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La protestation dégénère, la MINUSTAH intervient

samedi 13 décembre 2014

Le Nouvelliste | Publié le : 12 décembre 2014

Les quelques milliers de manifestants qui ont craché, vendredi, leur ras-le-bol contre l’équipe Tèt kale dans les rues de Port-au-Prince ont buté sur des agents du CIMO et des soldats onusiens pour le moins robustes qui les ont empêchés d’atteindre pour une deuxième fois le Palais national.

Bel-Air. Il est 11 heures 25. Notre-Dame du Perpétuel Secours plane sur ce quartier populeux situé à quelques centaines de mètres du Palais national, depuis lequel le président de la République va s’adresser à la nation, dans les heures qui suivent, sur la sortie de crise proposée par la Consultative. Des manifestants dansent autour du feu et se montrent résistants à l’assaut de la canicule. « Bagay la pral gate ! », crie un homme dans la trentaine, t-shirt rouge, foulard noir noué autour du cou. Par milliers, ils empruntent tour à tour les rues St-Martin, Borgella... et Pavé. Le ciel de Port-au-Prince est déjà noir de fumée. C’est le réveil brutal des vieux démons de notre histoire récente.

« Les pneus enflammés ont la vertu de chasser les démons », ironise André Fado, pour qui aucune négociation n’est possible avec Martelly. Au milieu de cette marée humaine qui ne jure que par le départ du pouvoir du chef de l’État, le leader du MONOP, acrimonieux, fusille Bill Clinton. « Nous dénonçons les manœuvres de ce dernier qui incite Laurent Lamothe et Michel Martelly à poursuivre la dilapidation des fonds de la reconstruction et du programme PetroCaribe. » Et d’ajouter dans un ricanement : « L’opération Burkina Faso continue son chemin jusqu’à la victoire finale. » Sur fond de slogans déshonorants à l’encontre du couple exécutif, de « rara », la manif suit son court. À la rue de la Réunion, des prisonniers, perchés sur le toit du Pénitencier national, agitent t-shirts et mouchoirs pour saluer les manifestants.

Toute l’artillerie y est. Petit cercueil en carton rose symbolisant la mort du régime Tèt kale. Branches d’arbres. Une grosse pancarte à l’effigie des victimes de l’agression policière dans le Nord-Est. « Martelly est parti », « John Kerry venez chercher votre président », « Adieu Martelly ». Turneb Delpé, André Michel, Maryse Narcisse, Assad Volcy… se mouillent le dos de sueur et semblent s’unir pour la même cause : le départ de Martelly. Un semblant d’homogénéité d’une opposition traditionnellement émiettée, morcelée ! À ceux qui portent la « Commission aux nues pour son travail patriotique », Assad Volcy, de l’OTAN, se veut clair. « Rien de plus que le départ de Martelly », jette-t-il, incisif. Il rappelle que l’opposition n’a jamais demandé à une commission de se pencher sur la libération des prisonniers politiques. « La libération de Rony Timothée et de Byron Odigé est le résultat de la force populaire. Celle-ci va libérer les frères Florestal, Louima Louis-Juste, Jean Robert Vincent… »

Les manifestants, augmentant de jour en jour en nombre, sillonnent le centre-ville qui semble mourir à petit feu depuis le séisme de janvier 2010. Ils obstruent la chaussée de pierres, de palissades, de tréteaux abandonnés. De tout. Des pneus brûlent partout. Dans ce galimatias, les figures de proue de l’opposition ne sont jamais loin. André Michel, très décontracté, se lâche, comme toujours depuis trois ans, pour flamber l’équipe Tèt kale. « La démission de Michel Martelly et la formation d’un nouveau Conseil électoral pour l’organisation d’élections libres et démocratiques sont des obligations », soutient-il, à quelques encablures de la place Jérémie, à Carrefour-Feuilles. Et si le Premier ministre démissionne, comme l’a exigé la Commission consultative ? « Mais non, il n’a pas été élu par le peuple », rétorque-t-il, soulignant que seule la « démission de Martelly arrivera à apaiser la colère populaire ».

« Mobilisons-nous, mobilisons-nous, le moment est arrivé », gueule un manifestant pendant que la foule déferle sur la rue Capois. Les « devan palè nou prale, devan palè nou prale » résonnent. On dirait que les protestataires sont tout à coup animés d’un regain d’énergie mystique. Aux côtés de ce peuple en furie, Fanmi Lavalas est toujours là, explique l’ancien sénateur lavalas Louis Gérald Gilles, qui appelle Martelly à mettre un terme à ses méthodes dilatoires. Arrivés au Champ de Mars, les manifestants veulent franchir les haies de sécurité. La police s’y oppose. André Michel, à la tête de certains d’eux, tout près de la place des Artistes, s’explique. La police s’y oppose encore. Pouf ! Pouf ! Pouf ! D’épaisses fumées blanches s’élèvent dans les airs. Détaillants, écoliers… courent dans tous les sens, comme des fous.

Au fond, dans les parages de la Faculté d’ethnologie, ça chauffe. Parce que les plus téméraires osent s’en prendre aux casques bleus d’une patrouille de la MINUSTAH, ces derniers prennent le relais. Des rafales d’armes automatiques déchirent le vide. Du gaz lacrymogène aussi. Tout le monde en a eu pour son compte. Un calme apparemement fragile est imposé. Il n’était pas encore 15 heures quand les agents du CIMO, aidés de soldats onusiens, sont enfin parvenus à balayer de la ville ces milliers de manifestants qui rendent la vie dure à Martelly et qui lui volent, sans doute, son sommeil ces dernières semaines. Rendez-vous demain, pour une nouvelle journée de protestation.

AUTEUR

Juno Jean Baptiste

jjeanbaptiste@lenouvelliste.com


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