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23 septembre 2013-23 septembre 2014/ L’arrêt Tc-168-13

Des milliers de Dominicains toujours apatrides, les Haïtiens incertains sur leur sort

mercredi 24 septembre 2014

Il y a une année depuis que la Cour constitutionnelle dominicaine avait commis l’inqualifiable. Discriminatoire, raciste étaient les mots utilisés par des personnalités du monde entier pour dénoncer l’arrêt Tc-168-13.

Toutes les organisations internationales avaient élevé la voix pour critiquer la décision de la plus haute instance judiciaire de la république voisine d’enlever la nationalité à près de 200 000 citoyens dominicains. Les déclarations, le dialogue haïtiano-dominicain, le Plan national de régularisation des étrangers (PNRE), la loi Medina n’ont pas solutionné le problème.

Les problèmes causés par l’arrêt Tc-168-13 demeurent, de l’avis de plusieurs observateurs qui croient que la République dominicaine est en train de concrétiser son projet cynique. C’est la position du coordonnateur du Groupe d’appui aux rapatriés et aux réfugiés (GARR), Jean Baptiste Azolin. « Les mesures prises durant cette année n’ont pas permis de résoudre réellement le problème », soutient monsieur Azolin, qui qualifie le plan de régularisation des étrangers de plan de rapatriement.

« Vu comme un génocide civil, l’arrêt Tc-168-13 a marqué un nouvel épisode triste et douloureux pour la communauté haïtienne en République dominicaine 76 ans après le massacre de 1937, selon le responsable de la fondation Zile, Edwin Paraison, contacté par le journal. Les huit mois de luttes intenses jusqu’à l’adoption de la loi 169/14 n’ont apporté qu’une solution partielle au problème. »

Pourtant, au lendemain du 23 septembre 2013, les victimes de l’arrêt pouvaient compter sur le soutien de tous. La soumission du dossier aux organisations régionales avait permis de mettre la république voisine sous pression. Les multiples positions de l’Organisation des États américains (OEA), de la communauté des États de la Caraïbe (CARICOM) ; avaient couvert de honte le pays de Trujillo. Sous la houlette du ministre haïtien des Affaires étrangères, Pierre-Richard Casimir, Haïti avait fait trembler l’establishment dominicain.

La Cour interaméricaine des droits de l’homme, qui avait diligenté une mission en décembre 2013 en terre dominicaine, avait révélé le caractère discriminatoire de l’arrêt Tc-168-13. Même le Haut-Commissariat aux droits de l’homme avait élevé la voix pour dénoncer le projet de la république voisine. Qui ne se souvient pas de l’engagement de l’ambassadrice de Saint-Vincent-et-les-Grenadines à l’OEA ? Dénonçant avec véhémence la décision de la République dominicaine, l’ambassadrice Celia A. Prince avait demandé à l’OEA de réprimer l’arrêt du 23 septembre pour éviter que le continent américain ne devienne la partie du monde comptant le plus d’apatrides.

Dans le rapport présenté en février 2014 au Conseil permanent de l’OEA, la CIDH avait estimé que l’arrêt de la Cour constitutionnelle entraîne une privation arbitraire de la nationalité.« Cette décision a un effet discriminatoire, étant donné qu’elle touche principalement les Dominicains d’ascendance haïtienne ; qu’elle les prive de la nationalité de façon rétroactive ; et qu’elle rend apatrides les personnes qui ne sont considérées comme des ressortissants par aucun État, aux termes de sa législation. »

Le dialogue haïtiano-domincain, un tournant qui a tué la mobilisation

Le dossier a connu un tournant avec le début du dialogue haïtiano-dominicain sous l’égide du Venezuela. L’affaire, qui, par son caractère, revêtait une dimension multilatérale, a été réduite entre Haïti et la République dominicaine avec le dialogue débuté en 2014. La mobilisation internationale a été cassée au profit d’un dialogue moribond entre les gouvernements des deux États. « Le gouvernement haïtien semble toutefois ne pas saisir totalement que le vrai problème n’est pas l’arrêt, sinon un antihaïtianisme d’État venant d’un pays voisin pour lequel nous représentons un marché de près de US$ 2 milliards l’an », a commenté l’ancien ministre Edwin Paraison selon qui le dialogue n’a pas apporté une solution au problème.

En dépit des pourparlers, « l’épée d’apatridie dégainée le 23 septembre 2013 par l’arrêt inique Tc-168-13 de la Cour constitutionnelle dominicaine et aiguisée le 23 mai 2014 par la loi 169-14 pend encore sur la tête de dizaines de milliers de Dominicains d’ascendance haïtienne », soutient le collectif du quatre décembre à l’occasion du premier anniversaire de l’arrêt. « Le dialogue entre les gouvernements haïtien et dominicain rappelle l’accord entre Sténio Vincent et Trujillo, après le massacre des Haïtiens en 1937 », a déclaré l’avocat Gédéon Jean lors de la conférence de presse donnée par le collectif ce lundi.

Dans l’intervalle, le président Medina a promulgué la loi 169-14 donnant l’opportunité aux victimes de recouvrir leur nationalité en présentant des documents prouvant qu’ils sont nés de l’autre côté de la frontière. Ce qui n’a pas arrangé la situation de plusieurs générations d’hommes et de femmes nés et ayant grandi dans les bateys. « La Constitution dominicaine accorde la nationalité dominicaine à toute personne née sur le territoire dominicain jusqu’en 2010 », a rappelé le coordonnateur du GARR.

Très peu de ressortissants étrangers arrivent à intégrer le Plan national de régularisation des étrangers mis en place par les autorités dominicaines. Le programme d’identification de ressortissants mis en place par le gouvernement haïtien ne pourra pas identifier à temps ceux qui veulent intégrer le PNRE. « Dans ce contexte, les grands perdants sont les milliers de Domincains rendus apatrides et les immigrants haïtiens faisant face à la menace d’une déportation massive », selon Jean Baptiste Azolin.

« Suite à l’adoption de la loi 169/14 qui reconnaît évidemment la nationalité dominicaine des personnes possédant déjà un acte de naissance ou inscrites dans l’état civil, les deux gouvernements ont évité d’aborder la question cruciale d’une éventuelle apatridie massive dans l’île à la fin du Plan de régularisation migratoire mis en place par la République dominicaine », a confié Edwin Paraison. Il s’agit approximativement de 100 000 Dominicains de fait, sans papiers et d’origine haïtienne, nés sous l’égide du jus soli avant la réforme constitutionnelle de 2010.

L’ex-consul d’Haïti en terre voisine explique que ces personnes, non reconnues par l’État dominicain comme citoyens, devront obtenir des documents haïtiens afin d’opter pour la naturalisation dans deux ans. S’il est vrai qu’ils ont droit à la nationalité haïtienne par le jus sanguini, faire valoir ce droit ne sera pas une tâche facile vu que leurs parents étaient également des sans-papiers arrivés il y a des lustres en terre dominicaine.

Louis-Joseph Olivier
ljolivier@lenouvelliste.com


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