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Tout est paralysé au campus depuis plus d’un mois

mardi 21 avril 2015

Un mouvement de grève des professeurs du campus Henry Christophe de Limonade a fini par paralyser toutes les activités. Depuis plus d’un mois, les cours sont suspendus. Le président du conseil de gestion du campus, le professeur Jean-Marie Théodat, dénonce « le manque de professionnalisme » des professeurs et aussi le « comportement violent et arrogant » des étudiants bloquant la route nationale numéro 6, pour faire passer leurs revendications….

Le moteur du campus Henry Christophe de Limonade s’est une nouvelle fois arrêté depuis sa mise en marche il y a plus de trois ans. Le professeur Jean-Marie Théodat dénonce un « sabotage ». « La machine a été sabotée, dit-il dans un long entretien à Le Nouvelliste lundi soir. Il y a eu un sabotage du moteur. Il n’y a pas une raison qu’au moment où on va justement entrer en gare que brusquement tout s’arrête, qu’à un kilomètre de la gare mon moteur explose alors que tout était parfaitement bien huilé. »

Tout a commencé avec un mouvement de grève des enseignants qui a duré un peu plus d’un mois. M. Théodat partage certes le motif de la grève mais critique le moment choisi pour la décrétrer. « Ce que je trouve étrange c’est qu’on donne des cours à des étudiants pendant quatre mois, on les prépare à des examens, et brusquement on arrête de travailler en disant qu’on n’est pas satisfait des conditions de travail, fulmine le professeur Théodat. Intellectuellement, je trouve que c’est un sabotage. De mon point de vue administrateur, je trouve que c’est complètement irresponsable. »

Les professeurs réclamaient leur lettre de nomination et leur embauche de contrat. Une entente a été finalement trouvée. Mais une partie du personnel du campus n’a toujours pas reçu son salaire de novembre jusqu’au mois de mars. « C’est à ce moment-là que des professeurs décident d’entamer leur mouvement de grève, soit une semaine avant les examens de fin de semestre, fait remarquer le président de gestion du conseil du campus. C’est pourquoi je dis que c’est un moteur qui explose à un kilomètre du quai. »

Mécontent, Jean-Marie Théodat en rajoute une couche : « Il y a un professionnalisme qui manque du côté des professeurs. On ne fait pas ça à un étudiant. C’est comme chauffer son équipe, l’entraîner pendant trois mois, et après, l’entraineur décrète qu’il est en grève, qu’il n’accompagnera pas l’équipe sur le terrain. Dans un langage sportif, on dirait que ce n’est pas fair-play. »

Alors que les professeurs ont mis fin à leur mouvement de grève, les cours n’ont pas pu reprendre pour autant le lundi 13 avril. Un groupe d’étudiants, notamment en médecine, a décidé à son tour de soulever ses revendications. Acte I : paralysie des activités au campus. Acte II : blocage de la route nationale numéro 6. Acte III : échauffourée avec des chauffeurs mécontents en se lançant des pierres. La police intervient, bombardant le campus de gaz lacrymogène.

Assemblée mixte avortée

Selon le président de gestion du campus, pendant un mois, les étudiants sont restés tranquilles, se promenant sur la cour avec les professeurs qui étaient en grève. Aussitôt que les revendications des professeurs satisfaites, ils demandent que les leurs soient également satisfaites. « Pendant une semaine, le campus est resté fermé à cause de la mobilisation des étudiants parce qu’ils se sont comportés de manière extrêmement violente le lundi 12 avril, coupant la route nationale numéro 6, critique le professeur Théodat. Des chauffeurs, mécontents, ont cassé les vitres des véhicules du campus. Et moi, ça me fait honte parce que ce campus, on nous l’a fait cadeau. »

« Je trouve qu’il y a une extrême arrogance, en considérant que nos problèmes sont plus importants, les autres peuvent attendre. Des étudiants en colère croient qu’ils ont le droit de couper la route, d’empêcher les autres de vaquer à leurs occupations », fulmine celui qui enseignait en France avant de diriger le campus offert par la République dominicaine à Haïti.

Une assemblée générale mixte devait se tenir ce lundi 20 avril sur l’invitation des étudiants. Avortée. Aucun des professeurs ne s’est présenté, même ceux qui étaient à l’origine du mouvement de grève. Le professeur Théodat, accompagné du responsable de la filière génie informatique, s’est fait le devoir d’être là. Mais, faute de quorum, aucun dialogue n’a été possible. La route a été à nouveau coupée et la police a dû intervenir.

« J’étais venu pour écouter non seulement les étudiants mais aussi les professeurs qui étaient à l’origine du mouvement, déclare Jean-Marie Théodat. J’étais le seul membre de l’autorité académique à me présenter à cette assemblée mixte. J’ai été tout seul parce que tout le monde avait peur de ces étudiants. Moi, ce n’est pas que je n’ai pas peur. La position où je suis me commande d’avoir une sorte d’indifférence par rapport au danger. »

Et le professeur Théodat, qui ne décolère pas, de poursuivre : « Je suis allé pour les entendre, mais je ne suis pas du tout d’accord avec leur comportement. J’étais allé pour leur dire deux choses et je pèse mes mots : il n’est pas responsable de décréter une grève à une semaine des examens de fin de semestre et pour leur dire que rien ne justifie qu’on coupe la route parce qu’on est en colère ou qu’on a des problèmes à l’intérieur de l’université. »

Que veulent les étudiants protestataires ?

Selon une note, les étudiants réclament des équipements pour leurs départements respectifs. Mais une salle de dissection promise aux étudiants de médecine non encore agréée est l’un des principaux motifs du mouvement. « On est en train de faire le nécessaire, mais ils estiment que ça ne va pas trop vite, explique le professeur Théodat. Puisque j’avais donné un délai d’un mois pour construire la salle de dissection. Pendant la grève, toute l’administration est bloquée…Puisque le délai d’un mois est écoulé, ils décident qu’ils peuvent foutre le feu à l’ensemble de l’établissement. Ce n’est pas normal, c’est prendre les autres en otage. »

Selon Jean-Marie Théodat, « la majorité ne peut même pas exprimer une voix contradictoire ». La parole publique, estime le professeur, est confisquée. Jean-Marie Théodat condamne le comportement « hystérique » des étudiants qui préfèrent hypothéquer l’année entière au lieu d’avancer pas à pas. Là encore, il estime que c’est le mouvement de grève des professeurs qui est à l’origine de tout cela. « Quand on a la responsabilité intellectuelle, qu’on forme des étudiants, avant de lancer une grève à une semaine d’examens, on réfléchit deux fois, avance le président de gestion du campus. C’est ça ma position. Ils (les professeurs) ont raison dans le fond, mais pas dans la forme. »

« On ne peut pas commencer une grève une semaine avant les examens, alors qu’on a 2 500 étudiants en responsabilité, s’emporte Jean-Marie Théodat. Je trouve ça irresponsable, intellectuellement suicidaire. »

« Ces étudiants demandent la lune alors qu’ils ont déjà le soleil »

Le professeur Théodat plaide pour un comportement plus « civique » des étudiants dans leur mouvement de protestation. Au final, dit-il, « on ne fait plus la différence entre un étudiant et un brigand dans la rue. Dans tout pays civilisé, la différence, elle se voit à un kilomètre ». Selon Jean-Marie Théodat, l’université doit donner sa faveur à cette région, qui est en plein décollage. « Cette région, selon moi, est un ‘’tyaka’’, le campus y est le piment estime le professeur. Les étudiants ne doivent pas représenter une menace pour tous ceux qui fréquentent la région par leur comportement. Avec leurs jets de pierres, les barricades, ils se donnent l’air de brigand par rapport à la population civile, ce n’est pas normal. »

« L’étudiant doit avoir un comportement civique qui les distingue du brigand de la rue, prêt à mettre le feu dans n’importe quoi au mépris de son propre intérêt, poursuit M. Théodat. Par leur comportement violent et arrogant dans la rue, les étudiants, lorsqu’ils sortiront d’ici, personne ne voudra les embaucher. »

Alors qu’ils réclament, entre autres, des équipements, le président de gestion du campus estime que ces derniers sont, en termes d’équipements, de logistique, de confort, mieux lotis que beaucoup d’autres. « Je ne dirai pas qu’ils sont les plus privilégiés, mais moi qui ai fait mes études en France, à La Sorbonne, si j’avais eu le quart des avantages qu’ils avaient, je pense qu’aujourd’hui je serais prix Nobel de géographie, déclare Jean-Marie Théodat. Ces étudiants demandent la lune alors qu’ils ont déjà le soleil. »

Un dialogue « franc et sans concession » pour la reprise des cours

Personne ne peut encore dire quand les cours reprendront. Pour le moment, le président de gestion du campus se dit en contact avec les professeurs du Nord pour une attitude commune. « J’attendais beaucoup de cette rencontre (avortée), dit-il. Je voulais entendre les étudiants, car dans un débat contradictoire, on n’exclut jamais le dialogue. Ça relève de l’arrogance et du mépris. La reprise des cours demande un dialogue franc et sans concession. Il faut prendre ses responsabilités. Il ne faut pas avoir peur. »

Malgré ces moments difficiles, le professeur Jean-Marie Théodat dit n’éprouver aucun regret d’avoir accepté de diriger le campus. « Si j’en avais je serais déjà parti, dit-il. Je savais dès le départ que c’était difficile. Je suis dans la position d’un mécanicien auquel on confie une voiture qui n’a pas servi depuis 200 ans, maintenant on me dit de la mettre en marche. Et je me rend compte que le moteur est pourri, que le carburateur est cassé, que le vilebrequin est coupé en deux et que les pédales sont complètement tordues. Il faut parfois non pas faire de la mécanique mais de la chirurgie sur la machine. Les professeurs manquent l’esprit professionnel, les étudiants sont impatients, les décisions administratives sont tellement lentes, il faut aller pas à pas. Je ne suis pas du tout découragé. Je suis prêt à tomber le long de la rue pour faire de ce campus une référence dans le pays. »

AUTEUR

Valéry Daudier Vdaudier@lenouvelliste.com


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