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« Trop, c’est trop » : l’heure de vérité pour Twitter, Facebook et YouTube face aux comptes de Donald Trump

samedi 9 janvier 2021 par Charles

Après des mesures de modération en demi-teinte, les réseaux sociaux font face à de nombreux appels à fermer les comptes du président sortant, après l’envahissement du Capitole par ses partisans, le 6 janvier.

Par Damien Leloup et Alexandre Piq

On sait finalement, après quatre ans de provocations à tous les niveaux, ce qu’il faut pour que Facebook ou Twitter modèrent un tant soit peu strictement le compte d’un président des Etats-Unis : un appel à l’insurrection. Mercredi 6 janvier dans la soirée, après que des pro-Trump ont envahi le Capitole de Washington, siège du Congrès américain, les deux réseaux sociaux ont temporairement suspendu les comptes de Donald Trump. Ils ont aussi supprimé certains des messages publiés mercredi par le président des Etats-Unis sortant, notamment une vidéo où il affirmait à nouveau avoir gagné l’élection présidentielle de novembre, alors qu’elle a été officiellement remportée par son adversaire, Joe Biden.

Puis, ce 7 janvier, c’est le PDG de Facebook en personne, Mark Zuckerberg, qui a annoncé la sanction : le blocus des comptes Instagram et Facebook de Donald Trump sera prolongé après la passation de pouvoir du 20 janvier. Le président sortant ne pourra donc plus publier sur ces deux plates-formes, qu’il a utilisées ces deux derniers jours pour « justifier plutôt que pour condamner les actes de ses supporteurs au Capitole », écrit M. Zuckerberg. Ces événements « montrent que le président Donald Trump compte utiliser ses derniers jours au pouvoir pour saper la transition légale et pacifique du pouvoir à son successeur, Joe Biden ».

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A plusieurs reprises mercredi, dans un discours qu’il a tenu devant ses supporteurs rassemblés à Washington le 6 janvier et qui a été diffusé sur ses différentes plates-formes, Donald Trump avait incité ses partisans à défiler devant le Capitole, où les sénateurs étaient réunis pour valider les résultats de la présidentielle.

En quatre années de mandat, Donald Trump a publié nombre de messages violant les règles des réseaux sociaux – voire la loi américaine. Depuis des semaines, il écrit chaque jour, sans preuve aucune, que l’élection qu’il vient de perdre était truquée. Au cœur des contestations liées au mouvement Black Lives Matter, il publiait des messages racistes et menaçants. Au début de la pandémie de Covid-19, il mettait en avant des traitements douteux ou dissimulait l’ampleur de la maladie. En 2017, le monde avait même brièvement retenu son souffle quand une série de provocations contre la Corée du Nord laissait craindre le début du premier conflit armé lancé sur Twitter.

Why would Kim Jong-un insult me by calling me "old," when I would NEVER call him "short and fat ?" Oh well, I try so… https://t.co/PmsWNkH4r4

— realDonaldTrump (@Donald J. Trump)
Face à cette avalanche de messages illégaux, obscènes, dangereux, ou les trois à la fois, les réseaux sociaux ont tenu, scandale après scandale, la même position : en tant que président en exercice, toute publication de Donald Trump doit être maintenue en ligne, parce qu’il s’agit d’un document historique. Polémique après polémique, Facebook comme Twitter ont choisi de laisser en ligne les messages du président – qui dispose toujours d’une page Facebook avec plus de 30 millions d’abonnés, et d’un compte Twitter qui en compte près de 90 millions.

Durcissement à reculons
Alors que se profilait l’élection présidentielle de novembre 2020, les deux réseaux sociaux ont, cependant, commencé à prendre des mesures, graduellement un peu plus sévères, contre les messages les plus incendiaires du président des Etats-Unis. Mais à chaque fois, ce durcissement s’est fait à reculons. En juin, lorsque Twitter a commencé à publier des avertissements en regard de certaines publications violentes de Donald Trump, Facebook s’y est refusé, provoquant une fronde de ses salariés. Lors de la présidentielle, les deux réseaux sociaux ont multiplié les avertissements sous les posts du dirigeant américain sortant, qui affirmait que l’élection était truquée et qu’il en était le vainqueur – au mépris des résultats.

Etait-ce suffisant ? Le 6 janvier, de nombreuses voix s’élèvent pour dire qu’il est temps de « déplateformer » Donald Trump, c’est-à-dire de fermer ses comptes sur les réseaux sociaux. Après l’envahissement du Capitole, « publier des avertissements, ça ne va pas suffire, écrit notamment Alex Stamos, ancien responsable de la sécurité de Facebook et voix modérée sur ces sujets. Twitter et Facebook doivent lui couper l’accès. »

Des spécialistes du sujet et des observateurs d’ordinaire tempérés appellent désormais à fermer les comptes du président sortant. Le journaliste spécialiste des réseaux sociaux Casey Newton a lancé un appel clair : « Il est temps pour Facebook, Twitter et YouTube de bannir Trump, a-t-il écrit dans sa newsletter Platformer, jeudi. Pendant des années, je me suis opposé à l’idée de supprimer Donald Trump des grandes plates-formes. » Et de citer des « raisons pratiques », mais aussi « le fait qu’il était le président dûment élu ».

Mais « trop, c’est trop », écrit Casey Newton, qui appelle les géants du Web à agir. Dans la foulée, Nilay Patel, rédacteur en chef du site d’information sur les technologies The Verge, a salué sur Twitter ce « plaidoyer clair et fort en faveur d’une solution qui s’impose comme une évidence ».

« Bannissez-le, à la fin ! »
Pendant l’envahissement du Capitole, de nombreuses voix avaient déjà villipendé les réseaux sociaux. « Si Twitter ne suspend pas le compte de Donald Trump pour au moins vingt-quatre heures, cette attaque du Congrès sera aussi votre faute », a tweeté à l’adresse des dirigeants de l’entreprise à l’oiseau bleu Kara Swisher, influente chroniqueuse spécialiste des technologies au New York Times. « Bannissez-le, à la fin ! », a tweeté Ellen K. Pao, ancienne dirigeante du site collaboratif Reddit, rappelant qu’elle avait demandé dès novembre 2020 au président-directeur général (PDG) de Twitter, Jack Dorsey, de « faire ce qu’il faut » face aux discours insurrectionnels du président.

D’autres ont, toutefois, nuancé le rôle des grands réseaux sociaux dans la propagation du complotisme et des fake news : « Les plate-formes en ligne ne sont pas seules fautives dans l’envahissement du Capitole », a écrit l’éditorialiste du Financial Times John Thornhill. Une manière de souligner l’influence capitale des chaînes d’information comme Fox News et de son éditeur, le magnat australien conservateur Rupert Murdoch, de certains élus républicains, dans les accusations erronées de fraude électorale.

Il reste, cependant, très peu probable que les deux plates-formes coupent définitivement le compte du président, dont le compte Twitter, bloqué durant douze heures, doit redevenir actif jeudi en début d’après-midi (heure de Paris). Dans un mémo interne à Facebook que le New York Times a pu consulter, le PDG, Mark Zuckerberg, se dit « attristé par cette violence » et annonce que son entreprise a durci sa modération du compte du président uniquement parce qu’il s’agissait d’une « urgence ». « Une passation de pouvoir pacifique est absolument nécessaire au bon fonctionnement de notre démocratie, nos responsables politiques doivent gouverner par l’exemple et placer la nation avant toute autre chose », écrit M. Zuckerberg.

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Depuis 2016, les grands réseaux sociaux semblent paralysés par les critiques de Donald Trump et de l’aile droite du Parti républicain, qui accusent la Silicon Valley de censurer les conservateurs et d’avoir un biais prodémocrate. A l’appui de ces accusations, le camp du président sortant a produit autant de preuves que pour ses accusations de fraude électorale : aucune. Mais la pression maintenue par les ultraconservateurs sur les réseaux sociaux durant la présidence Trump semble avoir été efficace, d’autant que le dirigeant américain a menacé, à de multiples reprises, de réformer la loi pour forcer les réseaux sociaux à modifier leurs pratiques de modération.


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