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Stravinsky : "Chant funèbre, la meilleure de mes œuvres avant L’Oiseau de feu"

lundi 14 septembre 2015

Une œuvre de jeunesse du compositeur russe, perdue depuis 100 ans, vient d’être retrouvée à Saint-Pétersbourg. Pour la plus grande joie des mélomanes.
Par Victoria Gairin

Au Conservatoire de Saint-Pétersbourg, ainsi qu’au théâtre Mariinsky, situé juste en face, on parle d’un véritable « miracle ». Plus de cent ans après sa disparition, une œuvre de jeunesse du compositeur Igor Stravinsky a en effet été retrouvée parmi des centaines de piles de manuscrits poussiéreux. « Jamais nous n’aurions pu nous douter qu’un jour nous récupérerions ce chef-d’œuvre, confie le service de communication du théâtre. Et puis, c’est arrivé ! »

Tout commence en 1908. Cette année-là, Stravinsky compose Pogrebal’naya Pesnya, un chant funèbre de douze minutes écrit à la mémoire de son professeur Nikolaï Rimski-Korsakov, disparu quelques mois plus tôt. Il sera joué en janvier 1909, au conservatoire qui porte aujourd’hui le nom du professeur de composition et d’orchestration auquel Stravinsky voulait rendre hommage. Puis tombe dans l’oubli. La révolution russe de 1917 passe par là, puis la guerre civile. Stravinsky, alors en tournée internationale avec les Ballets russes de Diaghilev, n’aura pas le temps de revenir sauver ses manuscrits. L’appartement de Saint-Pétersbourg est entièrement vidé, la datcha ukrainienne où il se retirait régulièrement pour composer sera quant à elle nationalisée, et l’on perd peu à peu la trace du chant funèbre.

« Je ne me souviens plus de sa musique, mais je me rappelle très bien de l’idée »

Pour les spécialistes du compositeur, il s’agit pourtant de l’une de ses œuvres majeures, tant biographiquement que musicalement. « C’est son premier travail très personnel, analyse son biographe Bertrand Dermoncourt. Tout ce qu’il a composé avant le Chant funèbre était écrit sous diverses influences très marquées. C’est une œuvre qu’il a beaucoup regretté d’avoir perdue. » Stravinsky en parle d’ailleurs longuement dans ses écrits : « Malheureusement, écrit-il en 1935, dans ses Chroniques, la partition de cette œuvre a disparu pendant la révolution... Je ne me souviens plus de sa musique, mais je me rappelle très bien l’idée dans laquelle je l’avais conçue. C’était comme un cortège de tous les instruments soli de l’orchestre venant tour à tour déposer, en guise de couronne, sur le tombeau du maître, chacun sa mélodie, et cela sur un fond grave de murmures en trémolo à l’instar des vibrations des voix de basse chantant en chœur. » Plus tard, dans Memories, il ajoutera : « Je me souviens de la pièce comme de la meilleure de mes œuvres avant L’Oiseau de feu, la plus avancée pour ce qui est de l’harmonie chromatique. » C’est dire si on espérait l’entendre jouer à nouveau !

Après la chute du régime soviétique, plusieurs fouilles furent organisées par la musicologue russe Natalya Braginskaya avec l’aide d’archivistes du conservatoire. Sans succès. C’est seulement quand le bâtiment a dû être entièrement vidé à l’automne dernier en vue d’une réhabilitation que les partitions du Chant funèbre ont émergé d’une pile de manuscrits. Les archivistes chargés du déménagement des documents avaient tous reçu le descriptif de ce à quoi devait ressembler la partition, et c’est à l’attention particulièrement vigilante d’une bibliothécaire que l’on doit la précieuse trouvaille. Sans elle, le manuscrit aurait très bien pu terminer à la poubelle, ou être restocké dans un entrepôt pour les cent prochaines années...

« Qui sait si le Concerto n° 2 de Prokofiev ne se trouve pas dans ces archives ? s’interroge Bertrand Dermoncourt. Il y a encore sans doute des dizaines de chefs-d’oeuvre à découvrir ou redécouvrir. » « Le document retrouvé n’est pas le manuscrit de Stravinsky, souligne-t-il. Ce sont les parties d’orchestre des instruments du conservatoire. Il manque donc la partition du chef d’orchestre. Le conservatoire de Saint-Pétersbourg est en train de travailler dessus, mais même avec les meilleurs spécialistes, il faudra peut-être attendre encore quelques années avant que l’œuvre ne puisse être jouée à nouveau. »


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