationnelle, progressive, réfléchie dans l’école numérique avec possibilité d’élargissement à tous les écoliers d’Haïti. Autrement, le remède sera pire que la maladie. »
Un coup d’oeil sur la réalité du pays
Ce lundi qui consacre la réouverture de l’école pour les classes d’examen, 9e année fondamentale et nouveau secondaire IV (la terminale), la directice persiste et signe qu’il suffit de jeter un coup d’œil sur la réalité du pays pour comprendre que très peu de parents d’élèves peuvent se procurer tout le dispositif requis pour s’installer dans l’école à distance. « J’ai la tête sur les épaules. Je sais que l’école à distance veut dire une bonne connexion Internet et de l’énergie toujours disponible. Combien de citoyens à l’heure où la monnaie nationale subit chaque jour une raclée peuvent se payer le luxe de doter leur logement de panneaux solaires, d’inverter, de génératrice et de plusieurs connexions Internet pour suivre l’école en mode numérique ? Se lancer dans l’école à distance pour une poignée d’élèves ne participe pas à la philosophie de la scolarisation universelle », tranche-t-elle.
L’enseignante, un air philosophe, ajuste ses lunettes. Un petit sourire en coin irradie son visage, : « Cette pandémie a mis à jour toutes les plaies de l’enseignement en Haïti. On devrait profiter de cette pause pour réinventer l’école. L’école a une mission en Haïti : créer le citoyen. »
Le citoyen n’est-il pas celui qui jouit de ses droits civils et politiques ? Quelles autres preuves veut l’enseignante ?
« Il ne suffit pas d’être né en Haïti pour être citoyen. Cette qualité, dans un État organisé, est assortie de droits et de devoirs envers sa patrie. C’est aussi un sentiment d’appartenance à Haïti. Quand on regarde autour de soi, on a de plus en plus l’impression que le citoyen haïtien n’existe pas. Le citoyen, c’est quelqu’un qui s’assume, qui se connait, qui connait son histoire, qui sait qu’il appartient à une terre et qu’il a pour mission de l’aimer et de le développer dans un esprit de solidarité. »
Covid-19 : suivre les consignes
Avant de prendre congé de madame Franck Paul, on rebondit sur la question du masque. Sa réponse fuse : « Il faut porter le masque. Il faut suivre les autorités sanitaires puisqu’on dit qu’il y a une distance à respecter, que le virus circule, qu’on peut le rencontrer un peu partout, il vaut mieux ne pas le croiser sur son chemin. Si c’est le masque qui permet d’éviter la propagation du virus, vaut mieux le porter et pas n’importe comment. Il faut le porter suivant les consignes que l’on donne ».
Elle s’étend sur plusieurs paramètres permettant de diminuer les risques de contamination : « Nous avons quatre blocs sanitaires. Et dans chaque bloc, plusieurs lavabos ; des personnes présentes pour s’assurer que les enfants se lavent les mains. Nous avons tenu une réunion pour demander aux parents d’éduquer leurs enfants sur le port du masque. Ils devront leur donner deux masques par jour. S’ils doivent travailler de 8 h a.m à 1 p.m, par exemple, ils ne peuvent pas garder le même masque. On leur a demandé de garder de la distance sur la cour de récréation, pas d’accolade et ne pas se serrer la main. »
Pendant plusieurs minutes, intarissable, elle parle de mesures efficaces de protection dans ce contexte sanitaire difficile pour la planète et, particulièrement, Haïti.
À 84 ans, madame Franck Paul n’éprouve-t-elle pas quelques difficultés à porter le masque ? « Tout est dans l’esprit. Tout est dans la pensée. À partir du moment où les organes qui assurent le bon fonctionnement de la respiration sont un peu entravés, on a l’impression qu’on ne peut pas bien respirer. Au début, j’avais ce sentiment quand je mettais le masque. J’avais l’impression d’étouffer un peu. Au fur et à mesure, on s’habitue. » Finalement, que préconise-t-elle ? « Il faut travailler son mental. »

Claude Bernard Sérant
Auteur
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