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La problématique de la protection du droit de propriété en Haïti

lundi 19 janvier 2015

Il y avait du monde à assister à l’audience ordinaire et publique du jeudi 15 janvier. Audience au cours de laquelle deux avocats très connus du milieu haïtien se trouvaient face à face dans une affaire opposant les époux Fritz Noël, la femme née Anna Alexandre, à Willio Joseph. Il s’agit de Mes Wilson Estimé et Monferrier Dorval.

L’espèce en question n’est pas nouvelle au tribunal de première instance de Port-au-Prince, mais elle pose encore davantage la problématique de la protection du droit de propriété en Haïti.

Qu’en est-il exactement ?

Selon ce qui a été dit à l’audience, il semblerait que ces deux personnes prétendent avoir le droit de disposer d’une seule et même propriété. L’une conteste les prétentions de l’autre. L’une aurait exercé à l’insu de l’autre une action en justice, voulu exécuter un jugement par défaut malgré les deux actions introduites par l’autre.

Nous sommes à l’audience du jeudi 15 janvier en cours. Me Wilson Estimé, avocat des époux Fritz Noël, fait l’exposé des faits : « Il s’agit d’une propriété appartenant aux époux Noël, située à Vivy Michel, localité de Caradeux. M. Fritz Noël a rencontré un jour Willio Joseph sur sa propriété. M. Joseph dit l’avoir acheté d’Adolph Murat. Etonnés, les époux Noël ont immédiatement assigné Willio Joseph à bref délai. De l’assignation est assorti un jugement par défaut rendu par le tribunal de première instance le 8 mai 2014. »

« Le jugement a été signifié par l’huissier commis Joël Mentor le 1er août 2014. Constatant que l’autre partie n’a pas réagi, une requête a été adressée au doyen aux fins d’une ordonnance pour la publication. Après les délais, un certificat a été délivré par le greffe du tribunal et le parquet avait rempli ses fonctions. »

Me Estimé a fait remarquer au tribunal que l’affaire a été plaidée par-devant le juge des référés qui avait ordonné la continuation des poursuites le 17 décembre 2014. Et le 19 décembre de la même année, Willio a fait opposition au jugement daté du 8 mai 2014. Il estime que ce dernier n’est plus dans le délai. M. Willio Joseph l’a fait sept mois plus tard.

Dans ses envolées oratoires, Me Wilson Estimé a souligné qu’une action en nullité et défense d’exécuter a été introduite par Willio Joseph, suivie d’une abréviative de délai. L’homme de loi dit déplorer que l’article 67 du Code de procédure civile n’ait pas été respecté.

Cet article se lit comme suit : « En matière réelle ou mixte, les exploits énonceront la nature de l’immeuble et la commune où il est situé ; s’il s’agit d’un remplacement ou d’une maison, on indiquera autant que possible la partie de la ville ou du bourg où le bien est situé et deux au moins des tenants et aboutissants. S’il s’agit de bien rural, on devra désigner l’habitation, la section rurale, la commune dont il fait partie. »

Et c’est ce qui l’a porté à soulever l’exception d’irrecevabilité de la demande et la non-application de l’article 78 du même code qui stipule : « Si la demande a été formulée à bref délai, le défendeur pourra au jour de l’échéance se faire présenter à l’audience par un défenseur auquel il sera donné acte de sa constitution ; ce jugement ne sera point levé. Le défenseur sera tenu de réitérer dans les 24 heures sa constitution par acte ; faute par lui de le faire, le jugement sera levé à ses frais. »

Dans sa réplique, Me Monferrier Dorval a déclaré que son client a été surpris de voir qu’on exécute un jugement par défaut rendu contre lui. Il a demandé le référé. Ce qui a été accordé. Il a fait une opposition au jugement, a expliqué l’avocat.
Selon Me Dorval, l’autre partie prétend que le terrain lui appartient, alors que Willio Joseph avait fait l’acquisition du terrain et détient les titres.

En plus de cette opposition, dit Me Dorval, Willio Jospeh a exercé une action en nullité de signification et en déclaration d’inexistence de signification du jugement par défaut. Au motif, d’une part, le jugement ne lui a jamais été signifié, en violation de l’article 69 du code de procédure civile et, d’autre part, que le jugement n’a pas été signifié au commissaire du gouvernement près le tribunal civil de Port-au-Prince comme l’exige l’article « 4 » du décret du 8 janvier 1937 sur la protection des personnes établies dans les sections rurales qui prescrit à peine de nullité.

Dans ses conclusions, Me Monferrier Dorval a demandé au juge de déclarer nulle ou inexistante la signification du jugement par défaut du 8 mai 2014, conformément à l’article 64 du Code de procédure civile et à l’article « 4 » du décret du 6 janvier 1968 ; rejeter les fins, moyens et conclusions tirées des articles 67 et 78, d’autant qu’il s’agit d’une action en nullité de signification et en déclaration d’inexistence de signification. L’avocat reproche à la partie adverse de plaider le fond de l’affaire.

Fort de tout ce qui a été dit, le tribunal devra accorder beaucoup d’attention à ce genre de dossier sensible. C’est un problème sérieux sur lequel la justice doit insister. Car plusieurs familles tant en Haïti qu’à l’étranger ont investi tout leur avoir dans l’acquisition d’une propriété, pour s’en voir déposséder un beau matin.

AUTEUR

Jean-Robert Fleury


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