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CHRONIQUE / « Celui qui croit que la croissance

mercredi 30 décembre 2020 par Charles

CHRONIQUE / « Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » - Kenneth E. Boulding

CHRONIQUE / « Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » - Kenneth E. Boulding
Imaginez que vous êtes un homme ou une femme vivant dans l’Antiquité gréco-latine. Imaginez que vous soyez un.e citoyen.ne d’Athènes, ou encore de l’Empire romain. Imaginez que vous soyez issu d’une famille riche et influente. Vous faites partie de la classe des maîtres, des possesseurs d’esclaves. Ce régime de l’esclavage vous semble aussi naturel que la rosée du matin. Il vous apparaît d’ailleurs si naturel que vous imaginez difficilement comment il pourrait en être autrement. À vos yeux, nous vivons dans le meilleur des mondes.

Imaginez maintenant que vous soyez un homme ou une femme vivant au Moyen-Âge. Vous êtes un propriétaire terrien, c’est-à-dire ce que l’on appelait à l’époque un seigneur féodal. Vous vivez dans une société hiérarchisée, un modèle basé sur l’ordre divin, qui plus est légitimé par Dieu lui-même et ses représentants sur Terre. Ce régime vous apparaît comme parfait, notamment parce qu’il assure le bon fonctionnement de la société. Chacun à sa place et les moutons seront bien gardés, comme on dit.

Imaginez finalement que vous soyez un homme ou une femme vivant au 19e siècle dans l’aristocratie anglaise. Vous êtes un membre de la bourgeoisie, c’est-à-dire de la classe de celles et ceux qui possèdent les moyens de production. Vous êtes l’heureux propriétaire d’une usine qui emploie des hommes, des femmes et des enfants issus de la classe ouvrière (le prolétariat). Ces derniers travaillent à votre profit en l’échange d’un maigre salaire. À chacun son profit et au plus fort la poche ! Tel est l’ordre naturel des choses.

Cette vision dialectique de l’histoire, basée sur le progrès des sociétés et le passage successif d’un mode de production à un autre, nous la devons principalement à Karl Marx. Selon lui, les événements historiques sont avant tout déterminés par les rapports sociaux (les fameuses luttes des classes) et par l’impact de l’évolution des moyens de production sur les mentalités. La particularité de chaque époque sera de justifier la domination d’une classe sur une autre par le biais de l’idéologie dominante. Bref, peu importe l’époque à laquelle vous vivrez, vous aurez toujours l’intime conviction de vivre dans un monde juste, ou à tout le moins que cet ordre des choses est naturel et indépassable.

Marx lui-même croyait que le communisme supplanterait éventuellement le capitalisme et constituerait « la fin de l’histoire », c’est-à-dire l’aboutissement du progrès par l’avènement d’une société sans classes. Mais tous ne l’entendaient évidemment pas ainsi.

En 1992, l’économiste et politologue Francis Fukuyama publiait un ouvrage intitulé La fin de l’histoire et le dernier homme. Il y défendait l’idée selon laquelle, avec la fin de la Guerre froide, la suprématie de l’idéal de la démocratie libérale (basée sur le capitalisme) était appelée à devenir absolue et définitive. Selon Fukuyama, la démocratie libérale et l’économie de marché constituent donc des horizons idéologiques indépassables. Mais est-ce vraiment le cas ?

En réalité, nous ne sommes pas différents des hommes et des femmes du passé dont je parlais précédemment. Comme eux, nous croyons vivre à une époque spéciale ou extraordinaire. Et comme eux, nous croyons que le système dans lequel nous vivons est l’expression d’un ordre naturel ou divin et, par là même, indépassable. D’ailleurs, quiconque de nos jours ose remettre en question le capitalisme ou annoncer sa mort est automatiquement traité d’extrémiste, de fou ou de rêveur. Et pourtant, comme n’importe quel autre système avant lui, il est évident que le capitalisme sera tôt ou tard appelé à disparaître. La pandémie actuelle constitue en outre un puissant révélateur des limites et des faiblesses de ce système.

Personnellement, je ne sais pas de quoi sera fait le monde de demain. Je n’ai aucune prétention dans ce domaine. Cela dit, je ne crois pas qu’il y ait quelque chose comme le progrès ou la fin de l’histoire. Depuis ses débuts, l’aventure humaine a certes été le théâtre de nombreuses avancées, mais aussi de reculs importants. La prudence est donc de mise lorsqu’il s’agit d’anticiper l’avenir. Quoi qu’il en soit, nous savons que rien n’est éternel en ce bas monde, à commencer par un système basé sur la croissance perpétuelle et la lutte de tous contre tous.


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