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La Canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean à la tête d’une Francophonie vue comme une « petite ONU »

lundi 1er décembre 2014

Par Martine Jacot (Dakar, envoyée spéciale


La Canadienne Michaëlle Jean élue à la tête de... by lemondefr
A l’issue de tractations particulièrement longues et difficiles, l’Organisation de la francophonie (OIF), dont une trentaine de chefs d’Etat et de gouvernement se sont réunis en sommet à Dakar (Sénégal), s’est donné une image de modernité en désignant « par consensus et à huis clos », dimanche 30 novembre, la Canadienne d’origine haïtienne Michaëlle Jean à sa tête.

C’est la première fois qu’une femme, jeune de surcroît, dirigera ce « Commonwealth à la française », qui est véritablement né à Hanoï en 1997, sur les bases d’une modeste agence de coopération culturelle et technique créée trente ans plus tôt. C’est aussi la première fois qu’une représentante d’un pays du Nord occupera le poste de secrétaire générale, à la suite de l’Egyptien Boutros Boutros Ghali et du Sénégalais Abdou Diouf, « âme » de la Francophonie depuis douze ans.

Les pays africains – la moitié des pays membres à part entière de l’OIF – considéraient que ce poste leur revenait presque de droit. Il leur a échappé en raison de leurs divisions persistantes. Depuis juin, ils étaient invités par la France à s’entendre sur l’un des cinq candidats en lice, parmi lesquels quatre des leurs – l’ex-président burundais Pierre Buyoya, l’écrivain et diplomate congolais Henri Lopes, l’ex-premier ministre mauricien Jean-Claude de l’Estrac et l’ancien ministre équato-guinéen Agustin Nze Nfumu.

Voir notre infographie : Où en est la Francophonie ?

UNE VICTOIRE À L’ARRACHÉ

De son côté, le président François Hollande, encouragé par Abdou Diouf, avait proposé à l’ex-président du Burkina Faso Blaise Compaoré d’hériter du poste, mais sa chuter, à la fin octobre, a laissé Paris « sans favori ». Jusqu’aux derniers moments, le chef de l’Etat français, déterminé à rompre avec les pratiques de ses prédécesseurs, a affirmé qu’il se plierait à ce consensus africain, qui n’est jamais venu.

Le président s’est alors instauré en médiateur et a réuni un huit clos restreint, avec le premier ministre canadien Stephen Harper, le président congolais Denis Sassou-Nguesso et l’Ivoirien Alassane Ouattara. Ce dernier cénacle a finalement reconnu que Michaëlle Jean était celle qui bénéficiait des plus nombreux soutiens. « Sans qu’il soit nécessaire de passer à vote », a ajouté M. Hollande, recours ultime qu’il a voulu éviter.

Le Canada a ainsi obtenu une victoire à l’arraché, au terme d’une campagne menée par sa candidate depuis plus d’un an dans toutes les capitales importantes de la Francophonie. La « très honorable » Michaëlle Jean, comme les autorités de son pays continuent de la désigner en vertu de son passé de gouverneure générale du Canada (représentant la reine, chef de cet Etat du Communwealth) à Ottawa, aura fort à faire à partir de janvier : la « feuille de route » que le sommet de Dakar a établie pour les quatre prochaines années ressemble à une litanie d’objectifs, « les plus ambitieux jamais énoncés » par l’OIF, a reconnu Mme Jean.

BUDGET EN BAISSE

L’OIF est bien sûr invitée à renforcer « l’usage de la langue française », mais dans le respect des langues locales, elle doit aussi promouvoir une stratégie économique aux contours flous – un premier Forum économique de la francophonie est organisé par la société Richard Attias et associés à Dakar lundi et mardi, avec la participation d’Alain Juppé.

Il lui faudra par ailleurs continuer de s’impliquer dans la prévention des crises et le règlement des conflits, « lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes », se mobiliser contre l’impunité, contre les violations des droits de homme, surtout à l’égard des femmes, et « renforcer ses actions sur tous les moyens d’éducation », numérique ou pas, pour ne citer que quelques points des 48 articles de la « déclaration de Dakar » et de ses neuf résolutions. Le tout avec un budget en baisse qui ne dépasse par 80 millions d’euros par année.

Devant la communauté française du Sénégal, M. Hollande s’est réjoui que la Francophonie soit devenue « une petite ONU », rassemblant plus du tiers des membres des Nations unies. Il a eu d’autant plus de raisons de s’estimer satisfait que l’OIF a aussi décidé de se mobiliser en vue d’un accord « universel et ambitieux » à la conférence sur le climat qu’il présidera dans un an à Paris.

De fait, en acceptant, avec le statut d’observateur, le Mexique, le Costa Rica et le Kosovo, l’OIF regroupe dorénavant 80 pays ou régions (57 membres et 23 observateurs), dont seulement 32 ont le français comme langue officielle ou co-officielle. Des nouveaux venus, ces dernières années, dont le Qatar, il a été seulement exigé que la promotion de cette langue « fasse l’objet d’une volonté politique ». Une simple francophilie déclarée en somme, qui n’engage pas à grand-chose.

« UN PHARE D’ESPÉRANCE »

Plus que sur la langue, le sommet de Dakar a mis l’accent sur les grandes valeurs que sont la démocratie et l’Etat de droit, en guise d’incantation pour ceux, jamais nommés, qui persistent à ne pas les respecter en Afrique ou en Asie. L’ancien président du Sénégal Abdou Diouf, ovationné à de nombreuses reprises durant ce sommet, les a exposées avec lyrisme et émotion en guise d’adieux : « Dans ce monde secoué de convulsions, fracturé par les inégalités, démuni face à des menaces nouvelles, la Francophonie a allumé un phare d’espérance et de concorde, de solidarité et d’humanisme. »

A ses yeux, toutefois, « la plus grande menace » guettant la Francophonie, « ce n’est pas seulement le terrorisme ou le changement climatique, c’est l’immobilisme, l’égoïsme ou l’indifférence ». « Et c’est aussi, a-t-il conclut, dans l’idée d’une communauté internationale qui ne soit pas une véritable communauté démocratique de nations. »

Martine Jacot (Dakar, envoyée spéciale)
Journaliste au Monde


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