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Tribune - Gérard Collomb : "La Turquie doit accepter son histoire sans en trier les faits"

vendredi 24 avril 2015

Le sénateur-maire de Lyon, engagé aux côtés de la diaspora, explique pourquoi la Turquie devrait reconnaître le génocide arménien de 1915.

Par Gérard Collomb

Le 24 avril prochain, nous commémorerons le centenaire du génocide des Arméniens, tragédie inaugurale d’un siècle parmi les plus sanglants de l’histoire. Orchestré par le régime ultranationaliste des Jeunes Turcs, il anéantit en quelques mois les deux tiers de la population arménienne d’Anatolie : 1 million 500 000 personnes mortes sans sépulture au terme d’un indicible calvaire, et dont la trace s’est perdue aux portes du désert de Syrie.

Un siècle après les faits, la Turquie n’a toujours pas reconnu l’existence du génocide de 1915. Pour les Arméniens, où qu’ils vivent, ce négationnisme d’État est une blessure qui ne se referme pas. Nourri par la pensée de Jaurès et du mouvement arménophile qui ont fait de la France un phare de la conscience universelle, je suis de ceux qui se battent depuis longtemps aux côtés de la diaspora. Guidé par la force de la communauté arménienne de Lyon, dont la culture et le dynamisme ont tant contribué au développement de notre métropole, j’ai partagé son émotion à chaque étape de la reconnaissance du génocide, en 1985 à l’ONU, en 1987 au Parlement européen et en 2001 dans notre pays. C’est au nom de nos valeurs communes de justice, de vérité et de paix que nous avons érigé en 2006 le Mémorial lyonnais et soutenu en 2013 la création du Centre national de la mémoire arménienne de Décines, lieu d’histoire et de transmission du patrimoine culturel millénaire des Arméniens. Toutes ces étapes furent décisives pour la communauté arménienne de Lyon et de la France.

Mais un pas majeur reste à franchir : que ce grand pays qu’est la Turquie accepte enfin son histoire sans en trier les faits. Reconnaître les crimes du passé n’est pas se renier ou s’abaisser mais, au contraire, se grandir. À Lyon, qui fut capitale de la Résistance mais qui vécut aussi les crimes de la collaboration, nous savons qu’une société n’est en paix avec elle-même qu’en acceptant de reconnaître son passé dans toutes ses dimensions. Car, comme l’écrivait le grand historien Fernand Braudel, l’identité d’une nation "est incompréhensible si on ne la replace pas dans la suite des événements de son passé, car le passé intervient dans le présent, le brûle". Que fût-il advenu de l’Europe si, après la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne avait refusé sa responsabilité dans la Shoah ?

La réconciliation des peuples passe par leur capacité à cultiver une mémoire commune en acceptant les pages sombres de leur histoire. En portant ce message, nous sommes solidaires des Arméniens, mais aussi de tous ceux qui, au sein de la société civile turque, veulent mettre un terme à ces années de déni et de violence. Et nous n’oublions pas que certains, comme le journaliste Hrant Dink, l’ont payé de leur vie. La même détermination nous guide en cette année de commémoration du centenaire du génocide de 1915. Nous l’exprimerons en nous rassemblant une nouvelle fois le 24 avril prochain pour que vienne enfin le temps de l’apaisement, du pardon et de la réconciliation


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