MosaikHub Magazine
Serge Gilles/ Témoignages/ C3 Éditions

Offrir le parcours au centre d’un fils d’Haïti en exemple

mercredi 5 novembre 2014

Préambule

Il est de ces personnalités sur qui on voudrait tant savoir. Quand, au terme d’un long parcours, l’une d’elles prend la plume pour se confier et partager sa vaste expérience, le lecteur accueille l’initiative en applaudissant des deux mains. Et si on ne couche pas sur le papier (ou si on ne clapote pas sur le clavier de son ordinateur), quel moyen reste-t-il pour qu’un jour, l’expérience de toute une vie d’homme public ne soit enfouie sous le voile de l’oubli ?

Mise au point

Pour des raisons de convenance personnelle, j’ai pris récemment la résolution de ne plus me prononcer sur tout ce qui a trait à la politique haïtienne, a fortiori sur les hommes et les femmes qui en font. Voilà que, très vite, je suis obligé de faire une exception : la sortie en octobre 2014 de l’ouvrage « Témoignages sur la vie et l’action de Serge Gilles ». Ayant côtoyé l’homme et suivi son parcours sur le terrain mouvant de la chose publique, je m’en voudrais de ne pas livrer mes commentaires après avoir refermé cet ouvrage collectif sous la direction de Pierre Buteau, historien et enseignant. De toute façon, je n’ai pas la peu enviable réputation de me dérober quand il s’agit de reconnaître les mérites d’un compatriote. Mise au point faite.

L’action plutôt que l’œuvre

Le titre « Témoignages sur la vie et l’œuvre de Serge Gilles » a, sans doute, été trouvé par les concepteurs de l’ouvrage qui se sont souvenus d’un précédent hommage rendu à l’Oncle. En 1956, à l’occasion de son 80e anniversaire, parut « Témoignages sur la vie et l’œuvre de Jean Price Mars ». Or, justement, Serge Gilles a multiplié les intentions dans les médias depuis son retour d’exil ; il n’a pas publié un seul essai. Autant dire que les concepteurs seraient très peu avisés de titrer « Témoignages sur la vie et l’œuvre de Serge Gilles ».

Le profil du rassembleur

On l’a déjà compris, le leader socialiste s’est plutôt fait remarquer par son action. À preuve : Fondateur du Parti national progressiste et révolutionnaire haïtien (PANPRA), il s’est fait un patient rassembleur jusqu’à aboutir au projet de la fusion d’au moins trois partis de même sensibilité : Fusion des sociaux- démocrates haïtiens. Pour ma part, j’ai toujours été sceptique au constat du choix de l’emblème du PANPRA : le choublak. Cela fait certes local, mais l’adoption de la feuille d’une plante tropicale a l’air d’une plate imitation de la rose du Parti socialiste français. Mais les gens d’ici sont-ils sensibles à ces symboles ? Même le kòk-kalite est oublié comme symbole.

Pour l’économie d’une controverse

Bien sûr, dans ce genre d’initiative éditoriale, les textes sont d’inégale valeur (quantitative) ; effet, les uns courts, d’autres longs.
Le recueil s’ouvre sur le témoignage de quelqu’un qui a connu Serge dans son enfance. Suit celui d’un ancien élève. On a l’impression de témoins déposant à la barre, au pas de course. Cela fait l’affaire du lecteur qui n’en demande pas mieux.

On aura droit à des morceaux de résistance venant de camarades militants. Là commence une controverse. Illustration : De façon même pas voilée, Yves St-Gérard avoue avoir vu d’un mauvais œil l’accaparement de l’homme, au retour d’exil, par les nouveaux adhérents, « les militants de la dernière heure ». Mais c’était inévitable. Ceux qui ont milité aux côtés de l’exilé comprennent difficilement l’ouverture. Effectivement, celui qui a été forcé de résider loin de la terre natale hume à nouveau l’air dont il a été privé, retrouve des sensations dont il a été sevré. Surtout, il essaie de se rattraper et ainsi s’explique le rapprochement avec les nouvelles générations.

Je ne veux pas, pour autant, alimenter la controverse. En lecteur critique et amant de l’écriture, je préfère questionner la qualité des interventions. Certaines m’ont plu par leur simplicité, leur candeur, leur spontanéité. D’autres m’ont paru laborieuses, poussives, en tout cas manquant de persuasion.

Expéditif ou élaboré

Sur le tard, le lecteur découvre des textes longs. Sans doute, chaque auteur campe un aspect du personnage, relaie son vécu par cette individualité qui fait du consensus (compromis) une ligne invariable après avoir été radical à ses débuts. Mais, dans ce genre de publication, le texte long rebute le lecteur. Qui aurait mieux apprécié des capsules, des instantanés, des raccourcis. Tout dire mais en peu de mots. D’autant que –on s’en est aperçu- le témoin ne s’embarrasse pas de manières, ne prend pas de précautions (de langage). Il ne peaufine pas le style, ne se soucie guère de la qualité de son écriture (ou de sa prise de parole). Il dépose ; un point, c’est tout. Pourvu que la compréhension soit au rendez-vous.

À vol d’oiseau

La concision, la brièveté du texte du Dr Eddy d’Orléans Julien, « Un choc du hasard », est à la fois séduisante et saisissante. Un modèle du genre.
L’attention est ensuite attirée par le texte critique du Dr Yves St-Gérard sur l’action des démocrates socialistes progressistes. Dr St-Gérard aurait été mieux inspiré de titrer « Bilan d’une action » au lieu de « De la camaraderie à l’amitié ». Assez long (pages 39 à 64). Un vrai examen de conscience.

Pour faire un parcours rectiligne ou en dents de scie, des camarades ont cheminé à vos côtés. Ainsi, j’appréhende le témoignage de Duly Brutus. Cet apport a le mérite d’éclairer l’opinion sur l’évolution structurelle du courant socialiste haïtien. Des comités d’action patriotique Charlemagne Péralte à la Fusion en passant par l’IFOPADA (Union des forces patriotiques et démocratiques d’Haïti) et le PANPRA. L’intérêt de pareille lecture est double : 1) l’apport du témoignage ; 2) en même temps, l’éclairage sur la vie de parti, plutôt la cuisine d’un groupement politique.

Au Sénat, l’exercice de la fonction ne fut pas de tout repos. C’est ce que le lecteur comprend en parcourant le témoignage de Betty Sorel, son épouse. Déjà, dans son livre « Parcours d’une femme engagée », Madame Gilles avait raconté avec un luxe de détails les péripéties ayant émaillé la carrière politique de son mari. Ici, elle revient sur les tracasseries que la famille Gilles a connues par cette fonction parlementaire.

Le témoignage le plus éclairant

À lire le beau texte du juriste Alix Richard, on aboutit à la conclusion que la politique est l’affaire de professionnels, de gens bien formés, rompus à la construction d’outils stratégiques tels que partis, groupements et regroupements – jusqu’à devenir unitaires-, et qui ne veulent que le bien de leur pays. À une condition : placer l’intérêt collectif au-dessus de mesquineries individuelles. En usant de patience et en ne baissant jamais les bras malgré les déconvenues essuyées au passage.

Le texte de Me Richard a aussi le mérite d’indiquer comment se forge un leader, un meneur, un conducteur. Qualité principale : la modération, plutôt la pondération. Mais c’est la même vertu.

Un livre ouvert

L’homme public, qui a longtemps bourlingué, roulé sa bosse ici et là, n’a rien à cacher. Il devient un livre ouvert. Le lecteur le découvre dans son humanité, dans sa condition humaine. Avec ses forces et ses faiblesses. Ses qualités et ses défauts. Cet exercice de vérité, chacun devrait s’y soumettre pour devenir vraiment exemplaire. Curieusement, Serge Gilles fait barrage sur une œuvre de son cru. Comme s’il laissait à d’autres le soin de le présenter. Après son épouse Alberte Sorel, voilà que des amis et camarades de combat prolongent, avec l’objectif de donner à partager un peu le vécu de l’homme politique, en somme de le mettre à nu.

Je m’en voudrais de ne pas accueillir chaleureusement l’initiative. Bien sûr, le lecteur ne tiendra pas en main une réussite littéraire, même s’agissant de littérature politique, qui a jamais misé un sou sur le destin d’un livre ? Seul le lecteur décide, en définitive. Pour couronner l’auteur ou le descendre en flammes. Ma conviction tient dans une position mitoyenne.

Réserve

C3 Éditions est à l’offensive sur le marché de l’édition. En effet, la nouvelle maison d’édition multiplie les initiatives. Mais, visiblement, la présente impression pêche par endroits. Trop de fautes d’orthographe, ponctuation négligée. Dans la préparation, désormais impossible de se passer des services d’un correcteur, et même faire l’économie d’une double correction nuit à l’ensemble.

Jean-Claude Boyer Dimanche 26 octobre 2014

Voir en ligne : Le Nouvelliste

Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie