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"Il était marié mais il m’a tout donné"

mercredi 11 janvier 2017

Pendant dix ans, Paul a aimé et soutenu Lucie sans jamais défaillir et sans jamais envisager de quitter sa femme.
Propos recueillis par Jeanne Rosenfeld.

Un début chaotique

J’avais 20 ans, j’habitais Montpellier, Paul était dermatologue. C’était mon patron. Secrétaire médicale, je travaillais pour lui. Il était beau, aimait les femmes et, moi, je me voyais sans avenir, gauche, moyenne. Mon enfance n’avait pas été très gaie. Ma mère est morte d’un cancer quand j’avais 2 ans. Mon père était inquiet, pessimiste. Quand je suis allée chercher les résultats de mon bac et que je suis rentrée à la maison, heureuse et soulagée d’avoir été reçue, il m’a lancé : « Même pas une mention ? » Il m’aimait, mais il était trop malheureux pour me le montrer.

Après mon bac, j’ai voulu travailler très vite afin de quitter ce tête-à-tête si ennuyeux. Je ne voulais pas les garçons qui me trouvaient séduisante. Je n’étais pas malheureuse, j’avais des rêves : un mari aimant et joyeux, trois enfants, et devenir pédiatre. Le soir, avant de m’endormir, je me projetais dans ma vie future, accueillant des petits enfants dans mon cabinet, rassurant leurs parents, puis retrouvant ma famille. Mon mari, mes enfants dans mes bras.

Paul aimait les femmes. Enfin, c’est ce que l’on m’avait raconté. Un « homme aux honnêtetés successives », m’avait lancé Marion, une amie qui avait travaillé avec lui quelques années auparavant. La vérité était que Paul, après une vie sentimentale très agitée, était très marié et très fidèle.

Une prise en charge opportune

Et moi, j’allais tous les jours au bureau en tremblant. Il semblait m’apprécier, me posant des questions sur mon avenir, ma famille, me complimentant sur mon travail, remarquant une nouvelle robe. Je sentais qu’il avait l’habitude de parler aux femmes. Je lui ai raconté mon désir de devenir pédiatre, ma peur de m’engager dans des études de médecine si longues, sans famille pour me soutenir financièrement.

Tous les jours, les derniers patients partis, nous restions face à face dans son bureau à parler de tout, et il ne se passait rien. Je ne voyais pas où il voulait en venir. Je l’imaginais pervers, séducteur, don Juan. J’attendais qu’il m’emmène à l’hôtel et me laisse tomber ensuite. Mais rien ne collait aux clichés que l’on colportait sur lui, ou que j’imaginais. De temps en temps, je surprenais son regard sur moi, fixe.

Et puis, un jour, il me fait venir dans son cabinet, et me déclare : « J’espère que ce que je vais vous dire ne va pas vous faire peur. Aujourd’hui, à l’heure du déjeuner, je vous emmène avec moi. Nous allons chercher un dossier d’inscription en première année à la faculté de médecine et, ensuite, si vous le voulez bien, je vous invite à déjeuner. » Il a balayé toutes mes inquiétudes et, pour la première fois, il m’a tutoyée : « Je sais que tu vas y arriver, de toute façon, j’ai de l’ambition pour toi. »

Le début de l’ambiguïté

Un matin de mai, cela faisait six mois que nous travaillions ensemble, j’ai trouvé une force en moi que je ne pensais pas avoir, et je lui ai demandé, entre deux consultations : « Qu’est-ce qui se passe entre nous ? Vous trouvez que c’est une relation normale entre un médecin et sa secrétaire ? Moi, je ne sais pas. » Il a répondu très clairement : « Non, ce n’est pas une relation normale. Je vous aime, et je sais aussi que jamais je ne quitterai ma femme. Pour la première fois de ma vie, je ne sais pas quoi faire. » Quand je pense aujourd’hui à cette scène, elle me paraît irréelle, un vrai roman à l’eau de rose, mais il m’avait avoué si facilement qu’il m’aimait, moi qui étais si timide, incapable d’exprimer le moindre désir, et j’avais eu ce premier courage, lui poser cette question : « Qu’est-ce qui se passe entre nous ? » Je n’en revenais pas qu’un homme tel que Paul m’aime. Sa façon de me regarder, de m’admirer me transformait chaque jour. Car, très vite, on a trouvé une solution, bancale, mais une solution quand même. Il ne quitterait pas sa femme, mais on tenterait de s’aimer quand même. On se retrouvait ensemble, dans mon studio, quelques heures par semaine. Il m’aimait, me le disait souvent, mais quand c’est moi qui le lui disais, il se recroquevillait. « Cela me fait peur. N’attends rien de moi, me répétait-il. Je ne quitterai pas ma femme. Je ne peux te donner que des miettes. »

Une vie chamboulée

A la rentrée de septembre, j’ai commencé une première année de fac très difficile tout en continuant à travailler pour Paul à mi-temps. Il était toujours là. En quelques mots, il savait me donner confiance, me rassurer. Grâce à lui, tout me paraissait plus facile. Les matières scientifiques, les colles et les concours à n’en plus finir. J’avais envie de l’épater continuellement. Et cela marchait. Jamais quelqu’un ne m’avait regardée comme Paul. Notre histoire était secrète. Ma meilleure amie, Caroline, a tout deviné. Elle voyait ma transformation. « Tu es lumineuse, t’es amoureuse, ou quoi ? » J’ai fini par lui avouer mon histoire avec Paul. Elle était horrifiée : « Un homme marié, rien de pire. Tu mérites mieux que ça. » Je tentais de lui expliquer tout ce que Paul m’apportait. « Mais vous ne passez jamais un week-end ensemble, jamais une nuit, rien ? – Non, rien, mais, en même temps, beaucoup. » Caroline avait du mal à comprendre. Parfois, je me révoltais contre Paul, boudant, refusant de le rappeler, puis le suppliant de passer la nuit avec moi. Je suis allée voir un psy. Au bout de quelques séances, il m’a expliqué que je devrais peut-être quitter Paul : « Une histoire avec un homme marié vous mène à un mur. » J’ai préféré quitter ce thérapeute.

La grande désillusion

J’étais en troisième année de fac lorsque j’ai vu sa femme pour la première fois, dans un restaurant du centre-ville. Paul dînait avec elle. Leur conversation était animée. Ils paraissaient complices, amoureux. Je n’ai rien pu avaler. Je les ai salués de loin, et je suis partie, arrivant à peine à tenir sur mes jambes. Un cauchemar. Le lendemain, Paul m’a avoué que cette situation était pour lui très pesante. « J’ai l’impression d’être coupé en deux. Je ne peux rien reprocher à ma femme. Notre histoire détruit le lien que j’ai avec elle. Je ne veux pas lui mentir. Il vaut mieux que nous arrêtions. Et puis, à mon âge, je peux très bien me contrôler et ne plus être amoureux. » Je me suis effondrée, et j’ai tenu en pensant au prochain examen, à mes rêves de vie future. De bonnes notes me permettraient d’opter pour le stage hospitalier de mon choix. Au cabinet, Paul donnait le change. Il m’interrogeait : « Alors, tu as un amoureux ? » J’étais furieuse, j’avais l’impression qu’il voulait se débarrasser de moi.

L’ombre protectrice

Je cherchais un autre emploi tout en me sachant incapable de rompre ce dernier lien avec Paul. Le jour de mes résultats d’examen, il était aussi ému que moi : « Si tu savais comme je suis fier de toi. Je suis très heureux. » Notre histoire d’amour a duré dix ans. On s’est quittés dix fois. Je le détestais, j’étais en colère. Il m’accordait si peu de temps, il rentrait tous les soirs chez lui, chez eux. Et puis je pensais à ce lien si précieux qui nous unissait. Lui aussi, il voulait me quitter : « Si on ne se fait pas du bien tous les deux, cela ne sert à rien. » Et puis il me rappelait. « Si on partait ensemble, tu crois qu’on serait malheureux ? » Nous sommes partis pour la première fois en week-end, alors que j’étais en troisième année de médecine. J’avais appris à ne rien lui demander. Je n’avais rien à attendre, ni le mariage ni les enfants dont je rêvais. Je prenais ce qu’il me donnait. Sans jamais me l’avouer, mais je l’ai deviné, il s’épuisait en coups de fil pour que j’obtienne les meilleurs stages, les meilleurs cours. Il organisait les choses dans mon dos pour me rendre la vie plus facile, il était toujours derrière moi pour m’encourager et me soutenir. Et puis je suis devenu pédiatre.

Une légère amertume

Pendant dix ans, nous avons toujours eu le même désir l’un pour l’autre et toujours autant de choses à nous dire. Et pourtant, j’ai souvent été si seule. Noël, les vacances, ces longs weekends qui n’en finissaient pas. Depuis ma rencontre avec Paul, je ne m’étais jamais autant fait draguer. Cela le faisait rire quand je le lui racontais. J’étais incapable de m’intéresser à un autre homme que lui, jusqu’à ce que je rencontre François lors d’un stage. Au concours d’internat, j’ai été reçue à Montpellier mais aussi à Lyon et à Marseille. Je suis devenue pédiatre. Il y a une semaine, j’ai décidé de quitter Montpellier et de m’installer à Lyon. On me propose un poste dans un service hospitalier ultramoderne. Paul a compris. François est interne dans le même hôpital.


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