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Les dés sont jetés

dimanche 31 janvier 2021 par Charles

Exhumer Haïti n’est pas à la portée des simples amateurs.

Et ces dés ils vont tomber tous, comme par le passé récent, du même côté.

Une étape de la crise politique haïtienne connaîtra, au début de février, son épilogue lorsque l’actuel Président se maintiendra au Palais national.

Dans cette lutte pour le pouvoir, d’autres étapes suivront. Chaque camp se retranchera dans ses positions tandis que les combattants fourbissent leurs armes en vue des deux échéances majeures : le référendum constitutionnel et l’élection présidentielle.

En ce qui concerne le premier défi, le pouvoir en place est en position de force. Il y a quasi-unanimité sur la nécessité d’apporter des changements à la Constitution de 1987. Comment le faire ? Le chemin le plus démocratique – écarté par le pouvoir car le plus ardu et le plus long – serait celui d’une Assemblée nationale constituante. On a chargé un comité de sages pour la rédiger en espérant récupérer la légitimité perdue par la soumission du texte à l’avis du peuple.

Ensuite, même si en démocratie les résultats des échéances présidentielles sont chargés d’inconnues, Haïti semble un cas à part. Au regard des dernières joutes électorales (2010-2011 et 2016-2017) le pouvoir en place est le franc favori et devra garder le Palais national. Et ceci pour d’innombrables raisons.

Avant tout, parce que son candidat sera également celui du Core Groupe. D’autant que le choix de Jovenel Moïse n’a pas dû subir l’opposition apparue lors de l’imposition de la candidature au deuxième tour de Martelly en 2011.

Les racines les plus apparentes de l’actuelle crise se trouvent dans le soir du dimanche 28 novembre 2010, jour de votation du premier tour de l’élection présidentielle. Avant qu’un vote et unique vote ne soit dépouillé et avant même que les urnes ne soient arrivées à SONAPI, l’ambassade des États-Unis à Port-au-Prince, prenant de court ses collègues du Core Group, publie un communiqué où elle annonce que Washington ne reconnaîtra pas les résultats de la votation.

La mission d’observation électorale OEA/CARICOM – dont une large partie est financée par le département d’État – est jetée aux orties. Les conclusions provisoires de son responsable – Colin Granderson – lequel dans le cours de l’après-midi de la fatidique journée avait considéré que « 95% du processus de votation s’est déroulé convenablement » ne sont pas prises en compte. Washington prefère les réticences et les critiques de son service commandé, à savoir le Conseil national d’observation électorale (CNO) et de ses officiels accrédités par le CEP.

Mis au pas par les États-Unis, le Core Group peine à trouver son unité. Mais, très vite, les voix des pays réticents s’étouffent et on laisse faire Hillary Clinton. La position de celle-ci devient celle du Core Group.

On assiste alors à une cascade d’événements des plus insolites dont le Core Group – par action ou omission – a l’entière et exclusive responsabilité. Leur trait commun est l’exact contrepied de sa supposée position légaliste actuelle, car ils ont été tous marqués par le sceau de la violence et du non respect institutionnel. Rappelons, pour mémoire, les plus marquants :

- la tentative de putsch et d’exil forcé du président Préval, œuvre d’Edmond Mulet, suivant l’injonction d’une partie du Core Group, sans que cela soit mandaté par l’ensemble de ses membres.

- la révocation des visas des États-Unis et du Canada pour certains officiels haïtiens.

- les menaces constantes à l’encontre du CEP et de ses conseillers.

- l’obligation faite au CEP de changer les résultats officiels du premier tour de l’élection présidentielle en écartant Jude Célestin au bénéfice de Michel Martelly.

- au nom du Core Group, mission d’Hillary Clinton à Port-au-Prince (30 janvier 2011) afin de forcer Préval à désavouer le CEP.

Depuis cette date, Haïti est rentré dans le rang. En effet, une des conséquences historiques majeures des opérations de paix des Nations unies est celle de laisser, au moment de leur départ, un régime autoritaire, conservateur et de droite aux commandes du pays.

C’est le cas du Cambodge où le Premier ministre Hun Sen dirige le pays depuis 1984 (37 ans) ! C’est également le cas du Libéria avec le chef de guerre Charles Taylor, laissé à la présidence en 1997 après plusieurs Opérations de Paix des Nations unies (BANUL, MONUL et MINUL). Il faut noter que Taylor fut condamné à 50 années de prison pour crimes de guerre. L’autre exemple est le Congo où, suite à l’intervention des Nations unies en 1961, Patrice Lumumba est écarté et les Nations unies transmettent le pouvoir à Sese Seko Mobutu qui le garde jusqu’en 1997.

D’autres exemples pourraient être cités. Ce qu’il faut retenir est que la majorité de ces opérations réalisées, souvenez-vous, au nom des principes démocratiques, débouchent en fait sur des régimes autoritaires. Donc, il n’est pas surprenant que la MINUSTAH fasse renaître le duvaliérisme de ses cendres.

Encore une fois, l’international s’adjuge la part du lion dans les préparatifs électoraux haïtiens actuellement en cours. En appui au pouvoir, l’OEA et l’ONU, obéissant aux injonctions du Core Group, a défini le calendrier électoral. Ensuite et malheureusement encore une fois, le PNUD va gérer les fonds destinés aux élections – inclus l’apport du Trésor haïtien. Enfin, d’autres organisations du système des Nations unies (UNOPS, ONU Femmes et UNESCO) manifestement sans aucune expérience dans le domaine, sont devenues d’un coup de baguette magique, expertes électorales.

Depuis 1993 les rapports d’Haïti avec les Nations unies sont comme une kyrielle d’acronymes ou pour ceux qui ont faim, une soupe de sigles : MICIVIH, UNMIH, UNSMIH, UNTMIH, MIPONUH, MICAH, MINUSTAH, MINUJUSTH, BINUH.

Les affaires sérieuses débutent en avril 2004 avec une opération de paix en bonne et due forme. Au point que cette MINUSTAH fait apparaître le fameux Core Groupe « afin de promouvoir le dialogue avec les autorités haïtiennes et de contribuer à une action efficace de la communauté internationale en Haïti ». Il est composé des Représentants des Nations unies, de l’Union européenne et de l’OEA ainsi que les ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, de la France, de l’Espagne et des États-Unis. Au fil des ans, il y a eu des changements mais ses objectifs demeurent identiques.

Au terme de l’opération de paix et le départ de la MINUSTAH en octobre 2017, aurait dû signifier la disparition du Core Group. Rien de cela. Encore une fois, Haïti innove puisqu’il est le seul pays en paix où l’international pratique un multilatéralisme – puisqu’il ne s’agit point de diplomatie – concerté et largement coercitif.

Et si, par ces retournements de situation dont l’histoire garde le secret, mes prévisions échouent et que l’international perde sa mise comme c’était le cas récemment en Bolivie ? Il lui restera toujours l’exercice du pouvoir. Ainsi, de temps à autre, quelques tambours guerriers résonnent dans le ciel haïtien.

Edmond Mulet, le personnage des services commandés, vient se rappeler à notre mémoire. Lors d’une conférence à Santiago de los Caballeros en décembre 2019, à l’usage de l’extrême droite nationaliste dominicaine, l’ancien représentant des Nations unies en Haïti, propose que le commandement sud des États-Unis envahisse Haïti : « Il faut agir immédiatement, je ne vois personne d’autre ayant la capacité logistique pour le faire. » Pour Mulet, Haïti devrait redevenir une colonie de Washington. Il ne pourrait exister reconnaissance plus explicite de l’échec de l’international en Haïti. »

Cette déclaration est suivie par la cheffe du BINUH, Helen La Lime, laquelle dans une déclaration devant le Conseil de sécurité de l’ONU en juin 2020, agite à nouveau le spectre de la crise régionale provoquée par Haïti, dans des termes similaires employés par la Résolution 1542 d’avril 2004, justifiant la création de la MINUSTAH.

Cette terrible dernière décennie faite de séisme, choléra et putsch laisse derrière elle une leçon : l’international n’est pas prêt à accepter la démocratie en Haïti.

Et Haïti est-elle prête pour la démocratie ? Sa pyramide socioéconomique ressemble à un tableau cubiste de Picasso. Une assise immense, un sommet exigu et un inquétant vide au milieu. La démocratie est-elle possible en absence de classes moyennes ? Faudra-t-il attendre le développement économique pour arriver au paradis démocratique ?

Face à cette situation où les dés sont pipés et les carottes sont cuites, que font les oppositions ? Elles pratiquent leur sport favori : s’entredéchirer. Au point que l’ancien colonel Himmler Rébu, dans un vocabulaire imagé, demande à ses membres de se calmer et de cesser d’agir comme des « fourmis folles ».

Incapables de proposer une alternative crédible au pouvoir en place, les oppositions ne jurent que par un gouvernement de transition. Or, même les murs des cimetières haïtiens savent que ce modèle ne sert qu’à un seul objectif : se partager le piètre, néanmoins butin, offert par l’État.

L’union, l’union, encore l’union devrait être l’exclusif objectif des opposants. Quitte à faire des concessions majeures et faire rentrer au bercail leurs prétentions personnelles. Leur manque d’un minimum de solidarité fait le lit du pouvoir et conforte l’international.

Par ces temps de Covid 19 où le monde regarde ailleurs et où l’égoïsme national des puissants s’affiche sans vergogne, l’interminable dialogue de sourds jette Haïti aux oubliettes et bouche l’avenir de son peuple.

Ricardo Seitenfus[1]

[1] Représentant spécial de l’OEA en Haïti (2009-2011), auteur entre autres livres, de Les Nations Unies et le choléra en Haïti : coupables mais non responsables ? et de L’échec de l’aide internationale à Haïti : dilemmes et égarements, tous les deux publiés par C3 Éditions. Ces livres sont disponibles également en anglais, espagnol et portugais.

Ricardo Seitenfus
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