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Inédit : le premier amour de Simone de Beauvoir

lundi 10 mai 2021 par Charles

« Les Inséparables » (L’Herne), un roman inédit de la philosophe consacré à son amie d’enfance Zaza, vient de paraître. La première passion du Castor ?

Ce sont deux petites filles d’une dizaine d’années qui se vouvoient et s’aiment passionnément. Quand Simone de Beauvoir, encore enfant, rencontre Élisabeth Lacoin, dite Zaza, cette dernière prend aussitôt une place capitale dans sa vie. Toutes deux élèves dans un cours catholique, elles ne se quittent plus. Mais en 1929, Zaza meurt à l’aube de la vingtaine. D’une encéphalite virale, diagnostiquent les médecins. Mais aussi, pense la romancière, désespérée, d’avoir été broyée par son milieu catholique, bourgeois et conservateur, où il était impensable qu’une fille existe pour elle-même. Hantée par cette mort, Simone de Beauvoir l’explora dans un bref roman resté inédit jusqu’à aujourd’hui, Les Inséparables (éditions de L’Herne). Elle y transposait sa relation avec la lumineuse Zaza (devenue Andrée, tandis que Simone se réinvente sous le prénom de Sylvie) et leurs chemins parallèles vers l’émancipation, jusqu’au dénouement, brutal et tragique. Les explications de Sylvie Le Bon de Beauvoir, fille adoptive et spécialiste de l’écrivaine.

Le Point : Nous connaissons la relation entre Simone de Beauvoir et Zaza grâce, notamment, aux Mémoires d’une jeune fille rangée et aux Cahiers de jeunesse (Gallimard). En quoi cet inédit complète-t-il le tableau ?

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Sylvie Le Bon de Beauvoir : Cela rappelle, sous une nouvelle perspective, à quel point la relation avec Zaza a été fondamentale pour Simone de Beauvoir. La tragédie de sa mort la hantait. Il fallait qu’elle s’en libère par l’écriture, et rende justice à Zaza. Elle avait déjà tenté diverses transpositions, notamment dans son recueil Anne, ou quand prime le spirituel, et dans un passage supprimé du roman Les Mandarins (Gallimard).

Pour Simone de Beauvoir, au fond, Zaza a été assassinée…

Oui, elle emploie des termes très forts. Elle parle d’« assassinat de Zaza par son milieu », et de « crime spiritualiste » (car, dans ce milieu, l’idéologie religieuse est utilisée pour déguiser les intérêts de classe). Il faut comprendre à quel point Simone de Beauvoir a aimé Zaza, qui a illuminé sa jeunesse. Mais aussi qu’avec elle, elle a découvert la cruauté du milieu bourgeois, son conformisme étouffant, sa tyrannie. Certes, Simone de Beauvoir venait elle-même d’un milieu conservateur, dont elle a mis des années à se libérer. Mais, chez Zaza, c’était beaucoup plus écrasant.

Simone de Beauvoir décrira l’année 1929 comme celle de la « naissance du Castor » (Cahiers de jeunesse). C’est aussi celle de la mort de Zaza. Quel rôle joue ce traumatisme dans son chemin vers l’émancipation ?

Zaza est une sorte de double, au destin parallèle. Ensemble, elles ont lutté contre l’étouffement, « le destin fangeux » qui leur était assigné en tant que filles nées dans un milieu bourgeois. Zaza a échoué dans la mort quand Simone de Beauvoir, elle, se libérait. Elle a pu ressentir une certaine culpabilité du fait que le monde s’ouvrait pour elle quand il se fermait pour Zaza. En un sens, survivre est une faute.

Pourquoi Simone de Beauvoir n’a-t-elle pas publié Les Inséparables ?

C’est un choix de genre littéraire : elle hésitait entre fiction et autobiographie. En 1954, elle vient de passer quatre ans à écrire Les Mandarins, un roman considérable où elle a mis beaucoup d’elle-même. Elle n’a pas pu attaquer l’autobiographie directement, elle a pris le détour de l’histoire de Zaza. Ça ne l’a pas vraiment satisfaite, puisqu’au fond, elle désirait écrire sur elle-même. Mais cela nous montre encore à quel point l’histoire de Zaza est cruciale : ce qu’elle voulait écrire sur elle, elle l’écrit sur son amie, car, dans Les Inséparables, c’est bien son personnage qui est au centre du récit, tandis que le personnage d’inspiration autobiographique est plutôt effacé.

Reste-t-il des inédits de Simone de Beauvoir ?

Oui, des romans de jeunesse, des correspondances diverses (celle du « trio » tenté avec Jean-Paul Sartre et Olga Kosakiewicz, par exemple) et un journal important, qui va de la Libération à la fin de sa vie.

On accuse parfois la jeune génération féministe d’être trop radicale. Aurait-on pu appliquer ce terme à Simone de Beauvoir ?

Oui, elle se voulait absolument radicale. « On ne me dira jamais trop féministe », disait-elle…

Les Inséparables, de Simone de Beauvoir, introduction de Sylvie Le Bon de Beauvoir (éditions de L’Herne, 176 pages, 14 euros).


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