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Adios amigo

mardi 2 février 2016

Dans quelques jours, il y aura trente ans qu’une photo ayant vite fait le tour du monde fixait l’image : un dictateur aux joues bouffies au volant de son véhicule en route vers l’aéroport ; à côté de lui une femme à la beauté dure et la fumée de sa cigarette ; à l’arrière, leurs enfants, un officier en uniforme leur servant de babysitter. Jean-Claude Duvalier partait pour la France. Dans les rues, une fois la nouvelle sue, le déchoucage, mais aussi la fête. On se disait qu’on allait enfin pouvoir parler à voix haute, diriger nos affaires, prendre en main nos destins et aménager un territoire de vie plus juste et plus beau pour ceux qui allaient naître dans cinq, dans dix, dans trente ans.

Il sont là et constituent aujourd’hui au moins la moitié de la population. Le seul bien que nous leur avons laissé, nous avons oublié d’en mentionner le prix. C’est du sang et du courage, beaucoup de sang et beaucoup de courage, qui ont mouillé et solidifié le chemin vers cette liberté d’expression dont nous jouissons aujourd’hui. Il faut saluer la mémoire des milliers d’anonymes et des figures héroïques que l’histoire a retenus. Nous leur devons en grande partie la possibilité de dire : non, monsieur le président, la dictature c’est fini. Adios amigo.

Cette liberté d’expression, pour relative qu’elle puisse être, reste sur ces trente ans notre seule conquête de peuple. Pour le reste, nous sommes encore dans le passé, dans ce que le duvaliérisme a fait, mais aussi, et ce peut être pire, dans ce qui a fait le duvaliérisme.

Nous sommes encore dans la reproduction, sur les plans économique et social, des structures et pratiques productrices de ce haut degré d’inégalité sociale qui caractérise la société haïtienne. Et dans la perversion ou le détournement des légitimes discours revendicatifs qui s’y opposent. Dans ce jeu macabre, nous avons perdu un acteur : l’Armée, et renforcé le pouvoir d’un autre : l’International.

Le paradoxe est que c’est sur la fin de ces trente dernières années que nous avons connu (à l’exception des courtes périodes de dictature militaire) le gouvernement le plus réactionnaire de l’après-Duvalier.

Il combine l’usage des appareils d’État à des fins personnelles, l’expression ouverte des préjugés sociaux et leur application dans ses façons de faire, la volonté autoritaire, le népotisme. Le pouvoir Martelly, c’est les procédés et les réflexes du duvaliérisme ajoutés à des réflexes d’exclusion peu éloignés du mûlatrisme. Deux fois le pire.

Nous avons donc mis vingt-cinq ans pour aboutir à un anachronisme. Il faut dire que la communauté internationale nous y a aidés. Certains iront jusqu’à dire qu’elle nous l’a imposé.

Le rejet en masse de cet anachronisme (tu es pauvre et tais-toi, l’État est à qui le dirige ) est un beau signe. Nous semblons savoir vers quoi nous ne voulons pas nous retourner. Mais reste l’immense risque d’un retour à une quelconque forme de perversion-récupération des discours revendicatifs. L’enjeu, au-delà du bonheur de dire Adios amigo au champion de l’anachronisme, est de trouver les formes justes d’expression de ces discours revendicatifs et des actions politiques rendant enfin cette société plus humaine.

Trente ans depuis la chute de Jean-Claude Duvalier. On peut dire que cela suffit : nous ne pouvons passer notre avenir à installer au pouvoir toutes les bâtardises du duvaliérisme pour devoir les chasser ensuite. C’est à toutes les mauvaises parts du passé qu’il faut dire Adios amigo.
Antoine Lyonel Trouillot
zomangay@hotmail.com


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