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Rebond spectaculaire de la gourde face au dollar...

vendredi 4 septembre 2020 par Charles

En quelques heures, mercredi 2 septembre, la gourde a fait un bon spectaculaire par rapport au dollar. De 112 gourdes à la vente pour un dollar à l’ouverture, à 10 heures du matin, le même billet vert se vendait à 107 gourdes, soit une appréciation de 5 gourdes, selon les données observées sur le compte Twitter de la Unibank, la première banque commerciale d’Haïti.
La limitation des dépenses jugées non essentielles pendant les derniers jours de l’exercice ; le respect du pacte de gouvernance signé avec la BRH prévoyant 30 milliards de gourdes de financement monétaire sur l’exercice, toutes les mesures prises par les autorités monétaires ont pour but de stabiliser le taux de change et réduire le taux d’inflation, a confié au journal le ministre de l’Économie et des Finances, Michel Patrick Boisvert, mercredi après-midi.
Quelques jours auparavant, le 26 août, le gouverneur de la BRH, Jean Baden Dubois, avait donné le ton sur le marché des changes au moment d’annoncer, 24 août, que la banque centrale est déjà intervenus sur le marché des changes à hauteur de 47 millions des 150 millions de dollars mobilisés jusqu’à la fin de l’exercice. « La BRH a les reins solides. Nous avons une réserve de 651 millions de dollars américains. Ceux qui croient qu’ils peuvent se jouer de la BRH sont en train de perdre leur temps. S’ils veulent perdre de l’argent, qu’ils continuent », avait prévenu le gouverneur Jean Baden Dubois.
L’injection de la BRH et ses retombées…
« Les injections de la BRH ont calmé la tension sur le marché des changes avec une réduction de la rareté de dollars américains. L’appui budgétaire a permis de réduire le déficit budgétaire et le financement monétaire qui en découlait. Et apparemment, on n’a pas encore la confirmation, le gouvernement a fait plus d’effort afin de contrôler ses dépenses », a confié le Dr Thomas Lalime, chroniqueur économique au journal Le Nouvelliste.
« La gourde s’est donc appréciée, sans surprise, au cours des trois dernières semaines. Ce qui est plus difficile à expliquer, c’est le rythme d’appréciation de la gourde qui est passée de 113 gourdes à l’achat, et 115 gourdes à la vente le lundi 31 août 2020 à 110 gourdes à l’achat contre 112 gourdes à la vente le lendemain mardi 1er septembre 2020. Et le mercredi 2 septembre, une des deux plus grandes banques de la capitale affichait 105 gourdes à l’achat et 107 gourdes à la vente, une baisse de 5 gourdes en une journée et une appréciation de 13.6 % de la gourde en moins d’un mois », a poursuivi Thomas Lalime, soulignant que « c’est très, très rare ».
« Il faut remonter au mois de mars 2017 pour retrouver une tendance baissière du taux de change. Il était passé de 69.35 gourdes pour un dollar américain à la fin du mois de mars à 67.6 gourdes à la fin du mois d’avril avant d’atteindre 62.2 gourdes à la fin du mois de mai 2017 », a poursuivi Thomas Lalime, soulignant qu’à l’époque « les agents économiques étaient très optimistes à l’arrivée du nouveau président Jovenel Moïse qui se disait pro-business et qui promettait monts et merveilles ».
« Mais la baisse du taux de change peut aussi refléter l’important pouvoir de marché des banques leader d’un marché bancaire oligopolistique. L’expérience de mars-mai 2017 était de courte durée », a aussi fait remarquer Thomas Lalime.
« Le don des 3,7 milliards de gourdes de l’UE au gouvernement peut participer à expliquer l’appréciation observée au niveau du taux de change. Mais je pense que ce qui se passe sur le marché est particulièrement lié à l’injection des 150 millions de la BRH », a estimé lui aussi l’économiste Enomy Germain, interrogé par Le Nouvelliste. « L’un des éléments explicatifs de la hausse du prix du dollar par rapport à la gourde est le déséquilibre persistant entre la quantité de dollars disponibles (Offre) et la quantité demandée (demande). On parle d’un marché qui mobilise formellement près de 40 millions de dollars par semaine », a-t-il indiqué.
« D’après la BRH, l’injection des 150 millions se fera entre le 10 août et le 30 septembre 2020, environ 8 semaines. S’il s’agit d’injecter la même quantité chaque semaine, au moins 18 millions de dollars sont injectés hebdomadairement. Donc, pour la période, la BRH satisfait plus de 45% des besoins en dollars du marché. C’est quantitativement important. Le déséquilibre entre l’offre et la demande disparait. L’appréciation de la gourde devient logique », a poursuivi Enomy Germain, soulignant que « ce n’est pas toujours ce qui est logique qui est observé dans l’économie haïtienne ». « Ce n’est pas la première fois que la BRH fait des injections, pourquoi a-t-on cette fois des résultats… ? », s’est-il demandé en évoquant un élément de réponse.
Cette fois, a fait remarquer Enomy Germian, « la BRH semble adopter une autre stratégie : celle de permettre que l’injection satisfasse directement les besoins en dollars des agents ayant véritablement besoin du dollar. Il s’agit particulièrement des entrepreneurs ayant besoin du dollar pour le motif d’importation. La plus grande partie de la demande vient de ces acteurs… »
« L’injection fait logiquement baisser la demande du dollar pour les motifs de spéculation et de précaution. Les épargnants, depuis un certain temps, épargnent en dollars américains en raison de la perte de valeur incessante de la gourde. C’est ainsi que plus de 62% des déports du système bancaire se fait en dollars. Avec la tendance à la baisse observée, les épargnants se versent chaque jour dans un attentisme avant de convertir leurs épargnes en dollars. Ils se disent qu’ils vont perdre s’ils achètent aujourd’hui plutôt que demain. Et comme la tendance baissière du taux persiste depuis maintenant 3 semaines, l’attentisme dure beaucoup plus. C’est comme « à court terme » un cercle vertueux pour la gourde… Ce n’est pas différents pour les autres opérateurs qui spéculent et qui ont l’information que l’injection se fera jusqu’au 30 septembre. Ce sont des dimensions psychologiques qui participent à influencer les marchés, a soutenu Enomy Germain.
« L’appréciation récente de la gourde par rapport au dollar américain est sans doute dû, ne serait-ce que partiellement, à l’injection par la BRH d’environ 150 millions de dollars sur le marché. Il est difficile de dire avec certitude s’il y a lieu de parler de rigueur budgétaire en cette fin d’exercice, encore moins de son effet sur cette appréciation de la gourde par rapport au dollar. C’est aussi valable pour l’appui budgétaire promis », a confié au journal l’économiste Emmanuela Douyon.
« Par contre, dans le passé on a déjà enregistré une appréciation de la gourde suite à une injection de dollars par la banque centrale ; ce fut le cas en 2017 notamment. La gourde était passée de 70 gourdes à 62-64 gourdes. La BRH était censée injecter 120 millions de dollars à cette époque », a-t-elle poursuivi.
« Les interventions de la BRH ont été faites à des taux bien plus bas (2 gdes et fraction) que le taux de référence de la veille et les taux de vente des devises correspondantes étaient fixés par la BRH à 0.25 centimes de gourdes au-dessus du taux d’achat, contre une différence normale de 1-2 gourdes. Ceci a creusé donc davantage la différence au niveau des taux de vente », a confié en off un économiste. Il a souligné que « le signal donné au marché a été que le taux allait fortement s’affaisser, incitant tout acteur ayant une position longue en devises à la liquider rapidement, accélérant la tendance à l’appréciation. »
« Les sous-agents de transferts, par qui transitent 3/4 des devises des émigrés, en ont profité pour convertir les transferts en gourdes à des taux drastiquement plus faibles que le marché », a-t-il poursuivi, soulignant avoir vu « une stabilisation apparente du financement monétaire du déficit à un peu plus de 35 milliards. Ça a certainement aidé vu que la masse monétaire M2 (gourdes) a légèrement régressé, (-0.4) milliards sur les 3 premières semaines d’août ».
« Je n’ai pas encore assez d’informations pour expliquer scientifiquement ce qui se passe. Il parait que la spéculation était à son plus haut niveau. La bulle a dû éclater », a indiqué un autre économiste, qui parle d’un « krach sur le marché des changes ».
Est-ce que la tendance sur le marché des changes va durer ?
Le Dr Thomas Lalime a indiqué que l’appréciation spectaculaire de 2017 était de courte durée. « La conjoncture politique demeure très incertaine », a indiqué le Dr Lalime.
Comme Thomas Lalime, Emmanuela Douyon a rappelé qu’en 2017, « l’appréciation n’avait pas fait long feu ». « L’injection de dollars sur le marché de change est un exercice ponctuel, à la limite routinier, qui n’a d’effet qu’à court terme comme on l’observe depuis des années. La BRH le fait pratiquement chaque année dans des proportions différentes. Le montant injecté varie mais les effets sont toujours de courte durée et c’est normal. Il y a une limite à ce que la BRH peut faire. Pour apprécier de façon durable la gourde par rapport aux monnaies étrangères il nous faudra adresser des problèmes structurels qui dépassent la BRH. Plus que la politique monétaire, c’est toute la politique économique et l’orientation de l’économie haïtienne qu’il faudra repenser. Il est difficile de dire que c’est le début d’un nouveau cycle de stabilisation du taux de change. À chaque entente avec un bailleur de fonds, le FMI notamment, tous les gouvernements haïtiens s’engagent à respecter certaines bonnes pratiques de gestion des finances publiques mais dans la pratique c’est souvent la BRH qui est appelée à la rescousse et le même cycle d’instabilité du taux de change et de l’inflation perdure », a expliqué l’économiste Emmanuela Douyon.
Pour Enomy Germain, l’appréciation de la gourde par rapport au dollar est « plutôt un phénomène passager ». « Après le 30 septembre, si la BRH n’annonce pas d’autres mesures ou si elle ne continue pas avec les injections (qui ont malheureusement leurs impacts négatifs), on peut assister à un retournement de la situation. La raison c’est que les fondamentaux de l’économie sont restés les mêmes et ne changeront pas avant le 30 septembre », a-t-il dit au journal.
« Ce n’est pas une tendance durable. Elle peut toutefois se prolonger vu que les interventions annoncées ne sont qu’à moins de moitié. On essaie de montrer qu’on contrôle la dépréciation. Pas nécessairement les finances publiques si l’on considère l’importance des projets annoncés par l’Etat, entre autres », a confié l’un des deux économistes qui se sont exprimés sous le couvert de l’anonymat.
Pour le moment, il reste à savoir à quel rythme l’inflation va suivre l’appréciation de la gourde par rapport au dollar.
Roberson Alphonse

Roberson Alphonse


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