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La marine, instrument de l’ambition planétaire de la Chine

jeudi 28 mai 2015

La Chine, soucieuse de protéger ses intérêts à l’étranger et ses ressortissants répartis sur tous les continents, confirme sa transformation en puissance navale. Dans un nouveau Livre blanc publié mardi 26 mai, le premier consacré à la stratégie militaire, le Conseil d’Etat (gouvernement) a exposé la vision de ses stratèges afin de donner un rôle plus global à ses forces armées. Cet exposé, présenté par Pékin comme un acte de transparence, intervient sur fond de querelle sino-américaine dans les mers de Chine du Sud, où les chantiers de poldérisation de récifs et d’atolls menés par Pékin sont la cible depuis plusieurs mois d’une virulente campagne de dénonciation de la part de Washington.

Ce Livre blanc chinois de la défense entérine la mue attendue d’une puissance commerciale désormais planétaire. Dans son préambule sur la « situation de la sécurité nationale », le document souligne que « la sécurité de(s) intérêts outremer [de la Chine] dans l’énergie et les ressources, les voies maritimes stratégiques, ainsi que des institutions, du personnel et des actifs présents à l’étranger, est devenue une préoccupation majeure ». Le texte juge également qu’« avec l’expansion des intérêts nationaux chinois, la sécurité nationale est devenue plus vulnérable aux tumultes régionaux et internationaux, le terrorisme, la piraterie, enfin, les désastres naturels et les épidémies majeurs ».

Ce n’est pas la première fois qu’il est fait mention des « intérêts outremer » dans un document officiel. En 2013, un précédent Livre blanc en faisait mention. Mais, relève le spécialiste Mathieu Duchâtel, qui dirige le bureau pékinois du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), ils « ont pris une place si importante dans ce nouveau document, celle d’une préoccupation majeure ».

« L’idée a fait son chemin. Elle est maintenant presque liée à l’identité de la Chine comme grande puissance, celle qu’elle projette à l’intérieur du pays et à l’extérieur », poursuit M. Duchâtel, coauteur, avec le diplomate danois Jonas Parello-Plesner, d’un livre à paraître tout prochainement en anglais, China’s Strong Arm : Protecting Citizens and Assets Abroad, sur la manière dont les impératifs de protection par la Chine de ses ressortissants et actifs à l’étranger sont en train de transformer sa politique de défense vers une plus grande interférence en dehors de ses frontières.

Confrontation sino-américaine

Pour le chercheur, les deux tropismes de la politique de défense chinoise qui ressortent de l’exposé, « les affaires maritimes dans la région et la protection des intérêts extra-régionaux d’une Chine globalisée, se combinent dans la construction de la puissance navale chinoise ». « Le changement de ton est évident par rapport au dernier Livre blanc, qui mettait l’accent sur la coopération internationale de l’APL [armée populaire de libération] au sein de missions multilatérales, souligne-t-il. L’environnement cette année est bien différent en raison de la confrontation Chine-Etats-Unis en mer de Chine du Sud et du dangereux cycle surveillance/contre-surveillance. »

Selon M. Duchâtel, « la surveillance maritime constante à laquelle la marine chinoise est soumise en mer de Chine du Sud explique beaucoup des comportements chinois (y compris les constructions d’îles artificielles), au moins autant que les intérêts de souveraineté ». L’échange radio survenu la semaine dernière devant les caméras de CCN entre l’équipage d’un avion de surveillance américain Poseidon survolant plusieurs de ces atolls au large des Philippines et le contrôle aérien de la marine chinoise a un peu plus fait monter le ton entre Pékin et Washington, à quelques jours du Dialogue du Shangri-La à Singapour du 29 au 31 mai, le grand rendez-vous des ministres de la défense de la zone Asie-Pacifique. La conférence est organisée par l’IISS (International Institute for Strategic Studies).

Lors de ces échanges radio, les Américains se sont évertués à faire valoir la liberté de navigation dans les eaux territoriales, tandis que les Chinois leur intimaient, sur un ton d’abord poli, puis de plus en plus sec, de quitter le « territoire souverain » chinois.

Le Pentagone avait préalablement fait savoir qu’il étudiait l’envoi de navires et d’avions dans la zone des 12 milles autour de ces îlots artificiels chinois, provoquant une levée de boucliers en Chine, le quotidien à gros tirage Global Times, porte-parole belliqueux du régime, appelant même la Chine à « se préparer minutieusement » à la possibilité d’un conflit avec les Etats-Unis.

Liberté de navigation

S’exprimant depuis Pearl Harbour lors d’une cérémonie de passation de pouvoirs à la tête de la flotte du Pacifique, le mercredi 27 mai, le secrétaire de la défense américain, Ashton Carter, a rappelé que les Etats-Unis entendaient « voler, naviguer et opérer partout où les lois internationales l’autorisent ». Ceux-ci souhaitent « un arrêt immédiat et durable des projets de poldérisation de la Chine et des autres pays concernés », a-t-il ajouté, accusant Pékin « d’être en déphasage, à travers ses actions en mer de Chine du Sud, avec les normes internationales qui sous-tendent l’architecture de sécurité de l’Asie-Pacifique ».

Pour Mathieu Duchâtel, la notion de « liberté de navigation » défendue par les Etats-Unis se voit opposer une riposte rhétorique par les Chinois dans le nouveau Livre blanc, celle d’« open seas protection », ou de « protection en haute mer » : cette notion est, selon lui, « à l’évidence la réponse de l’APL à la “Freedom of Navigation Protection” des Etats-Unis. Elle suggère un passage sécurisé pour la marine chinoise dans les eaux internationales, ce qui peut être important lors d’évacuations de ressortissants par exemple ; elle peut aussi faire référence à des opérations d’escorte de flotte commerciale comme dans le Golfe d’Aden ». Reste à savoir comment les Chinois entendent la mettre en pratique.


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