MosaikHub Magazine

Pat Barker met fin au « Silence des vaincues »

vendredi 28 août 2020 par Charles

L’écrivaine britannique revisite « L’Iliade » à travers les femmes qui ont subi la guerre de Troie sans qu’Homère leur donne la parole. Où les guerriers n’ont rien d’héroïque.
Par Macha Séry Publié hier à 16h00, mis à jour hier à 16h47

Temps de
Lecture 4 min.

« Les adieux d’Achille et de Briséis », détail d’une fresque de Pompéi, Musée d’archéologie de Naples. Luisa Ricciarini/Leemage
« Le Silence des vaincues » (The Silence of the Girls), de Pat Barker, traduit de l’anglais par Laurent Bury, Charleston, 352 p., 22,50 €, numérique 14 €.
Le personnage est moins connu qu’Hélène, Andromaque ou Pénélope. Pourtant Briséis, puisqu’ainsi s’appelle l’ancienne reine de Lyrnessos, devenue esclave après la mise à sac de sa cité, figure d’un bout à l’autre de l’Iliade. A son corps défendant, elle en dicte même l’action et ses rebondissements. Le poème-fleuve d’Homère s’ouvre, en effet, sur la querelle opposant Achille à Agamemnon à propos de sa possession. La captive appartient au premier. Toutefois, le second la réclame comme contrepartie, ayant consenti à rendre son propre trophée, la jeune Chryséis, à son père. Le commandant en chef de l’armée grecque obtient gain de cause. L’Iliade s’achève sur le retour de Briséis auprès d’Achille et la reprise du combat par le fils de Thétis et son armée de Myrmidons. Tout du long, à une exception près, l’objet de la discorde ne pipe mot. Elle est réduite à un enjeu de pouvoir. Place aux grands hommes et à leurs hauts faits militaires.
Dans Le Silence des vaincues, qui couvre plusieurs épisodes célèbres de la guerre de Troie (mort de Patrocle et d’Hector, ambassade de Priam pour récupérer la dépouille de son fils), Pat Barker donne à Briséis voix et visage. La guerre elle-même en a plusieurs. Le visage du mythe et celui, sans fard, de tous les jours, parti pris de la romancière. Elle peut être vue du côté des chefs ou des troufions, du front ou de l’arrière. Sous la plume de la Britannique, Briséis est une combattante obstinée à survivre, malgré les épreuves. Elle a été mariée à 14 ans au roi Mynès. Elle a vu celui-ci, ainsi que ses trois frères, tués sous ses yeux, puis fut offerte à leur assassin. Pour elle, Achille n’est ni « grand », ni « divin », ni « brillant », toutes ces épithètes homériques qui font reluire la gloire du quasi invincible guerrier. « Nous ne l’appelions jamais par aucun de ces noms ; nous l’appelions “le boucher”. » Telle est la première ligne de ce récit captivant.
« Elle fera l’affaire »
Par son exergue, Pat Barker a placé le récit sous l’égide de Philip Roth. Dans La Tache (Gallimard, 2002), l’écrivain fait dire à un professeur de littérature que le conflit entre Achille et Agamemnon « est aussi primitif qu’une rixe de bar. Une fille volée à son père, une fille enlevée à la faveur des combats ». Les dialogues inventés par l’écrivaine résultent de ce constat prosaïque. Les femmes transportées en troupeau à bord d’un navire, puis alignées et examinées à moitié nues, sont traitées de « putains troyennes ». « Merci, les gars. Elle fera l’affaire », dit Achille à un parterre d’hommes hilares après avoir jeté un coup d’œil à Briséis. A travers le regard de celle-ci, c’est le sort collectif et individuel de ces femmes que décrit Pat Barker : jeunes filles déflorées avec violence, qui servent à table et au lit, veuves et mères hagardes, tisserandes enfermées dans des cabanons étouffants de chaleur…
Il vous reste 43.42% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie