MosaikHub Magazine

Un point bleu pâle

jeudi 31 décembre 2020 par Charles

Sébastien Lévesque
« Pale Blue Dot » est une photographie de la planète Terre prise par la sonde Voyager 1 en 1990 à une distance de 6,4 milliards de kilomètres de nous. Elle a été baptisée ainsi par le regretté astronome américain Carl Sagan.
Partager

CHRONIQUE / Si, comme moi, l’actualité vous déprime ou vous enrage, ce texte est peut-être pour vous. Pour changer de nos débats surréalistes sur la liberté d’expression et des querelles puériles autour des caricatures de Mahomet (des gens sont morts pour ça, sérieusement ?), j’ai eu envie de prendre un peu de recul ou de hauteur pour vous parler de nous, les humains, mais d’un point de vue cosmique. En fait, je veux vous parler du point bleu pâle sur lequel nous habitons.
Un point bleu pâle (Pale Blue Dot, en anglais), c’est le nom d’une célèbre photographie de la planète Terre prise par la sonde Voyager 1 en 1990 à une distance de 6,4 milliards de kilomètres de nous. Elle a été baptisée ainsi par le regretté astronome américain Carl Sagan, à qui nous devons de nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique (notamment le roman Contact, qui donna lieu à une magnifique adaptation cinématographique de Robert Zemeckis avec Jodie Foster dans le rôle principal) et une participation active dans le programme SETI de recherche d’intelligence extraterrestre.

À sa façon, cette photographie marque un tournant dans notre histoire, ne serait-ce parce qu’elle a été prise depuis une sonde spatiale destinée à l’étude des planètes externes du système solaire. À ce jour, Voyager 1 demeure l’artéfact humain le plus loin de la Terre jamais envoyé. Cela prête à réflexion, pour ne pas dire à la rêverie. Sagan ne s’est d’ailleurs pas privé d’utiliser cette photo pour stimuler notre imagination, mais aussi pour réfléchir sur la condition humaine.

Voici comment, dans son livre Un point bleu pâle, paru en 1994, il a décrit ledit point bleu pâle :

« Regardez encore ce petit point. C’est ici. C’est notre foyer. C’est nous. Sur lui se trouvent tous ceux que vous aimez, tous ceux que vous connaissez, tous ceux dont vous avez entendu parler, tous les êtres humains n’ayant jamais vécu. Toute la somme de nos joies et de nos souffrances, des milliers de religions aux convictions assurées, d’idéologies et de doctrines économiques, tous les chasseurs-cueilleurs, tous les héros et tous les lâches, tous les créateurs et destructeurs de civilisations, tous les rois et tous les paysans, tous les jeunes couples d’amoureux, tous les pères et mères, tous les enfants pleins d’espoir, les inventeurs et les explorateurs, tous les professeurs de morale, tous les politiciens corrompus, toutes les “superstars”, tous les “guides suprêmes”, tous les saints et pécheurs de l’histoire de notre espèce ont vécu ici, sur ce grain de poussière suspendu dans un rayon de soleil.

« La Terre est une toute petite scène dans une vaste arène cosmique. Songez aux fleuves de sang déversés par tous ces généraux et ces empereurs afin que, nimbés de triomphe et de gloire, ils puissent devenir les maîtres temporaires d’une fraction de ce point. Songez aux cruautés sans fin imposées par les habitants d’un recoin de ce pixel sur ceux d’un autre recoin. Comme ils peinent à s’entendre, comme ils sont prompts à s’entretuer, comme leurs haines sont ferventes. Nos postures, notre propre importance imaginée, l’illusion que nous avons de notre position privilégiée dans l’univers, sont mises en question par ce petit point de lumière pâle. Notre planète est une infime tache solitaire enveloppée par la grande nuit cosmique. Et dans notre obscurité, dans toute cette immensité, il n’y a aucun signe qu’une aide extérieure viendra nous sauver de nous-mêmes. La Terre est jusqu’à présent le seul monde connu à abriter la vie. Il n’y a nulle part ailleurs, du moins dans un futur proche, vers où notre espèce pourrait migrer. Visiter, oui. S’installer, pas encore. Que vous le vouliez ou non, pour le moment, la Terre est notre seul refuge.

« On a souvent dit que l’astronomie incite à l’humilité et fortifie le caractère. Il n’y a peut-être pas de meilleure démonstration de la grandeur de l’imagination humaine que cette lointaine image de notre monde minuscule. Pour moi, cela souligne notre responsabilité de cohabiter plus fraternellement les uns avec les autres, et de préserver et chérir le point bleu pâle, la seule maison dont nous disposions. »

Pour moi, ces passages parlent d’eux-mêmes et démontrent une fois de plus en quoi la science et la spiritualité peuvent aller de pair. La science nous enseigne effectivement l’humilité, car elle nous aide à reconnaître notre vraie place dans le cosmos et dans la nature. Elle nous oblige ainsi à accepter notre finitude et à reconnaître notre dépendance à l’égard de cette planète et de tous ses habitants. Dans le contexte actuel, je trouve que ces mots font du bien, car ils tendent à relativiser » nos passions humaines, trop humaines. Et ils permettent surtout de prendre conscience du soin que nous devrions tous apporter à la Terre, notre maison commune.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie