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Addis-Abeba - Architecture : un patrimoine unique mais menacé

dimanche 10 mai 2015

Par notre correspondante à Addis Abeba, Justine Boulo

Lunettes et soleil et casquette, l’homme arrive en toussant. "Avec toutes ces constructions en ville, j’en suis malade. La poussière !" Tadesse Girmay est un témoin à l’oeil aguerri. Architecte, il enseigne la conservation du patrimoine à l’institut EiABC d’Addis-Abeba. Ils sont rares en Éthiopie à s’intéresser à la préservation de l’héritage architectural. "Aujourd’hui, les jeunes rêvent d’habiter dans de grosse villas ou des appartements flambant neufs. La population augmente, la capitale s’étend, alors les politiques gouvernementales s’adaptent en ordonnant la construction de nouveaux buildings. Malheureusement, les anciens sont détruits, tout bonnement", dit-il. La déception de Tadesse est patente. "La stèle d’Axum, les églises de Lalibela sont inscrites au patrimoine de l’Unesco. Mais l’architecture d’Addis-Abeba, personne ne voit sa valeur", poursuit-il.

Addis-Abeba, une histoire dans l’histoire

Construite il y a plus d’un siècle, à partir des années 1890, par Menelik II, la capitale éthiopienne regorge de bâtisses qui témoignent de l’âge d’or de l’empire abyssin. Alors qu’il n’est qu’un roi local, Menelik II défie le Négus, le roi des rois, Yohannès IV. Il crée des alliances, remporte des batailles et très vite contrôle le centre du pays. À la mort de Yohannès, en 1889, Menelik II s’autoproclame empereur. Et crée la capitale de son nouvel empire, Addis-Abeba, "la nouvelle fleur" en amharique. Le centre névralgique du pays n’est d’abord qu’un campement de tentes sur une zone montagneuse désertique. Menelik ordonne à chacun de ses sujets de construire une maison. "En faisant cela, Menelik les obligeait à rester à Addis-Abeba, et donc sous son contrôle", explique Tadesse. Oui, l’architecture d’Addis-Abeba est d’abord le résultat d’une stratégie politique. Habile chef de guerre, Menelik devient un dirigeant accompli. Le commerce avec l’étranger croît. "Toutes les nations aux alentours ont envoyé des émissaires. Arméniens, Arabes, Grecs et Indiens se sont implantés dans la capitale. Et le style architectural d’Addis le reflète. L’habitat d’Addis n’a rien à voir avec le reste de l’Éthiopie. C’est une composition propre à la capitale et à une époque qui remonte à un siècle", poursuit Tadesse.
En trois décennies, la ville s’est métamorphosée. Le palais de Menelik, posté sur la colline de Finfine, surmonte les vallées où s’égrènent les villas d’officiers et de commerçants, mouillées dans une forêt d’eucalyptus. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Le regard de Tadesse vrille. "Beaucoup ont été démolies pour laisser place aux nouveaux immeubles, aux routes... Celles encore debout sont laissées à l’abandon. Elles pourrissent sur pieds et des familles pauvres vivotent encore dedans", explique-t-il. Aucun projet de restauration n’a été lancé par le gouvernement. "Le pays se développe, donc la préservation n’est pas la priorité de l’État", se désole Tadesse. Il n’y a que de rares investisseurs privés qui s’impliquent.

La demeure du commandant des armées de Menelik sauvée

Au volant de son pick-up, Tadesse s’engage sur Bole Road, l’artère principale. De chaque côté, des immeubles de cinq à quinze étages bordent l’avenue, sans harmonie. Beaucoup sont encore à l’état de squelette de parpaings. Deux rues poussiéreuses plus loin, Tadesse coupe le contact, juste derrière la barrière d’immeubles. Bétonnières et brouettes occupent l’allée. Au bout, derrière un haut mur, elle est là. Tadesse l’observe avec respect. "C’est l’ancienne demeure du commandant des armées de Menelik, Ayalew Birru. Elle a plus de 100 ans. Son architecture est sublime", indique-t-il. Deux blocs carrés, reposant sur une fondation en pierre, sont réunis par un pont couvert. La demeure est entourée d’une coursive de bois couverte. Le toit en tôle imite celui des églises, surmontées d’un clocher. À droite, une tourelle cubique fait office de puits de lumière, cernée de vitraux jaunes, verts et bleus. Dans le quartier moderne d’Olympia, la bâtisse aujourd’hui isolée aurait dû être rasée. Mais, il y a trois ans, un investisseur privé s’est manifesté. Il s’agit de la célébrissime Liya Kebede qui a décidé de financer la restauration de la demeure. Une vraie exception dans cet univers d’Addis. Tendes file au musée de la capitale, logé dans un bijou de l’architecture.

Idem pour la demeure du fils de Menelik

La demeure du Ras Birru, l’un des fils de Menelik, bâtie dans les années 1880, est l’une des premières demeures de la capitale, aujourd’hui perchée au-dessus de Meskel Square, la place centrale. Immense demeure de bois à étages, couronnée de tourelles surmontées de sculptures de bois. Les escaliers courent depuis l’extérieur vers des vestibules lumineux. Des pans entiers de la maison sont recouverts de petites fenêtres carrées. Mais la peinture s’écaille, le bois pourrit, les sculptures se cassent au fil des ans, les plafonds croulent. Ce n’est qu’en février dernier que la ville a entamé Deux kilomètres plus loin, dans le quartier de Kazanchis, Tadesse visite l’école primaire Yelibe Fana. Un bâtiment moderne en béton camoufle, au centre de la cour, une ancienne demeure. Le centre de la façade ressemble à une tour de pierre jonchée de bras qui s’étendent à droite et gauche. Les coursives de bois d’époque sont traversées d’escaliers qui plongent au sol. Le directeur regarde ce qui sert de laboratoire et de bibliothèque avec lassitude. Les escaliers ne tiennent que sur de frêles poutres rongées par la pourriture. Les carreaux sont brisés. Le toit rouille. "On a appelé le ministère de la Culture il y a longtemps. Mais personne n’est jamais venu", dit-il. Tadesse ne peut qu’observer les perles du temps se dégrader. "L’ancien quartier de Piassa est encore épargné. Mais pour combien de temps ?" s’interroge-t-il. Le problème est que nous sommes trop peu d’experts. Je place mon espoir en la génération suivante, qui étudie actuellement la conservation du patrimoine. Dans quelques années, les spécialistes auront plus de poids face au gouvernement, face à la société, pour expliquer que l’héritage architectural est important et qu’il y a un potentiel économique pour développer le tourisme", poursuit-il.des travaux pour une durée d’un an. Une intervention de la dernière chance


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