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Sept ans qui m’ont forgé le caractère ou Mon passage au Lycée Alexandre Pétion (LAP)

samedi 4 décembre 2021 par Charles Sterlin

Je suis rentré au lycée plein d’a priori. En effet, à l’École Jean Marie Guilloux d’où je venais on avait une peur bleue des élèves de lycée en général, de ceux du Lycée Alexandre Pétion en particulier. Nous étions trop proches voisins pour ne pas vivre quelques petits heurts dont ces derniers sortaient toujours vainqueurs. De là à me trouver au beau milieu de ceux que je craignais hier, il a fallu un temps pour m’imprégner de l’âme lycéenne ! Temps qui a été fort heureusement de courte durée.
Par Yvon ORESTE

Au cours du premier trimestre de l’année académique 1977-1978, il y eut un « vannay ». J’ai eu droit à mon coup de « rigouase » comme tous les autres camarades. Mais contrairement à beaucoup, j’ai crié à l’injustice car à la maison ou à l’école primaire on me punissait pour les fautes que je commettais. Voilà que j’étais battu sans avoir fait la moindre peccadille. Mon seul tort ayant été d’être de la 6e II et d’avoir été présent en classe ce jour-là. Je rentrai à la maison « courroucé » comme un coq à la sortie du ring. Ma mère fondit en larmes et demanda à mon père de me retirer du lycée dès le lendemain.
La nuit portant conseil, mon père me proposa le lendemain de retourner en classe mais il me promit de m’inscrire ailleurs à la plus prochaine « injustice » dont je pourrais sortir victime. J’acceptai le marché.
Une ou deux semaines plus tard, mon immersion dans l’ambiance d’une classe surchargée où l’on avait beaucoup d’heures creuses que les camarades comblaient par des « jeux de société » ou des palabres à n’en plus finir, fut telle que je pris ma première résolution - que je ne partageai, bien sûr, pas avec mes parents - : « Je ne resterai point de marbre si les camarades s’avisent de s’agiter. Je prendrai part aux turbulences. Quitte à être puni pour ce que j’aurai fait de mal. » Ainsi était réglée la problématique de « l’injustice » !
Peu de temps après, j’ai bu une bonne rasade de l’âme lycéenne le jour où le professeur d’anglais, Maître Verna, (alias « Maître Estoy Limonade » pour nous), ne pouvant tenir la classe, consentit de guerre lasse à appeler à la rescousse les « disciplinaires » du lycée.
Ce matin-là je n’étais pas d’humeur à prendre part aux agitations de la classe. Aussi, avais-je attiré l’attention de M. Verna sur le comportement paisible de toute la travée où j’étais assis. En conséquence, lorsque trois « metteurs d’ordre » arrivèrent, Me. Verna désigna les deux autres rangées pour être punies. Après avoir accompli leur œuvre, les ‘trois mousquetaires’ laissèrent la salle, fiers de leur besogne accomplie avec conscience.
Le meneur du jour, insatisfait de la fin de l’histoire, partit à la suite des « tourmenteurs » pour leur tenir ce discours : « Il n’est pas juste de punir les deux tiers d’une classe et de ménager un tiers ! »
Les disciplinaires non fâchés de trouver de nouvelles victimes revinrent sur leurs pas et tabassèrent la section auparavant épargnée. Je reçus cette fois-ci mon coup de rigouase qui me révolta plus fort que celui du premier trimestre. Sans réfléchir, ni même nous concerter, un autre camarade et moi bondîmes pour interpeller le surveillant général en dénonçant celui qui était la cause de tout. De fait c’était lui, qui tôt dans la matinée, avait commencé à appeler le maître d’anglais « Estoy Limonade » au grand dam de celui-ci. Le surveillant se fraya alors un chemin entre les bancs pour arriver jusqu’à nous (le camarade et moi) ; il nous fit passer pour toujours le goût du mouchard. En cognant sur nous plusieurs fois il eut ces seuls mots : « On n’a pas besoin de traitres au Lycée ! » LEÇON APPRISE : MÊME SI NOUS POUVONS AVOIR À NOUS PLAINDRE LES UNS CONTRE LES AUTRES, DEVANT L’ÉTRANGER NOUS DEVONS RESTER SOLIDAIRES.
Ce sentiment d’unité nous a emplis pendant toute notre vie au Lycée. Il était évident dans les groupes de travail que nous avons constitués depuis la classe de cinquième et qui ont été maintenus jusqu’en terminale. Après les cours, nous restions dans la salle pour nous entraider. Nous mutualisions nos compétences. Le plus calé dans une matière prêtait main forte aux autres. Ainsi nous progressions tous ensemble, ou presque.
Le plus bel exemple de succès de groupe a été vécu en juin 1980, à la fin de la classe de 4e. Au cours de cette année académique 1979-1980 nous avions travaillé comme des forçats. Nous nous réunissions presque tous les après-midi pour traiter des exercices de mathématiques et de physique. Le jour de la remise du carnet scolaire, le Directeur, M. Antonio Occil (aujourd’hui disparu) a fait distribuer le bulletin à toutes les autres classes sauf à nous. Lorsqu’on a eu terminé avec tout le monde, il a commencé à nous sermonner ; nous traitant de paresseux. Nous étions plutôt désappointés car nous n’avons ménagé aucun effort, avons sué sang et eau pour finir par nous entendre qualifier de paresseux par celui qui détenait les résultats, fruits de nos peines. Finalement, il s’esclaffa de rire en prononçant les dents serrées comme à son habitude : La classe est admise !
Inutile de dire que nous nous sommes jetés dans les bras l’un de l’autre et que personne ne se préoccupait de savoir qui a eu la meilleure ou la plus faible moyenne. La Classe était admise en troisième. C’était l’essentiel ! LEÇON APPRISE : AVEC BEAUCOUP D’EFFORTS ET DE L’ENTRAIDE, ON PEUT VENIR À BOUT D’OBSTABLES AUTREMENT INSUR-MONTABLES.
Le Lycée nous a muris plus que ne le ferait aucun établissement privé. Issus pour la plupart de la classe moyenne, disons mieux, du prolétariat, voire du sous-prolétariat, nous savions que nous étions des boursiers de l’État. Nous ne pouvions nous permettre d’échouer. Nous avons d’ailleurs vu le sort de ceux qui ont raté les examens de passage et qui ont dû abandonner définitivement l’école. Nous serrions donc les dents pour ne pas vivre une telle catastrophe. Nous étions de véritables petits adultes.
Toujours en classe de 4e I, un camarade a commis une faute grossière. Le surveillant général est venu régler la question en pleine salle. La peine était extrême : le compagnon était chassé du Lycée. Cette sanction est tombée tel un couperet. Nous étions sans souffle. Mesurant l’ampleur des dégâts, le désespéré a vite fait de se jeter aux pieds du surveillant qu’il a saisi par la taille pour lui dire d’une voix blanche de condamné à mort : « Non Maître Chéry ! Vous ne pouvez pas faire cela ! Vous savez bien que vous ne le pouvez pas ! Vous êtes un ‘Papa bon cœur’ ! Non Maître ! Ne faites pas cela ! » Toute la classe a vibré en entendant ce cri déchirant. De l’adrénaline nous a tous traversés, y compris certainement le surveillant général lui-même. Retournement immédiat de la situation. Le fautif a été gracié sur le coup. LEÇON RETENUE : SACHANT D’OÙ NOUS VENIONS, L’ÉCOLE ÉTAIT LA CHANCE À SAISIR MÊME S’IL FALLAIT POUR CELA ACCEPTER D’ÊTRE ÉCORCHÉ VIF ICI ET LÀ AVANT LA FIN DU PARCOURS.
Nous étions solidaires surtout dans la pratique de bonnes choses. Au début de l’année 1980-1981, en classe de Troisième D (une tradition veut que ce fut, à l’époque, la meilleure section au LAP, n’en déplaise à ceux des trois autres sections), deux camarades furent relégués en Troisième B pour une faute qu’ils ont commise. Cela nous a tous affligés. Mais plutôt que de nous morfondre, l’un de nous a pris l’initiative d’écrire une lettre au Directeur Siméon (qui aujourd’hui n’est plus). Toute la classe a signé.
Dans cette lettre il était dit que nous étions tous prêts à payer quel que soit le prix en vue d’obtenir le retrait de la mesure disciplinaire infligée à nos deux camarades. Le Directeur a apprécié cette démarche ; il est venu personnellement dans la classe nous féliciter de l’initiative et il nous a rendu nos ‘frères’. LEÇON RETENUE : NE JAMAIS LÂCHER UN CAMARADE, SURTOUT LORSQU’IL EST AU FOND D’UN GOUFFRE.
Sans nous mener à l’orgueil, le lycée nous rendait fiers en dépit de notre pauvreté. Les succès de nos aînés étaient nôtres et nous nous apprêtions à devenir des modèles pour nos successeurs.
Nous étions particulièrement fiers de nos instructeurs. Ces derniers ne se contentaient pas de nous transmettre leurs savoirs, c’était nos conseillers dans la vie. C’était des forgeurs de citoyens, des bâtisseurs d’hommes. La vingtaine d’enseignants qui ont formé ma promotion au Lycée Pétion méritent tous que je leur rende un hommage bien mérité. Malheureusement, le temps et l’objectif de ce texte ne permettent pas de m’engager dans cette voie. Qu’on accepte cependant que je trie quatre de ces colosses aux pieds desquels nous avons reçu le pain de l’instruction :
Je revois encore Me. Jean-Baptiste Blanchard, tout jeune, nous distribuant son savoir en tant que professeur de français ; il étudia avec nous les neuf parties du discours, la formation des mots de la langue de Voltaire : formation populaire et formation savante. Ainsi, la langue latine n’était pas une langue morte ; elle prenait vie à travers les mots qui en découlaient. Que de plaisirs avons-nous eues à apprendre de succulentes expressions qui nous ont servi par la suite lors des joutes oratoires dans les clubs artistiques et littéraires ! Plus d’une fois, nous avons eu à vivre la réalité de ces expressions. En effet, en certaines occasions ne sommes-nous pas obligés de « franchir le Rubicon » après « avoir tranché le nœud gordien » pour ne pas rester en chemin ? Parfois cependant nos efforts restent vains et s’assimilent à « mettre Pélion sur Ossa ». Le pire arrive lorsque « nous passons sous les fourches Caudines » d’un adversaire, lequel a, peut-être sans le savoir, « une épée de Damoclès » suspendue sur sa tête. L’enseignant ne se contentait pas de nous faire connaître ces expressions, il nous les faisait découvrir en nous racontant le mythe ou l’histoire qui se cachait derrière chacune d’elle. MERCI MAITRE BLANCHARD. VOUS MÉRITEZ NOTRE RECONNAISSANCE ÉTERNELLE POUR VOTRE EXCELLENT TRAVAIL ACCOMPLI AVEC NOUS !
Globotruncana ? Ce nom barbare n’évoque presque plus rien pour les lycéens de ma génération. Qui se souvient de la théorie de Wegener sur la dérive des continents ? Que dire de la tectonique des plaques ? Qui aujourd’hui peut exposer sur la maturation des plantes ? Sauf exception, la plupart d’entre nous avons tout oublié. Pourtant, il suffit de prononcer le nom de Madame Mona Basse Anthony pour faire remonter à la mémoire notre professeure de géologie et de biologie. On se rappelle bien ses mises en garde contre la débauche, le vagabondage ; elle nous conseillait même dans le choix de notre carrière future ; elle était plus qu’une professeure de sciences naturelles ; elle nous orientait dans la vie comme le ferait une mère attentionnée. D’ailleurs elle garde aujourd’hui encore vives les relations qui ont été tissées avec tous ceux qui se font le devoir de lui dire un mot de temps à autre. Que madame Basse trouve ici l’hommage que des générations du LAP lui vouent. MERCI MADAME BASSE. VOUS AVEZ ÉTÉ ET VOUS ÊTES ENCORE LA MÈRE QUE NOUS CHÉRISSONS TOUS ! NOUS VOUS AIMONS DU FOND DE NOS CŒURS !
Avec Me. Joseph Désir, qui nous a devancés dans la tombe, les cours de Littérature allaient au-delà de l’analyse des écrits des auteurs. Nous apprenions à raisonner. Tout sujet était « décomposé en ses termes essentiels afin d’en dégager le sens », j’ai cité ce colosse. C’est ce sens bien compris qui indiquait la façon dont le traitement serait fait. Cette méthode de travail nous permettait de nous en sortir face à n’importe quel sujet sans qu’on ait besoin de mémoriser des dissertations ; elle me guide aujourd’hui encore dans ma vie professionnelle.
Lorsqu’un cours de Me. Désir me plaisait tout particulièrement, je me mettais debout dans la salle et répétais pour toute la classe : « Lè m gran, m pral fè Mèt Désir ! » Il affectionnait tant cette boutade que des années après le lycée il me la répétait chaque fois que nous nous rencontrions en présence d’une tierce personne.
Rares sont les élèves qui gardent de bons souvenirs de leur prof. de mathématiques. M. Emmanuel Fils-Aimé (qui n’est plus de ce monde) fut mon modèle. On ne pouvait lui poser une question si ses notes n’étaient pas, pour le moins regardées. Il n’acceptait pas qu’un élève lui dise qu’il n’a RIEN compris. En pareil cas sa réponse était toute faite : « Ta place n’est pas ici ». Avait-il vraiment tort ? Cependant celui qui pouvait situer la zone de difficulté et qui donnait les bonnes réponses aux questions qui allaient au fond du problème trouvait par lui-même ce qu’il cherchait grâce à cette façon habile dont le maître conduisait le raisonnement. On ne fait pas mieux aujourd’hui encore. EN RAMENANT DIRECTEURS OCCIL, SIMÉON, MAITRES DÉSIR, FILS-AIMÉ, AU BON SOUVENIR DES ANCIENS ÉLEVES DU LAP, JE VEUX LEUR RENDRE UN HOMMAGE POSTHUME QU’ILS MÉRITENT BIEN.
J’ai passé plusieurs années à enseigner dans le privé ; cela sonnait très mal à mes oreilles lorsque j’entendais un camarade appeler un autre : « Élève ! » Terme impersonnel, vague et froid. De mon temps, les lycéens s’appelaient par leurs noms ou par un sobriquet. Quelques rappels qui font sourire : Bœuf (pour sa force physique), Konatra (pour la grande pointure qu’il chausse), Perroquet (pour son nez en bec de perroquet), Ti Mahotière (parce qu’il venait de cette zone de Carrefour), Tête d’Or (pour la couleur dorée de sa chevelure) … Il n’y avait pas d’« étranger sans nom » dans les classes. On se connaissait tous. Ou presque. Quelle harmonie !
Aurais-je mesuré la valeur de la camaraderie avec autant de précision ? Aurais-je pesé avec autant de justesse l’importance du partage ? Aurais-je savouré le prix de l’effort commun ? Aurais-je fréquenté autant de maîtres-pères-mères-formateurs tout à la fois ? Que de leçons apprises durant ces sept années de vie au Lycée Alexandre Pétion !
Que sommes-nous devenus ? Quelques-uns ont réussi leur vie ; d’autres trament dur pour joindre les deux bouts. Certains enfin tirent le Diable par la queue pour exister encore.
Je répète toujours que les plus fortes amitiés se sont nouées sur les bancs de l’école. Pour ne pas faire de jaloux je ne cite aucun nom de camarades. Tous savent que je les porte sur mon cœur. Il y en a que je rencontre assez souvent. Une ou plusieurs fois l’an. Il y en a d’autres que j’ai perdus de vue ; mais il suffit d’un coup de fil pour ramener à notre mémoire des moments que nous avons vécus ensemble et qui nous ont marqués pour toujours.
Beaucoup ont disparu ou vivent à présent en terre étrangère ; le risque que l’on ne se revoie plus jamais est patent. Néanmoins, il est certain que plus d’une fois un visage rencontré à la croisée d’un chemin ici ou là-bas aura le mérite de nous rappeler l’espace d’un cillement que ce faciès appartient à quelqu’un ou rappelle celui de quelqu’un qui a usé ses fonds de pantalon sur les bancs de ce vieux lycée ; quelqu’un qui a bu en même temps que nous l’eau du savoir à la Rue Pétion à l’entrée (ou à la sortie) du Bel Air, au Lycée Alexandre Pétion qui aujourd’hui compte 205 ans !
Biade pour les Pétionlycéens
PROMOTION : OCTOBRE 1977- JUIN 1984

Auteur Yvon ORESTE

1^ Prononcer « Van Naille » : châtiment corporel infligé à toute une classe.
2^ Fouet fait de nerf de bœuf dont on se servait pour corriger les enfants tant à la maison que dans les établissements scolaires. On le trouve encore aujourd’hui dans certaines familles.
3^ Texte écrit en mars 2016 pour commémorer le bicentenaire de la fondation du LAP, et révisé en novembre 2021


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