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Nouvelle constitution : Affaiblir toutes les institutions indépendantes pour créer un président autocrate..., croit Josué Pierre-Louis

lundi 26 avril 2021 par Charles

Archaïque, sans intelligence…la constitution proposée par le Comité consultatif indépendant (CCI) représente un grand danger pour la société si elle est tombée entre de mauvaises mains, croit Josué Pierre-Louis. C’est pourquoi le juriste tire la sonnette d’alarme appelant à jeter à la poubelle cette constitution.

Participant à l’émission « Dèyè Kay » sur télé 20, avec Roberson Alphonse, jeudi 22 avril 2021, l’ancien ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Josué Pierre-Louis a analysé de fond en comble le projet de constitution proposé par le Comité consultatif indépendant pour l’élaboration de la nouvelle constitution (CCI). Un exercice pédagogique qui a permis au docteur en droit de révéler tout un ensemble d’incohérences qui caractérisent non seulement le texte lui-même, mais aussi toute la procédure pour accoucher ce texte.

Le référendum, une forfaiture

Avant tout, la décision de changer la constitution du pays est elle-même une grande aberration, si l’on croit M. Pierre-Louis. Il soutient qu’en tant que représentant disposant d’un pouvoir délégué, le président ne peut pas changer la constitution. « Quand on veut changer la constitution , on met en place une assemblée constituante », rappelle-t-il. En outre, selon lui, sur le plan juridique, l’on ne peut pas changer la constitution s’il n’y a pas de rupture. La présence du président de la république est la preuve qu’il n’y a pas de rupture, affirme-t-il.

La question de référendum est une forfaiture, estime M. Pierre-Louis qui affirme que le peuple ne peut pas se prononcer sur tout un texte. Aucun référendum n’est possible sans base constitutionnelle, rappelle-t-il en se référant au droit comparé. « Si l’on fait un référendum sans des débats publics, on va ainsi gouverner par préjugés. Ce n’est pas démocratique », déclare le juriste avant d’expliquer : « On n’a plus le temps de précéder le référendum d’un vrai débat dans l’opinion publique, mais au lieu d’aller chercher le jugement des citoyens on cherche leurs préjugés. »

Josué Pierre-Louis relève plus loin une grave anomalie. « Lorsqu’on regarde le décret ayant créé le Conseil électoral, dans son article 79, il stipule que la constitution sera adoptée si le oui atteint la majorité des suffrages exprimés », précise l’ancien ministre qui y voit une erreur d’évaluation. « Un référendum constitutionnel exige deux types de quorum : un quorum de participation qui implique que le vote n’est valable que s’il y a un certain pourcentage et un quorum d’approbation », fait-il savoir. « Le peuple électoral, le peuple arithmétique, c’est pas le peuple juridique, l’actant collectif, le peuple constituant », ajoute-t-il pour expliquer que pour voter une constitution cela exige une participation massive du peuple. Certains pays utilisent la procédure des trois quarts, avoue Dr Pierre-Louis qui regrette qu’« on ait fait autant de violations de la constitution pour aboutir à un texte qui est en réalité une régression.

L’homme de loi remet également en question l’existence d’un Conseil électoral provisoire qui n’a même pas prêté serment. « Lorsque les membres du Conseil électoral provisoire n’ont pas prêté serment, ils ne sont que des fonctionnaires relèvent du pouvoir exécutif. Car, c’est la prestation de serment qui leur donne l’onction pour agir, cette forme d’indépendance qui leur permet d’exercer l’impérium », avance Josué Pierre-Louis, parlant des conséquences en droit du fait que les membres du CEP n’aient pas prêté serment.

Un travail hors-sujet

Le spécialiste critique le manque de maîtrise du sujet par les membres du CCI qui ont produit un texte qui n’est pas valable qu’on peut tout simplement considérer comme un « catalogue d’articles ». « On ne peut pas faire ça au pays, parce que nous avons trop d’experts », s’offusque-t-il.

Au niveau du fond, le docteur en droit estime que le travail du Comité consultatif indépendant pour l’élaboration du projet de la nouvelle constitution est hors-sujet. Le CCI avait pour objectifs d’élaborer une constitution qui garantit solennellement les droits fondamentaux de la personne humaine et exprimer clairement les droits et devoirs du citoyen. Cependant il n’y a aucun mécanisme institutionnel et juridictionnel mis en place dans le texte pour faciliter, garantir les droits et libertés inscrits dans la constitution.

M. Pierre-Louis remarque également que le CCI a reproduit textuellement toutes les dispositions de la Constitution de 1987 sans apporter aucune correction aux faiblesses de celles-ci. « Ils n’ont pas proposé une nouvelle constitution. Dès le préambule, c’est le même texte que celui de 1987, ils ont seulement changé quelques mots impropres », fait-il remarquer. Par ailleurs, le CCI devait produire une constitution qui renforce les mécanismes de l’État de droit, mais en réalité, souligne M. Pierre-Louis, les membres du CCI n’ont fait que saper tout le fondement de l’État de droit dans leur projet.

Un autre objectif du CCI a été de rationaliser et de préciser la nature du régime. Là encore Josué Pierre-Louis dit relever de grandes incohérences. La nouvelle Constitution propose un régime présidentiel alors que, explique le juriste, il n’y a pas de rationalisation dans un régime présidentiel car les pouvoirs y sont rigoureusement séparés. « Le concept de rationalisation est possible dans un régime parlementaire parce qu’il y a une forme de collaboration des pouvoirs, il y a une forme de souplesse », explique-t-il. Toutefois la plus grande incohérence est que « rationaliser et préciser » sous-entend qu’il ne fallait pas changer de constitution. « Préciser ne veut pas dire changer. Aussi rationalise-t-on l’existant », argumente-t-il.

Enfin, alors qu’il avait pour objectif de clarifier et rééquilibrer les pouvoirs de l’État dans leur organisation et dans leur fonctionnement, le CCI a plutôt transféré le pouvoir au président de la République. « Quelle que soit l’entité qui a la plénitude du pouvoir de l’État, il sera tyrannique et cela peut déboucher sur un régime autoritaire », critique le juriste, qui pense qu’on a produit un mauvais texte.

Tout le pouvoir au président, sans responsabilité

Josué Pierre-Louis a scruté un ensemble d’articles du projet de la nouvelle Constitution en vue de bien asseoir son analyse. Il a analysé les articles 134, 139,153, 160,272, 274, 275, 276 entre autres. L’expert a déduit que cette nouvelle constitution est une farce, une plaisanterie.Tout cela, c’est notamment à cause d’un mauvais diagnostic de la Constitution de 1987. En effet, l’on part de l’hypothèse que celle-ci est une source d’instabilité.

Mais, réplique M. Pierre-Louis, l’une des causes du dysfonctionnement de l’État, ce n’est pas parce que le président n’a pas de pouvoir. Au contraire, c’est à cause des abus de pouvoir des présidents de la république qui ne veulent pas jouer le jeu démocratique. « Une bonne constitution interdit l’arbitraire et les abus de pouvoir alors que le projet du CCI ne nous protège pas contre tout cela », déplore Josué Pierre-Louis.

Beaucoup d’autres incohérences sont relevées par le juriste dans le projet du CCI. Par exemple, la Constitution établit que l’ensemble du pouvoir exécutif est entre les mains du président de la République qui sera appelé à accomplir des actes de gestion ; les ministres ne feront que l’assister. En outre, elle prévoit un mode de scrutin où le vainqueur sera déterminé à la majorité à un tour alors que, fait remarquer Dr Pierre-Louis, nous n’avons pas deux partis et les mécanismes pour y arriver ne sont pas existants non plus.

« C’est grave que le président soit garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire », relève par ailleurs Josué Pierre-Louis. Selon lui, c’est un exercice de copie sans cohérence sur le modèle de la France où, ajoute-t-il, où la justice n’est pas un pouvoir mais une autorité qui est dans l’exécutif.

Dans la nouvelle constitution, le parlement est défiguré. « Il y a une revanche. Ils affaiblissent toutes les institutions indépendantes. Il y a une volonté de créer un président autocrate », dénonce-t-il. C’est une constitution qui donne tout le pouvoir au président de la république sans qu’il n’ait aucune responsabilité. « Imaginez le danger si cette constitution tombe entre de mauvaises mains », alerte-t-il, précisant qu’il y a urgence d’abandonner cette constitution.


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