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L’Allemagne entre dans une crise politique sans précédent

lundi 20 novembre 2017

Il était un peu moins de minuit, dimanche 19 novembre, quand Christian Lindner a mis fin au suspense : « Il vaut mieux ne pas gouverner que mal gouverner », a déclaré le président du Parti libéral-démocrate (FDP). En décidant de rompre les pourparlers engagés après les élections législatives du 24 septembre avec les conservateurs (CDU/CSU) et les Verts afin de former un nouveau gouvernement, le FDP ouvre une grave crise politique en Allemagne. Celle-ci pourrait déboucher sur l’organisation de nouvelles élections et pousser Angela Merkel vers la sortie, après douze ans passés à la chancellerie.
Pour justifier sa décision, M. Lindner a expliqué que ces pourparlers n’avaient permis de dégager ni « position commune » ni « confiance mutuelle » entre les différents partenaires. S’exprimant devant la presse depuis les bureaux berlinois du Land de Bade-Wurtemberg, où se tenaient les négociations ce week-end, le président du FDP a toutefois refusé d’assumer l’échec des négociations, assurant que son parti n’avait eu de cesse de « multiplier les propositions en vue d’un compromis ».
Lire aussi : Les Verts allemands et la CSU s’affrontent sur l’immigration
Merkel « regrette » la décision du FDP
Mme Merkel, elle, n’est apparue devant les caméras que vers une heure et demie du matin. Le visage fermé, le débit plus lent que d’habitude, la présidente de la CDU a qualifié de « regrettable » la décision du FDP. « Nous pensons que nous étions sur la voie de trouver un accord », a-t-elle déclaré, avant d’annoncer qu’elle s’entretiendrait dès lundi avec le président de la République fédérale, Frank-Walter Steinmeier, afin de lui faire « un compte rendu des négociations » et de « discuter de la suite des événements ».
La suite, justement : là est la grande inconnue. Lors de sa brève intervention, à peine cinq minutes, Mme Merkel s’est contentée d’une phrase de circonstance : « En tant que chancelière chargée des affaires courantes [ce qui est constitutionnellement la mission de son gouvernement depuis la rentrée du nouveau Bundestag, le 24 octobre], je ferai tout mon possible pour que le pays soit bien gouverné dans les difficiles semaines à venir. » Pas un mot, en revanche, sur ses intentions à plus long terme. Fidèle à elle-même, Mme Merkel en a dit le moins possible, comme si elle souhaitait surtout ne se fermer aucune porte afin de ne pas donner le sentiment de s’avouer vaincue tant que demeure pour elle quelque espoir de se maintenir au pouvoir.
Reste que celui-ci est mince. En théorie, rien n’empêche Mme Merkel de chercher à former une majorité alternative à celle qui vient d’échouer. Ayant toujours exclu de s’allier avec Alternative pour l’Allemagne (extrême droite) et Die Linke (gauche radicale), il ne lui reste cependant qu’une possibilité : former une nouvelle « grande coalition » avec le Parti social-démocrate (SPD), comme elle l’a déjà fait en 2005 et en 2013. Arithmétiquement possible, cette hypothèse paraît toutefois politiquement peu probable.
Depuis le soir de sa défaite aux élections législatives, Martin Schulz, le président du SPD, s’y est toujours opposé. « Les électeurs ont voté contre une “grande coalition” », a-t-il répété, dimanche, lors d’une réunion de militants à Nuremberg (Bavière). Vendredi, Andrea Nahles, la nouvelle présidente du groupe SPD au Bundestag, avait dit la même chose. « La position de départ du SPD n’a pas changé. Nous n’avons pas de mandat pour une nouvelle “grande coalition” », a confirmé Ralf Stegner, vice-président du SPD, dans la nuit de dimanche à lundi.
Plusieurs scénarios
Même si Mme Merkel ne réussit pas à former une nouvelle majorité, la tenue de nouvelles élections n’est pas pour autant automatique. Pour que celles-ci aient lieu, deux voies sont en effet possibles. La première serait qu’elle propose une « motion de confiance » au Bundestag et que celle-ci n’obtienne pas la majorité, ce qui autoriserait le président de la République à procéder à une dissolution. C’est ce qui était arrivé en 2005, précipitant la chute de Gerhard Schröder (SPD) et l’arrivée au pouvoir de Mme Merkel. Certains juristes excluent toutefois ce scénario, estimant qu’un chancelier ne peut solliciter la confiance du Bundestag si celui-ci ne l’a pas d’abord élu, ce qui est le cas de la nouvelle assemblée, installée depuis un mois.
Reste une seconde possibilité. Selon l’article 63 de la Constitution, le président de la République peut provoquer de nouvelles élections, mais seulement au terme d’un long processus. Pour cela, il doit d’abord proposer un chancelier au Bundestag. Si celui-ci n’obtient pas la majorité absolue, ce qui n’est jamais arrivé jusque-là, les députés ont alors quatorze jours pour trouver un candidat. Passé ce délai, si n’a été élu qu’un candidat bénéficiant d’une majorité relative, le président peut soit le nommer chancelier, mais en prenant le risque de mettre en place un gouvernement minoritaire, soit dissoudre le Bundestag. De nouvelles élections doivent alors se tenir dans les deux mois. Si M. Steinmeier en vient à prendre une telle décision, ce ne sera qu’à contrecœur. « Je ne peux pas m’imaginer que les partis engagés dans les négociations prennent sérieusement le risque de provoquer de nouvelles élections », déclarait-il, ce week-end, dans une interview au quotidien Die Welt.
Des centaines d’heures de réunions
En se proposant de gouverner avec le FDP et les Verts, Mme Merkel savait qu’elle s’engageait sur une voie difficile : jamais ce type coalition, qualifiée de « jamaïcaine » en référence aux couleurs des trois familles politiques qui la composent (noir pour les conservateurs, jaune pour les libéraux, vert pour les écologistes), n’avait été expérimentée au niveau fédéral. Or les pourparlers engagés depuis le 18 octobre l’ont montré : malgré des centaines d’heures de réunions, les représentants des différents partis n’ont pas réussi à trouver un accord, notamment sur les questions environnementales et migratoires qui, jusqu’à la fin, ont fait l’objet de très vives négociations.
Si la mise en place d’une telle coalition aurait été une première, la façon dont elle a éclaté avant même d’exister a elle aussi quelque chose d’inédit. De ce point de vue, il est significatif que ce ne soit pas les Verts qui aient rompu les discussions, malgré les différends qui n’ont cessé de les opposer, depuis un mois, avec le FDP et surtout la CSU. « Je pense que cette alliance aurait pu être scellée », a ainsi déclaré la dirigeante du parti écologiste, Katrin Göring-Eckardt, avant de rendre un hommage appuyé à Mme Merkel qui « a toujours cherché à faire des compromis ». En cela, même si l’accord trouvé aurait certainement suscité des critiques au sein du parti, la réaction de ses dirigeants après l’échec des pourparlers témoigne de ce que sont les Verts allemands aujourd’hui : un parti prêt à gouverner au niveau fédéral, et pas seulement avec la gauche, comme ce fut le cas avec le SPD de 1998 à 2005, mais également avec les conservateurs.

A l’inverse, le fait que ce soit le FDP qui ait pris la responsabilité de mettre fin aux négociations en dit long sur le positionnement de ce parti. Longtemps alliés naturels des conservateurs, avec lesquels ils ont gouverné pendant plus de trente ans, participant aux gouvernements de Konrad Adenauer (de 1949 à 1963) puis d’Helmut Kohl (1982-1998), ils avaient encore gouverné avec Mme Merkel après sa seconde élection, de 2009 à 2013. L’expérience s’était cependant conclue par un désastre électoral, le FDP ayant, pour la première fois de son histoire, échoué à obtenir les 5 % nécessaires pour être représenté au Bundestag aux élections de septembre 2013. « Il vaut mieux ne pas gouverner que mal gouverner » : sans doute est-ce à cette dernière expérience gouvernementale que faisait référence Christian Lindner, un peu avant minuit, en expliquant la rupture les pourparlers. Au risque de plonger l’Allemagne dans l’inconnu.


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