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Brésil 2014 : les effets secondaires du gigantisme

lundi 7 juillet 2014

Albrecht Sonntag est sociologue à l’ESSCA, école de management (Angers, Paris), où il dirige le Centre d’expertise et de recherche en intégration européenne. Il coordonne actuellement le projet FREE (Football Research in an Enlarged Europe), qui regroupe dix-huit chercheurs de neuf universités européennes. Dans sa chronique, il revient sur la physionomie les demi-finales et l’accaparation du football mondial par les grandes nations.

La plus grande surprise de cette Coupe du monde, c’est que, finalement, il n’y en a pas. Une fois atteint le stade des demi-finales, c’est bien les usual suspects qui se retrouvent entre eux. Et pourtant, comme l’ont montré les huitièmes de finale il y a une semaine, les écarts entre favoris et invités surprise se sont resserrés, ce qui est une bonne nouvelle pour le football et a fortement contribué à l’attractivité du spectacle proposé.

Ce nivellement par le haut est sans doute dû à trois facteurs-clés. D’abord, la poursuite de la globalisation des tactiques et des modes d’entraînement – à l’ère des analyses vidéo et des statistiques immédiatement disponibles, l’émulation des meilleurs s’opère de manière efficace. Ensuite, l’imposition des standards européens : aucune des 19 équipes non européennes n’avait aligné un effectif sans joueur évoluant dans un championnat européen – au total, plus de 60 % de ces joueurs exercent leur métier en Europe. Il ne faut pas sous-estimer, enfin, la dynamique propre à cette compétition hors norme qui permet à de « petites » équipes de se transcender et de former des collectifs plus forts que leurs individualités.

Lire la chronique : Le football, école d’humilité
Et pourtant, les demi-finales n’opposent que de « grandes nations » de football. Brésil-Allemagne, c’est un total ahurissant de 13 finales de Coupes du monde sur 19, dont une entre eux. En y ajoutant l’Argentine et les Pays-Bas, on en arrive à 21 participations en finale sur 38 possibles. C’est étrange : comment expliquer que dans le jeu où, en raison de la pénurie relative de buts les victoires des David contre les Goliath sont en principe davantage possibles qu’ailleurs, ce soient finalement les Goliath qui trustent quand même les meilleures places ? C’est peut-être un effet secondaire du gigantisme de l’événement.

Les dimensions de la Coupe du monde sont telles qu’elles limitent non seulement l’organisation du tournoi à un petit cercle de pays possédant une taille économique critique – il est impensable aujourd’hui d’imaginer des Coupes du monde en Suisse, en Suède ou au Chili comme entre 1954 et 1962 – mais aussi, de plus en plus, les chances de la remporter aux pays qui possèdent les ressources nécessaires pour réussir au football, à savoir des infrastructures très développées et un système de formation efficace (donc de l’argent) ; un vivier de talents important (donc une large population, mais aussi une forte assise historique du football dans la société) ; une grande expérience de gérer les efforts dans un tournoi qui est très long, sans doute trop long pour favoriser l’égalité des chances.

AUCUN VÉRITABLE « INVITÉ SURPRISE » DEPUIS 1998

Quand le Danemark a remporté l’Euro en 1992, il l’a fait en jouant cinq matchs en l’espace d’exactement quinze jours. La Grèce, en 2004, devait déjà disputer six matchs en trois semaines. Remporter une Coupe du monde avec 32 équipes nécessite sept matchs au cours d’un mois entier. Cela explique peut-être pourquoi, mis à part le tournoi de 2002 que certains surnommaient « le Mondial de la fatigue » en raison du manque de récupération des grandes vedettes après leur saison en club, toutes les Coupes du monde à 32 équipes, format inauguré en 1998, n’aient eu aucun véritable « invité surprise » en demi-finales. En 2006, les Européens trustaient les quatre places, l’édition 2010 réunissait le champion d’Europe en titre et trois anciens vainqueurs et finalistes

UN RISQUE POUR L’ATTRACTIVITÉ SUR LE LONG TERME

Faut-il regretter qu’il n’y ait pas plus de renouvellement parmi les vainqueurs potentiels de l’épreuve ? Que l’étoile de 2014 risque de se faire broder sur un maillot déjà bien garni ? Peut-être bien. Un haut degré d’incertitude est un facteur essentiel et précieux de la fascination qu’exerce le football. Les compétitions dont le format la réduit trop fortement prennent un risque pour leur attractivité à moyen et long terme (une menace qui commence à peser sur la Ligue des champions par exemple).

Si on aime le football, on aurait intérêt, en toute neutralité, à voir les Pays-Bas aller enfin au bout, après avoir échoué trois fois en finale. Un nouveau nom dans le palmarès de la Coupe du monde, après la France il y a seize ans et l’Espagne en 2010, cela lui ferait du bien. Un pays vainqueur peuplé de « seulement » 17 millions d’habitants, cela montrerait que les victoires ne sont pas réservées aux mastodontes démographiques. Et une étoile sur le maillot orange, il faut reconnaître que cela aurait un certain chic et ne déplairait pas à ceux qui se souviennent de ce que les joueurs en orange ont apporté à ce jeu depuis quarante ans.


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