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Lettre ouverte de l’ancien premier ministre Robert Malval au président Jovenel Moïse

lundi 12 avril 2021 par Charles

Le Nouvelliste publie ci-après une lettre ouverte adressée au président Jovenel Moïse par l’ancien premier ministre Robert Malval qui sort pour la première fois, de son silence volontaire, après vingt-cinq ans. Pour ceux qui souhaitent lui rappeler son passé de premier ministre du président Jean Bertrand Aristide, Monsieur Malval joint à sa lettre à Monsieur Moïse une correspondance qu’il avait adressée à l’ancien général Max Vallès.

Adresse au Président de la République

Monsieur le Président,

Mon propos aujourd’hui n’est pas de contester le terme de votre mandat, bien qu’il le soit par les constitutionnalistes les plus éminents. Je souhaite plutôt vous interpeller, non sur la légalité de votre pouvoir, mais sur sa légitimité. Celle-ci, selon Chateaubriand, découle d’au moins l’une des trois conditions suivantes : la gloire (Ex : Napoléon sur les champs de bataille) ; le consensus populaire (Ex : De Gaulle à la Libération) ; la durée (Ex : les grandes monarchies européennes). Peu d’hommes et de femmes dans l’histoire ont bénéficié de cette forme suprême d’adoubement.

Force est de convenir, à la lumière du descriptif ci-dessus, que votre pouvoir n’est pas légitime dans l’acception du terme reconnue par l’usage. Or, seule la légitimité vous donnerait le droit de persévérer dans vos aberrations. Vouloir organiser un référendum ayant pour objet de faire valider par le vote populaire une nouvelle Constitution, faite sur mesure, qui serait en soi l’acte fondateur d’une nouvelle République, entraînerait notre pays plus encore dans le gouffre dont vous semblez mal mesurer les profondeurs. Vous n’avez pas la compétence, au-delà de la légalité, pour le faire aboutir. En vous obstinant dans cette démarche, contraire à la raison, pour ne pas dire insensée, vous risquez de dire un jour, en paraphrasant Mirabeau, "j’ai emporté avec moi les lambeaux de la Patrie".

Il n’est pas trop tard pour renoncer à cet aventurisme, d’où ne peuvent sortir que des germes de mort menaçant l’existence même de notre pays. Votre pouvoir est présentement caractérisé par l’impuissance à juguler l’insécurité généralisée et à enrayer les ferments de dissolution du tissu social haïtien. Il est impératif de changer de cap et d’ouvrir au pays des perspectives d’avenir, lequel est pour le moment très sombre.

Vos thuriféraires, dont certains se recrutent même dans une certaine communauté internationale, vous détourneront de cette voie, seule capable cependant d’éviter la désagrégation de la société et d’assurer un début de redressement dans les domaines politique, économique et social. Croyez-moi qui vous écris en connaissance de cause : rien n’est plus néfaste que la flatterie servile et intéressée et les voluptés dévorantes du pouvoir qui ont conduit nombre de ses détenteurs dans l’abjection.

Plus qu’un homme politique, soyez un homme d’État ! Ce serait votre seul titre à la gratitude nationale.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes patriotiques salutations.

Ce 11 avril 2021

Robert Malval

P.S. J’entends déjà les cris d’orfraie de vos partisans les plus zélés à la lecture de ce texte. Dans leur acharnement à défendre votre ligne politique, ils ne manqueront pas, aiguillonnés par des motivations d’inspiration vindicative, d’évoquer mon échec comme Premier Ministre il y a plus d’un quart de siècle, pour faire mon procès. Je réponds à l’avance à leur réquisitoire, en rendant publique ci-après, la lettre responsive à la sienne que j’ai adressée à mon ami Max Vallès, ancien officier supérieur des Forces Armées d’Haïti, le 20 novembre 1996 et qu’il avait lui-même publiée dans son pieux ouvrage « La Plus Belle Histoire d’Amour » :

Monsieur Max Vallès

196 Irwin Street

Safety Harbor, Florida 34695

Cher Max,

J’accuse réception de votre aimable et importante lettre du 14 novembre 1996 relative à mon ouvrage « L’Année de toutes les Duperies ». Importante tant par sa facture que par le rappel de faits historiques qui bien involontairement m’avaient échappé. Importante surtout par l’humanisme chrétien qui s’y dégage. Je savais par notre ami commun feu Marc Romulus que vous étiez un militaire exemplaire et je découvre, aujourd’hui, à la lecture de votre texte, combien notre pays exsangue et malheureux, s’est vu privé d’un officier capable de porter avec honneur et le sabre et la plume. Je suis entre deux avions et regrette de ne pouvoir être plus long aujourd’hui. Sachez que votre lettre est pour moi d’un grand réconfort et me permet de mesurer, une fois de plus, combien est aride le manichéisme imbécile qui continue de diviser le peuple haïtien au moment où il a tant besoin d’une réconciliation avec son passé et avec lui-même. J’ai trouvé, comme St Paul, mon chemin de Damas dans l’aventure lavalassienne et je me repens chaque jour d’avoir méconnu, naguère, la force de l’élan qui portait des hommes comme vous et dont la pureté nous aurait sans doute évité cette douloureuse descente aux enfers que connaît Haïti depuis dix ans.

Mes remerciements et mes amitiés.

Robert Malval

Mesdames et messieurs les contempteurs : j’étale sous vos yeux mon acte de contrition vieux de 25 ans.


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