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SOFA : 35 ans de luttes féministes en Haïti

vendredi 12 mars 2021 par Charles

Le 22 février 2021 ramenait les 35 ans de la SOFA (Solidarite fanm ayisyèn), issue des dynamiques et des luttes contre la dictature en 1986. Sabine Lamour, coordonnatrice de ce matrimoine, qui se fait porte-parole des rapports d’inégalités entre les hommes et les femmes, passe en revue les combats de son organisation, les rôles des organisations féministes en Haïti et l’essence de la date du 8 mars.

« Bienvenue à la SOFA ». En toute simplicité, ces mots sont jetés sur un panneau d’indication en fer posé sur le côté gauche de la cour où crèche l’organisation féministe SOFA. Les arbres, l’ancienne maison portant encore les macules du tremblement de terre, en ce lundi matin du 8 mars, l’espace inspire la modestie et la sérénité. La force est calme. Ces quatre murs abritent une institution qui, depuis trois décennies et plus, se bat bec et ongles pour la cause des femmes.

« SOFA se donne pour mission de lutter contre toutes les formes d’oppression, d’exploitation et de domination auxquelles font face les femmes parce qu’elles sont des femmes. À partir de cette mission, on s’est fixé pour objectif de nous mettre aux côtés d’une catégorie particulière de la société et de nous battre à leurs côtés : toutes les femmes. Indistinctement. Peu importe leur classe sociale. Nous ne nous définissons pas suivant les dynamiques de genre, mais plutôt dans une dynamique des rapports sociaux de sexe. Autrement dit, nous nous positionnons dans les rapports d’inégalités qui existent entre les hommes et les femmes. Des liens systématisés et matérialisés par un rapport de pouvoir au sein de notre société. Un rapport de pouvoir que nous appelons le système patriarcal », a fait savoir la coordonnatrice générale de l’organisation, Sabine Lamour.

Les 35 ans de lutte de la SOFA sont aussi jalonnés par un rôle politique en Haïti. « Un rôle politique, pas dans le sens politique-politicienne mais en termes de construction de société. Les organisations féministes, dont la SOFA, jouent un rôle politique car à un certain moment, un problème qui traverse une société, les féministes peuvent l’élever au rang de question sociale, c’est-à-dire inviter tous les individus faisant partie de la société à réfléchir là dessus. Parce qu’à un certain moment, on devient tous concernés. Prenons le cas de la question de la santé des femmes qui ne concerné pas uniquement ces dernières. Lorsqu’une femme meurt d’une maladie qu’on pouvait éviter, une maladie liée par exemple à la santé sexuelle et reproductive, on perd un individu de la société, faisant partie de ce que les économistes catégorisent dans la production active », indique la sociologue.

Née des dynamiques et des luttes contre la dictature en 1986, la SOFA, avec un ancrage populaire, se table sur cinq axes de fonctionnement. « Nous les considérons comme notre cheval de bataille. Ce sont : la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles, la santé des femmes, la déféminisation de la pauvreté vers une autonomisation économique réelle en lieu et place d’une autonomie factice et contrôlée, la participation politique des femmes et le renforcement organisationnel », énumère la défenseure des droits des femmes.

En ces 35 ans de luttes féministes en Haïti, le bilan de l’association s’articule autour de ces 5 axes. « Sur chacun de nos axes de fonctionnement, on peut dresser un bilan. Si l’on se réfère à la participation politique des femmes, SOFA fait partie des différentes organisations ayant porté le plaidoyer qui a accouché le quota des 30%, un moyen de correction et de justice sociale. En ce qui a trait à la santé des femmes, nous faisons aussi partie des organisations qui ont incité l’initiation du décret de juillet 2005 criminalisant le viol », raconte Sabine Lamour, qui regrette que le bilan soit aussi « mince » en ce qui concerne l’axe de santé des femmes. « On peut dire que les acquis sont vraiment minces. On n’a pu faire que des plaidoyers, lancer des discussions sur les différents problèmes de santé que peuvent encourir les femmes, soulever les débats sur l’avortement, l’accès à la contraception pour celles-ci, au lieu d’aboutir à des avancées considérables en termes de prise en charge », regrette-t-elle.

« En termes de réalisations personnelles, nous avons implémenté une ferme-école à Saint-Michel de l’Attalaye, qui s’atelle à former près de 240 femmes. C’est un acquis qui demeure malheureusement fragilisé à cause des dynamiques politiques, surtout après l’arrêté du 8 février pris par le président de facto, visant à transformer Savane-Diane dans les zones franches. Ces 13 hectares de terre que nous avait concédées le gouvernement haïtien représentaient un espace partiel de démonstration pouvant permettre aux femmes de mettre en application ce qu’elles ont appris à la ferme-école », déplore Sabine Lamour.

Organisations féministes et devoir

Soulever les « questions sociales » dans le débat, attirer les projecteurs sur des problématiques cruciales touchant particulièrement les femmes, pour la sociologue-féministe, c’est également le rôle des organisations féministes, à l’instar de la sienne. « Définir des stratégies et faire des plaidoyers autour de ces questions sociales. En soulevant une question sociale sur le devant de la scène, on invite la société à réfléchir là-dessus et à définir des stratégies adéquates pour y remédier. Passer aussi le cadre des questionnements et pousser l’État à les adresser dans le budget national. C’est la mission d’une organisation féministe : agiter un ensemble de problèmes spécifiques auxquels fait face un groupe, les placer sur le devant de la scène et inviter la société à adresser la question dans les plus hauts espaces de discussion, c’est-à-dire, en Conseil des ministres. Créer donc des problématiques dans la société qui deviendront des questions politiques devant être adressées au sein du budget national », poursuit-elle.

La numéro un de la SOFA cite en exemple l’avortement, le cancer du sein et des ovaires. « Toutes ces questions, entre autres, peuvent être soulevées par la ministre à la Condition féminine en Conseil des ministres, sur la base de plaidoyers que nous, au niveau des organisations féministes, avons élevés au rang de question sociale », précise la militante, stipulant qu’il revient aussi aux organisations féministes de créer des problématiques et des réalités pour l’université. « Pourquoi, à un certain moment l’avortement peut constituer la troisième cause de décès des femmes enceintes en Haïti ? Pourquoi les femmes font-elles partie de la population la plus pauvre du pays ? Qu’est-ce qui pousse les hommes à fuir leurs responsabilités de père à un point qu’on a été obligé d’élaborer une loi sur la paternité, la maternité et la filiation ? », s’interroge Sabine Lamour.

Le féminisme comme contre-pouvoir

Le féminisme, en tant qu’organisation de la société civile, détient un statut de contre-pouvoir. En Haïti ou ailleurs. « En Haïti, les organisations de femmes jouent les mêmes rôles que les autres organisations féministes des autres pays, dans la mesure où l’on tient réellement à construire un État de droit et que nos institutions soient semblables à les leurs. À la seule différence que nous, nous évoluons dans une société faisant face à beaucoup d’autres problèmes, et que l’État d’autres pays se charge de financer les espaces de contre-pouvoir, grâce à une partie du budget national qui y est réservée, ce qui contribue à la bonne marche de ces organisations. Les espaces de contre-pouvoir sont l’ensemble des organisations qui forment la société civile dont le rôle est de surveiller les dérives. Ce qui fait que les activités de celles-ci ne sont pas financées par les militants mais par l’État qui reconnait l’importance de ces activités dans la bonne marche de la société », fait remarquer Mme Lamour, regrettant qu’il n’en soit pas de même en Haïti.

« Chez nous, c’est le contraire. Ces espaces sont financés par l’international. Ce qui devient alors encore problématique, car l’international ramène avec lui des problématiques qui l’intéressent particulièrement. Des problématiques qui peuvent ne pas être à un certain moment historique nécessairement fondamentales pour l’organisation », admet-elle.

Le 8 mars : entre célébration, commémoration, réflexion et mobilisation

« Pour les féministes, le 8 mars représente une journée de commémoration et de rassemblement. Selon le contexte dans lequel on se trouve, c’est aussi une journée de célébration. Célébration parce qu’en regardant derrière nous, on peut évaluer ce qu’on a accumulé comme luttes et les luttes qu’on a bien pu gagner. C’est aussi un moment de saluer les personnes à la base de ces gains (acquis). C’est un moment de mobilisation suivant le contexte politique. Une mobilisation politique pour pousser à respecter les droits fondamentaux et importants qui garantissent l’équilibre de la société », affirme Sabine Lamour.

Pour elle, c’est un jour pour penser davantage aux inégalités hommes-femmes. « Un moment de réflexion dans le but d’analyser et de produire des débats autour de ce que représentent les questions relatives aux femmes dans notre société, ce que signifient les rapports d’inégalités entre les hommes et les femmes et comment on peut interagir sur ces inégalités : susciter des réflexions et permettre l’émergence de nouvelles problématiques capables de raffermir le mouvement », ajoute-t-elle.

Vers une utopie féministe

Pour Sabine Lamour, tous ces combats menés par les femmes convergent vers un idéal. Un rêve. « Une utopie féministe », désigne-t-elle. « Vivre dans une société post-patriarcale. Une société où les hommes n’imposent pas leur volonté. Une société où la façon de socialiser les garçons les pousse à reconnaitre que les filles sont leur égal. C’est notre idéal. Vivre dans une société postcapitaliste, postraciale où l’on arrivera à déconstruire les rapports de pouvoir et les enjeux qu’ils ont apportés dans la société et proposer un autre mode de société aux futures générations », souhaite la responsable de la SOFA.

« Il faut que les ressources soient redistribuées. Que les hommes puissent lâcher des privilèges. Ils ont peur du monde post-patriarcal. Malheureusement. Pourtant, ils n’ont aucune raison d’avoir peur. L’utopie féministe ne renvoie pas à remplacer le pouvoir des hommes par celui des femmes. Nous disons tout simplement que nous sommes l’autre moitié de l’humanité. Nous voulons notre place. Nous ne souhaitons nullement prendre la place des autres. Qu’on nous reconnaisse en tant qu’humain. Qu’on n’est pas des citoyennes de seconde zone, mais des citoyennes réelles, capables de poser les problèmes de la société et de parler de tout ce qui nous intéresse sans personne pour nous agresser ni nous rabaisser, ou qui tende à nous renvoyer vers un espace privé, à notre place. Je n’ai pas de place. Tout le monde doit pouvoir vivre sur un pied d’égalité. Telle est la vision des féministes », martèle Madame Lamour avant de glisser en guise de conclusion : « Le féminisme, c’est l’avenir ».

Sindy Ducrepin


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