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Hannibal, Hitler, Hollande et les bêtes

dimanche 10 mai 2015

Qui a fait corps avec Hannibal, de Carthage à Rome ? Son éléphant Sorou. Qui a avalé son cyanure aux côtés d’Hitler le 30 avril 1945 ? Sa bergère allemande Blondi. Et qui a rejoint l’équipe de François Hollande à l’Élysée en décembre 2014 ? Son labrador Philae. Histoire des animaux célèbres de Marie-Hélène Baylac (Perrin) revisite le destin de l’humanité en explorant sa part animale. Aux grands animaux, l’humanité reconnaissante ?

La Louve de Rome

À côté de la fondation de Rome, Game of Thrones, c’est La Petite Maison dans la prairie. La princesse Rhéa Silvia, descendante du héros troyen Énée, a accouché sans prévenir de deux petits bâtards, alors qu’elle n’est pas censée avoir d’enfants, ayant été forcée de devenir une vestale, une prêtresse chargée d’entretenir le feu de sa cité, Albe la Longue. Intraitable, son oncle, le tyran Amulius, se débarrasse des marmots dans un marécage le long du Tibre.

Mais les deux nourrissons échappent à la noyade. C’est alors que, bénédiction divine, une louve qui vient de mettre bas passe par là et, plutôt que de les dévorer, les allaite et veille sur eux. Des poèmes d’Ovide et de Virgile jusqu’aux sculptures et aux monnaies officielles, la louve est devenue l’animal fétiche de la ville aux sept collines. L’anecdote pourrait cependant avoir un sens caché : selon l’historien Tite-Live, la louve, "lupa" en latin, désignait une pute dans l’argot romain.

Bucéphale, le cheval d’Alexandre

S’il est un animal qui a fait l’histoire, c’est lui. Et pourtant, Philippe II de Macédoine, le père d’Alexandre le Grand, a failli passer son chemin quand, en 341 av. J.-C., un marchand lui propose d’acheter ce jeune étalon, indomptable et caractériel. Seul Alexandre reconnaît son potentiel et parvient à le monter.

Le prince, encore adolescent, a en fait compris que le poulain est effrayé par les mouvements de son ombre. Il le rassure en le tournant vers le soleil. Son nouveau maître le baptise Bucéphale ("tête de boeuf" en grec), pour sa gueule épaisse, mais peut-être aussi parce qu’il porte à la hanche une marque en forme de tête de boeuf - signe qu’il provient d’un des meilleurs haras de Thessalie.

La monture suivra son maître jusqu’au bout du monde. Sa mort est proprement héroïque : en 326 av. J.-C., Alexandre affronte un souverain indien dans une gigantesque bataille où l’ennemi aligne plus de deux cents éléphants. Sur une pièce de monnaie de l’époque, le roi de Macédoine, levant l’épée et faisant cabrer Bucéphale, affronte un cornac, juché sur un pachyderme et se défendant avec une lance. Inconsolable, Alexandre fondera des villes à son nom !

La girafe très "Charlie" de Charles X

Les diamants de Bokassa ne sont pas le premier cadeau diplomatique empoisonné de l’histoire de France. Le 9 juillet 1827, le roi Charles X reçoit du pacha d’Égypte, Méhémet Ali, un présent inestimable. Du jamais-vu à Paris : une girafe. Les rues sont noires de monde pour admirer cette merveille de la nature.

Mais le coup de com tourne au vinaigre. À cette époque, la popularité de Charles X est plus basse que celle de François Hollande en 2015. Les journaux caricaturent le souverain, grand et hautain, sous les traits de l’animal. Des pamphlets circulent, intitulés Lettres de la girafe au pacha d’Égypte. Les législatives de 1827 sont une juste branlée. Et trois ans plus tard, Charles X est renversé lors des Trois Glorieuses de juillet 1830. La girafe survivra encore quinze ans. Empaillée, elle est désormais le totem du muséum de La Rochelle.

Laïka, la chienne de l’espace

Le 3 novembre 1957, une petite chienne noire et blanche fait la une des journaux de toute la planète. Rien ne destinait Laïka, bâtarde husky-terrier, ramassée dans les rues, à une telle célébrité. Sa bonne étoile s’est levée quelques semaines plus tôt quand l’Union soviétique a mis en orbite le premier satellite. Avec Spoutnik 1, les Russes ont damé le pion aux Américains dans la course à l’espace ! Mais Khrouchtchev veut enfoncer le clou. Il convoque le directeur du programme spatial, Sergueï Korolev. Le 7 novembre, ce sont les 40 ans de la Révolution d’octobre 1917, le coup d’État par lequel Lénine a renversé la toute jeune République russe. Pour cette date, les Russes devront être les premiers à envoyer un être vivant dans l’espace avec la mission Spoutnik 2.

Auparavant, d’autres chiens russes (Albina, Tsyganka, Dezik, Lisa, Smelaya, Otvazhnaya...) ont affleuré les couches supérieures de l’atmosphère. Pour cette nouvelle mission, trois chiennes vont suivre un entraînement intensif, et parmi elles, c’est Laïka qui est l’heureuse élue. La suite est moins glorieuse : la bête est destinée à une mort certaine, la capsule devant se désintégrer dans l’atmosphère. Officiellement, un repas empoisonné devait lui éviter toute souffrance. Mais, en 2002, un des médecins ayant travaillé sur Spoutnik 2 révèle que Laïka est morte au bout de seulement sept heures d’orbite à cause de la chaleur, un système de régulation n’ayant pas fonctionné. Cependant, elle n’est pas morte en vain : son calvaire a prouvé qu’un être vivant pouvait survivre en impesanteur.

Dolly, la brebis clonée

Le 5 juillet 1996 naît Dolly, petite agnelle de 6 kilogrammes en parfaite santé. Karen Mycock, l’une des scientifiques qui l’ont conçue, paie sa tournée de téquila : elle vient de parfaire le premier clonage d’un animal à partir d’une cellule non embryonnaire ! Il aura fallu 1 000 tentatives, dont 248 embryons mal formés, pour parvenir à ce résultat. Son équipe se dépêche de préparer son article pour la revue Nature. Mais le 23 février 1997, avant toute publication scientifique, la naissance de Dolly est révélée au monde par le journal The Observer. La brebis fait scandale, présentée comme un monstre sorti tout droit de L’Île du docteur Moreau ou du Meilleur des mondes.

Dolly tente de mener une vie paisible dans un hangar près d’Édimbourg, malgré les séances photo et les conférences de presse. Charmante, elle met bas trois fois, des brebis en parfaite santé. Angoisse de la célébrité ? Obésité génétique ? Elle s’engraisse en se gavant d’avoine et de sucreries, et meurt à l’âge canonique - pour une brebis d’élevage - de six ans et demi, euthanasiée à cause d’une épidémie qui a décimé son élevage. Aux États-Unis et en Argentine, les bêtes d’élevage sont en grande partie désormais issues du clonage.


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