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Un texte / Une chanson « M ap pouse bourèt » de Raoul Guillaum

jeudi 22 octobre 2020 par Charles

À côté de jolies chansons gaies, légères, humoristiques ou idylliques et frivoles, Raoul Guillaume est aussi un parolier plein d’empathie et de compassion pour les humbles, les pauvres, les délaissés sociaux. Il est touché par leur courage ; il en fait des portraits émouvants. Il exhorte l’écolier pauvre et miséreux à la persévérance dans « Sois patient mon ami » ; il souffre avec le paysan sur le point de perdre son unique enfant gravement malade : « Complainte paysanne » ; il expose les lamentations du journalier, laboureur ou piocheur, désespéré : « Lamantasyon ». Il peint leur travail pénible, mal payé, leur besogne obscure et sans gloire comme celui des portefaix, particulièrement dans « M ap pouse bourèt » dont il est question ici.

Il y a vingt-cinq ou trente ans de cela, on les remarquait encore, ces héros du béton, qui, sous un soleil de plomb, pour une pitance, torse nu,« attelés » à un grand diable en bois artisanal, avec ses brancards et ses deux roues d’automobile « brouette » communément appelée, escaladaient, pieds nus, les pentes asphaltées et chaudes de Port-au-Prince. Ils étaient de véritables bêtes de trait à visage humain. La plante du pied, cuite par la chaleur, était épaissie comme la sole d’un sabot de cheval, ou d’âne. Pour quelques sous, ils tiraient péniblement des charges lourdes amarrées sur la brouette : sacs de ciment, de farine, blocs ou autres marchandises. Ils étaient en nage, le corps inondé de sueur.

Ce tableau triste, pathétique, n’a pas échappé à l’œil attentif de Raoul Guillaume qui en a fait un portrait saisissant, poignant. La musique appropriée est un afro-boléro, rythme cubain, en majeur. La mélodie est plaintive. Le moule de l’afro-boléro est le favori du compositeur dans toutes les situations semblables, pénibles, évoquées plus haut. Il prend un caractère mystique et suppliant dans « Papa Damballah » et « Complainte paysanne » auxquelles il convient parfaitement.

Cette chanson, « M ap pouse bourèt », est rendue avec émotion et sensibilité par le chanteur Serge Martelly ; elle a récemment été reprise, avec illustration et rôle, par le chanteur à la belle voix Jean-Claude Eugène. Claude Carré, le guitariste, a usé de la mélodie comme thème d’improvisation. Celle-ci, dans un style de jazz libéré ou libertaire, fait entendre nettement les sanglots du portefaix.

Le texte en créole est constitué de vers rythmés et rimés (rimes plates). Les couplets sont des quatrains ainsi constitués : trois premières vers d’octosyllabes (huit pieds), ou de mètres voisins d’un ou de deux pieds, suivis d’un hexasyllabe (vers de six pieds) pour conclure. Le texte contient ainsi trois couplets. Avec pour refrain un quatrain : les deux premiers vers sont des heptasyllabes (vers de sept pieds), le troisième est un mètre de six pieds, le dernier est un heptasyllabe. Les rimes sont plates, comme nous le disions tantôt.

NB : erreur : le second vers du refrain contient 9 pieds.

Amis lecteurs, lisons ce texte sensible de Raoul Guillaume et penchons-nous avec compassion et pitié sur le cas du pousseur de « bourèt ».

M ap pouse bourèt

Pou m fè dis kòb se nan goumen

Mwen redi tout lasent jounen

Ak yon vye pantalon pyese

Bourèt m ape pousé

Yon pastè di mwen Bon Dié bon

Lè m ap pousé yon bourèt chabon

M ape mandé si pou mwen kwè

Sa m fè se sa mwen wè

Refrain

Non ! Non ! Cé pa yon lavi

Pou yon maléré toujou sibi

Tout tan sé la soufrans

Lavi mwen sé pénitans

2-

Lè lajounen m fin pasé yon tray

Mwen kouché atè nan yon vyé kay

Bigay pike m, la pli mouye m

Lavi a vlé touye m

Refrain

Non ! Non ! Cé pa yon lavi

Pou yon maléré toujou sibi

Tout tan se lasoufrans

Lavi mwen sé pénitans

Roland Léonard
Auteur


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