MosaikHub Magazine

L’art contemporain au Marriott

vendredi 10 avril 2015

L’hôtel Marriott, dans le quartier de Turgeau, à Port-au-Prince, ouvre ses portes au 7e forum transculturel d’art contemporain haïtien. Des artistes qui ont exposé au Grand Palais à Paris se retrouvent encore une fois en tête-à-tête

Par Claude Bernard Sérant

C’est dans un bel écrin, à l’hôtel Marriott, le mercredi 8 avril, dans le cadre du 7e forum transculturel d’art contemporain, que s’ouvre l’exposition « Outsiders, art brut etc… ». Les mêmes têtes qui ont représenté Haïti au Grand Palais, à Paris, exposent des sculptures le long d’un couloir et d’une terrasse qui surplombe cet espace architectural dominant le quartier de Turgeau.

Le chef d’orchestre de cette grande parade, au Marriott, est Barbara Prézeau Stephenson. Elle réunit comme cinq doigts de la main – pour l’événement – Guydo, Céleur, Dubréus Lhérisson, Jean Barra, Mario Benjamin et Myrlande Constant. Les mêmes dont les œuvres dialoguaient dans « Haïti : deux siècles de création artistique », au palais des beaux-arts français.

« L’exposition pourra s’étaler sur une semaine ou un mois », avance Barbara Prézeau Stephenson, contente d’avoir pu amener les artistes qui l’ont suivi dans l’aventure d’AfricAmérica depuis quinze ans environ. « C’est signe que l’art contemporain haïtien est en train de prendre sa place en Haïti. Cela veut dire que la Fondation AfricAmérica a grandi. Elle a aujourd’hui des partenaires solides et durables dont le Marriott et la Banque centrale haïtienne », jubile-t-elle, le sourire en coin.

Cette exposition privilégie la sculpture à cause de la topologie allongée, la verticalité et la transparence de l’espace du Marriott. Une telle exposition des arts de l’espace, affirme Barbara Prézeau Stephenson, est traversée par l’esprit de rencontre avec différents courants artistiques de l’art contemporain. Ces courants sont animés par une pléiade d’outsiders, d’autodidactes très sophistiqués comme Mario Benjamin et Maksaens Denis ; des artistes de l’art brut et des académiciens comme Barbara, l’auteure du Cercle de Fréda. Soulignons au passage que cette expérience l’a portée à remettre en question les mécanismes identitaires qui l’ont façonnée.

Cuzin et Lalique témoignent

Présente au Marriott, en cette occasion, Régine Cuzin, la commissaire française indépendante de l’événement au Grand Palais, a vite perçu dans cet espace adapté aux grandes pièces de sculptures une résonance de la dernière exposition à Paris. « Je retrouve les œuvres de Céleur et de Guyodo comme celles du Grand Palais. Je retrouve les œuvres de Dubréus, de Mario Benjamin. C’est magnifique ! Je trouve tout aussi intéressant d’avoir utilisé la terrasse pour mettre des œuvres monumentales de Guyodo qui font pendant à l’intérieur avec celles de Céleur. »

Debout sur la terrasse où sont dressées ces pièces de sculpture, les cheveux rougeoyants comme une flamme dans la nuit, elle se laisse aller à des confidences : « La première fois que j’ai mis les pieds en Haïti, c’était en 1998. Je suis venue avec une exposition titrée ‘’Sur la route de l’esclave’’ qui comportait, entre autres, une œuvre d’Hervé Télémaque : ‘’La terre couchée’’, ainsi que des tableaux de Mario Benjamin précédemment exposés sur des cimaises au Grand Palais. Mais cette exposition avait été abandonnée dans le port de Port-au-Prince pendant deux mois. Alors, je suis revenue la chercher. On a du partir avec elle en République dominicaine puisque Haïti n’avait pas voulu la présenter à l’époque. »

Pendant qu’elle parle, son regard embrasse les grandes fenêtres aux vitres transparentes qui découpent l’intérieur de l’hôtel animé par des visiteurs tournant autour des œuvres. « Moi je tiens à ce que Haïti soit aussi dans le monde. Pas juste Haïti au sein d’Haïti. » Elle entend par là voir des œuvres d’artistes haïtiens en perpétuel dialogue avec l’art autour du monde.

Une autre figure de cette soirée, le commissaire de l’exposition, le citoyen britannique Reynald Lalique. Lui aussi se souvient : « Il y a vingt ans que j’ai mis les pieds en Haïti et j’ai ouvert une galerie à Pétion-Ville. C’était pendant la période de l’embargo. » Il dit regretter que dans un pays où fleurissent tant d’artistes, la vie soit aussi difficile pour ces derniers. « En Haïti, il n’y a pas beaucoup de collectionneurs. Les gens ne veulent pas débourser. Il y a beaucoup de talents ici. Et ils n’arrivent pas à vivre de leur art ». Pour s’illustrer, Lalique désigne les artistes de la Grand-rue : « Ce sont des génies. On devrait les supporter. Quand je vais dans l’atelier de Céleur, je suis triste. Les galeries en Haïti ne prennent pas les pièces volumétriques parce que c’est difficile à vendre. »

Ces artistes qui captent l’attention, Céleur et Guyodo, sont venus dans l’exposition avec leurs enfants. Ils déambulent, parmi les visiteurs, dans l’immeuble planté dans le quartier de Turgeau, un immeuble dressé comme un geste architectural en signe de réappropriation de Port-au-Prince, la capitale.

AUTEUR

Claude Bernard Sérant


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