MosaikHub Magazine

Tout, tout, tout sur Syto Cavé

vendredi 5 juin 2015

Comme Ticket et Le Nouvelliste le font à chaque fois que l’invité d’honneur de Livres en folie accepte de s’y prêter, Frantz Duval et Winnie Hugot Gabriel ont posé toutes sortes de questions à Syto Cavé et il y a répondu. De ses premiers vagissements sur terre, à son premier amour jusqu’aux questions qu’on ne lui pose jamais et qu’il est le seul à connaître, l’immense Syto Cavé a répondu à tout et dévoile des pans de lui-même enfouis depuis des décennies sous des couches de vie nouvelle. Avec cette interview répartie dans l’édition du jour du Nouvelliste et dans TICKET, vous allez mieux connaître l’homme et appréciez de nouvelles facettes de l’artiste.

TICKET/Le Nouvelliste : Premier jour sur terre ? 7 août 1944. Je ne sais pas ce que cela a été exactement. Mais je crois qu’après avoir séjourné dans le ventre de sa mère, sortir à la lumière est un étonnement. On pousse un cri, un grand cri. Et ce cri se développe, se transforme peu à peu. Et s’oriente vers ce visage maternel perché sur soi qui accorde une attention très tendre à ces premiers bruissements, ces tentatives d’attention que l’enfant réclame de sa mère incessamment. Je crois que c’est peu à peu qu’on se forme, qu’on se dirige. D’abord on est dans un langage gesticulaire, on est dans un bruissement, dans les onomatopées, les premiers battements d’ailes. Et peu à peu on passe à autre chose. On est capable de paroles. On est capable de s’exprimer. Et puis peu à peu on devient homme. Grâce à cette attention soutenue. Et Dieu seul sait si ça a été des moments de grandes souffrances, de grands sacrifices de la part des parents pour devenir l’homme qu’on sera demain. Ah, ce que cela prend de temps pour devenir un homme ou une femme ! C’est pourquoi quand on voit des crimes abominables, quand on voit la vie disparaître en un clin d’œil, quand on voit tuer quelqu’un, quand on l’entend, on se demande comment ont-ils pu faire ces assassins ? Faire disparaître en un moment ce qu’il a fallu tant de temps pour créer, pour forger et puis abolir tout ce travail, tout cet amour, tout ce qu’il est devenu … ! TICKET/Le Nouvelliste : Première école ? Bien, c’était l’école maternelle. J’ai commencé à Jérémie chez Madame Jules. Et à Port-au-Prince, j’ai continué chez mes tantes qui avaient une école au haut de la rue Capois qui s’appelait Sainte Thérèse de l’enfant Jésus. Voilà, j’ai grandi dans un milieu très très chrétien, catholique apostolique romain. Il y avait deux de mes tantes qui étaient des bonnes sœurs, qui étaient au couvent. J’étais enfant de chœur activement. Je me souviens quand passait le Saint Sacrement au mois de mai, quand les possessions étaient dans les rues, j’avais une petite corbeille de confettis en main que je lançais au passage du Saint Sacrement. TICKET/Le Nouvelliste : Première fessée ? Ah bon cela, elle était de mon père. Il ne me ratait jamais. Je dois dire chaque fois que l’occasion se présentait. Mais c’était pour lui sa façon d’élever ses enfants. Il fallait le fouet. Il fallait le ceinturon. Moi j’ai grandi à Port-au-Prince, chez des tantes qui étaient toutes des mères pour moi. Ma mère et mon père étaient à Jérémie. Alors, j’allais passer mes grandes vacances là-bas. C’était pour retrouver mes parents, mes copains, mon premier cocon, ce lieu de l’enfance, ce lieu où j’ai fait mes premiers pas, où j’avais plein d’amis. Pendant cette période, il y avait plein de choses à faire. Des promenades champêtres, des bains de mer, donc c’était une atmosphère de récréation, de joie, de flânerie, de partage et de grande amitié. Mais ce qui troublait toujours tout cela c’était la présence de mon père. Donc une fois arrivé à Jérémie, il fallait que je me soumette à une discipline féroce qu’il avait mise en place. Une fois qu’il y avait un petit écart de ma part, il agissait. Par exemple, en sortant de Port-au-Prince, j’essayais de ramener à Jérémie tout ce qu’il y avait de nouveau comme jouet ou nouveau jeu à Port-au-Prince. Je montrais à mes amis comment faire du saut à la perche, du judo, de la boxe. Bon plus petit, il y avait la folie des soucoupes volantes. Donc je ramène cela dans ma province. Bien sûr, j’arrive et très rapidement je dépose ma valise, je rejoins mes amis à l’extérieur qui m’attendent, je sors mon joujou, Et ma soucoupe volante s’envole, elle va s’accrocher à un toit. Et je me dis que : « Ben, je ne vais pas la perdre, ma soucoupe volante ! ». Donc je grimpe au sommet de la maison pour la récupérer. Et voilà les amis qui me crient attention. Je regarde. Il y avait mon père avec son fouet en main et qui m’attendait, qui me disait : « Descendez ! Descendez ! Descendez ! » Et voilà la première grande fessée. Terrible ! J’avais environ onze ans. TICKET/Le Nouvelliste : Première grande honte ? La deuxième fessée. J’avais peut-être 12 ans. Mon premier amour c’était Marie, elle en avait onze. On s’aimait déjà, mais à distance. Je faisais le tour de sa maison vingt fois par jour seulement pour la voir au balcon ou à une fenêtre. Mais jamais il n’y avait eu d’échange de mots entre nous. Et puis un beau jour, cela se décide comme cela, sous la pression de notre entourage. Mes amis et des amis à elle qui nous disent mais « ce n’est pas possible que vous soyez amoureux l’un de l’autre depuis deux ans et que vous n’ayez même pas échangé un mot ». Donc, elle consent à aller au cinéma avec moi. A cette époque aller au cinéma c’était comme être déjà quelqu’un, avoir une relative autonomie. Epi m achte chiklèts. J’achète deux cigarettes pour donner plus d’ampleur à la chose. Il fallait que j’aie ma cigarette en main à côté de ma belle. Et il y avait tout un rituel qui accompagnait cela. Je suis assis à ses côtés. Le film n’a pas encore commencé. Je sors avec ostentation ma première cigarette Splendid. Je la tape sur une boîte d’allumettes. Je claquais l’allumette à la manière d’Eddy Constantine, ce grand acteur qu’on aimait tous à l’époque. J’allume ma cigarette. Et puis, je pousse le premier grand nuage en présence de cette belle. Avec panache. Ce nuage, cette bouffée que je sors, je la fais sortir avec des o o o ! (La fumée formait la lettre O). Et elle était épatée, « mais comment peux-tu faire cela ? », se demandait-elle. Je crois que là, elle a commencé à m’accorder plus d’attention. J’étais presque un magicien à ses yeux. Cela l’a beaucoup fascinée. Je poussais plus loin la démonstration. Mais je n’ai encore rien dit. C’est la cigarette qui parle. Et puis subitement, il y a quelqu’un qui vient de derrière, qui fait sauter la cigarette dans mes doigts, avec une violence terrible. C’était mon père. « Ah monsieur, vous fumez aussi ! », dit-il. Oh mon Dieu, je n’avais même pas commencé à jouer le film que j’étais déjà mort, comme un mauvais bandit ! Ça a été la honte générale. D’autant qu’il y avait beaucoup de monde dans la salle. Donc, je suis sorti peureux. Ecrasé. Humilié. De plus, j’ai dû quitter ma belle seule dans la salle. Et j’imagine qu’elle se disait « ce gars que j’ai cru être un homme à côté de moi n’était qu’un petit pédant, qui se faisait passer pour qui il n’était pas. » J’ai dû rester à la maison pendant deux semaines. Je refusais de sortir. Comment rencontrer cette dame après une telle humiliation. Je n’ai jamais pardonné cela à mon père. Et ce n’est qu’après mon bac, quand mon père et moi avons fini par se parler, qu’il est venu à moi, qu’il m’a offert une cigarette, qu’il m’a dit : « Tiens, on va fumer une cigarette ensemble » que j’ai compris tout cela. J’ai compris qu’il lui fallait appliquer cette méthode. C’était ce qu’il avait subi aussi pour devenir l’homme qu’il est devenu. Bien sûr c’était sa méthode à lui, une chose que je n’ai jamais appliquée à mes enfants. D’ailleurs, on me reproche souvent de ne pas avoir un comportement de père. Mes enfants se moquent souvent de moi. Ils ne me prennent pas au sérieux, je joue trop avec eux. TICKET/Le Nouvelliste : Premier flirt ? C’était avec Marie. Quand même on s’est aimés pendant huit ans ! Donc après l’épisode malheureux du cinéma, on s’est revus. Nos mains ont fini par se rencontrer. Et il a fallu tâtonner pour trouver son petit doigt. Et graduellement, les deux mains ont fini par se rencontrer. Et c’était deux mains brûlantes. Et puis on les a gardées ensemble pendant des heures. On se les pressait. Le cœur battait fort. Et après un mois, deux mois à se tenir la main on se dit bon. Quand même le moment est venu pour le baiser. TICKET/Le Nouvelliste : Premier baiser ? Quand ce moment est venu c’était comme un duel de dents. Parce que je ne savais pas comment embrasser une dame. Et elle non plus. Donc, c’était le choc des dents. TICKET/Le Nouvelliste : Premier amour ? Marie, cette fille que j’ai rencontrée à Jérémie. TICKET/Le Nouvelliste : Première grande passion ? Amoureuse ? Alors Marie a été ma première grande passion de cœur. Et plus maintenant la passion du livre et de la poésie est née très tôt chez moi. Quand j’ai gagné de grands livres classiques à la loterie. Euripide, d’Homère –L’Iliade et l’Odyssée-, j’avais douze, treize ans. Mais j’écoutais les aînés parler de ces auteurs, ainsi que de poésie, de Baudelaire, de Mallarmé… J’étais fasciné par ces conversations. Et quand j’ai gagné ces livres à la loterie, je ne pouvais pas les lire vraiment. Mais, j’allais à l’école avec eux. Toujours par pédanterie. Pour montrer aux aînés que je lisais Homère. Je ne comprenais rien vraiment à une seule page, men map fè chelbè pa mwen ! TICKET/Le Nouvelliste : Première scène de jalousie ? C’était pour Marie. Elle était plus âgée que moi. A un certain moment, elle fréquentait l’école Elie Dubois. Elle avait bouclé son cycle d’études. Elle avait appris la couture, la pâtisserie, comme on savait les enseigner à l’époque. Donc elle était prête à se marier. Et moi mon avenir était lointain. Il fallait que j’aille jusqu’au bout. Après le bac, je voulais m’orienter vers l’université. Apprendre une profession, pour commencer à gagner ma vie donc, c’était un long chemin. Ses parents lui ont dit qu’elle perdait son temps avec ce monsieur-là. Et comme il y avait autour d’elle de jeunes officiers qui étaient des prétendants, on lui en a imposé un. On lui a dit qu’il fallait qu’elle choisisse. Alors j’ai connu ma première déception le jour où à un grand bal on lui a interdit de danser avec moi. Alors, j’ai bu toute la nuit. J’ai vu le ciel tourner au-dessus de ma tête. J’ai perdu l’équilibre. Et puis j’ai quitté la ville. J’ai pris le bateau jusqu’à Port-au-Prince en donnant dos à la ville. Je voulais plus la voir. C’était fini pour moi. Mais vous savez l’amour, c’est comme ça… J’arrive à Port-au-Prince, je suis déchiré, et je cherche la plus prochaine occasion pour revenir. L’autre n’étant plus là-bas, je voulais la voir en face, pour lui demander. TICKET/Le Nouvelliste : Première fois que vous avez fait l’amour ? Vous savez à l’époque, 13 - 14 ans, quand on arrive à maturité, on devient un homme, on le sait. Et les amis aussi qui ont le même âge que soi vous disent qu’ils sont en mesure de faire l’amour, ... Donc où aller ? Bien sûr, la route c’était les bordels de Carrefour. On prenait ce chemin pour faire nos premiers pas. TICKET/Le Nouvelliste : Premier poème ? C’est un poème que j’ai écrit pour Marie, cette femme que j’ai aimée. Mais je ne l’ai pas gardé. C’en était un mauvais. C’était un bel élan, mais un mauvais texte. TICKET/Le Nouvelliste : Première fois sur scène ? Dans une pièce classique. Andromaque. J’y tenais un petit rôle. Je crois que c’était celui d’un gendarme. Mais cela m’a foutu un trac terrible. Dans ce costume de soldat romain que je portais, personne n’arrivait à voir que c’était moi mais malgré tout, je tremblais énormément. Cela a été dur pour moi cette première épreuve de la scène. Et quand j’ai commencé par la suite à jouer Pilate, l’ami d’Oreste, dans Andromaque, c’est devenu quelque chose de plus sérieux. Mais il y avait toujours ce trac. Jusqu’à présent quand je suis sur scène je l’ai. Sauf que c’est devenu moins nuisible. TICKET/Le Nouvelliste : Première lecture ? C’était les Pierre Loti, Jules Verne avec « De la terre à la Lune », « L’école des Robinsons », ces romans que l’on trouvait à la bibliothèque du presbytère de Jérémie. Et puis, il y eut aussi Homère, quand je fus assez outillé pour le faire. Les classiques. J’ai beaucoup aimé les Romantiques. Lamartine, Musset, Vigny. De plus, au fur et à mesure, tu es orienté par d’autres personnes, des aînés qui te recommandent d’autres choses. Je découvre ainsi Paul Eluard, Louis Aragon aussi. TICKET/Le Nouvelliste : Premier diplôme ? Celui du Petit Conservatoire. C’est le seul que j’ai obtenu. Après mon bac, je vais m’inscrire en droit et en Sciences économiques, en même temps. Je naviguais entre les deux, mais je n’ai jamais pu faire ni l’un ni l’autre. Je ne suis devenu ni avocat, ni économiste. Mais j’ai choisi le théâtre. J’ai travaillé à New York dans ce domaine, dans l’enseignement aussi parce qu’il y a eu un programme bilingue pour les Haïtiens et les Africains, les Canadiens, bref, les francophones, pour les aider à s’adapter au système américain. J’ai un peu enseigné dans les high school aussi. TICKET/Le Nouvelliste : Premier texte écrit ? Après les premières expériences ridicules et mauvaises en poésie, ces textes à déchirer, à foutre à la poubelle, le premier bon texte que j’ai écrit est un texte d’amour : Balai d’ombres. Même les aînés d’Haïti Littéraire m’ont dit que c’en était un bon. Donc cela m’a mis en confiance et m’a aidé à continuer. TICKET/Le Nouvelliste : Première pièce ? A New York. Quand on a fondé la troupe Kouidor, on n’a pas voulu faire le même théâtre que l’on faisait en Haïti, parce que, même s’il y avait beaucoup de pièces, c’étaient de très mauvaises. « Boisrond Tonnerre », « La Crête-à-Pierrot » ce sont celles du genre qui étaient à l’affiche. Mais on a décidé de faire autrement. Il y avait Franck Fouché qui commençait à écrire pour le théâtre ; c’était très politique. Donc on ne pouvait pas encore les jouer en Haïti. Ce n’est que par la suite que la troupe va reprendre certaines pièces de Franck Fouché, notamment « Bouki nan Paradi », « Bawon Lakwa ». Et moi donc, je vais écrire ma première pièce pour Kouidor. Cela s’appelait « Puits errants ». C’était mon premier dialogue pour le théâtre qui durait 30 minutes. L’année d’après, je produisais « Mémoire d’un balai ». TICKET/Le Nouvelliste : Première prestation d’acteur ? Au Conservatoire. Mais c’est à Kouidor que j’apprends vraiment à jouer. A sortir du théâtre classique. J’apprends à utiliser mon corps autrement, sous la direction de Hervé Denis. C’était toujours des rôles de jeunes premiers, mais j’ai appris à déformer mon corps, à ne pas avoir peur, à être laid sur scène comme il me le demandait. TICKET/Le Nouvelliste : Premier séjour en prison ? Je n’ai jamais fait la prison. Cela a pourtant failli m’arriver à Jérémie. Alors, c’était toujours dans l’environnement de Marie. Dans mon désir de retourner à Jérémie, je demande à des amis qui faisaient du théâtre à Port-au-Prince de venir jouer à Jérémie pour une manifestation culturelle. Je suis rentré d’abord à Jérémie pour faire les préparatifs. Mes amis devaient arriver plus tard. Au jour fixé, quand je les ai vus s’amener par bateau, j’ai couru à leur rencontre. Mais il y avait un cordon qu’il ne fallait pas dépasser. Dans mon empressement à aller les accueillir, je l’ai franchi. Il y avait un sergent qui était là. C’était sous le régime de Duvalier. On ordonne de m’arrêter. Je me retrouve menotté. Le sergent me conduit en direction de la prison. Mais en cours de route, il y a un ami de mon père qui nous voit. C’était un notable de la ville. Il sort son bâton et assène un coup de bâton au sergent. « Lage ti bon nonm nan, pa betize w avè m », dit-il. Voilà comment je n’ai pas eu le temps d’arriver à la prison. TICKET/Le Nouvelliste : Premier exil ? C’était étouffant en Haïti. On essayait clandestinement de travailler, mais on n’y arrivait pas vraiment. Donc je pars pour New York pour deux raisons. D’abord, il fallait que j’aille travailler et ensuite, parce qu’ on ne pouvait plus rien faire ici, ni dans le théâtre, ni dans la poésie. Et quand on a décidé de faire du théâtre à New York, face à la situation qui existait en Haïti, on avait choisi de faire un théâtre très politique, qui dénonçait ce qui se passait en Haïti. Du coup, tu as ton nom sur la liste noire. Tu deviens un exilé. Tu ne peux pas rentrer. Tes parents s’inquiètent, puisque cela peut attirer des représailles sur la famille. TICKET/Le Nouvelliste : Premier succès littéraire ? C’est venu progressivement parce que sous l’œil des aînés on a su que certains textes étaient potables, bons. Arrivé à New York, je continue dans l’écriture. Le cercle d’amis accueille cela très bien. On se sent en confiance, on va plus loin. En Haïti, quand j’ai entendu mes textes dits par François Latour et Charles Alexandre Abélard à la radio, j’ai pensé « bon, ce n’est pas mauvais ce que tu fais. A ce moment, c’était avec « Balai d’ombre, Magdala, A la belle étoile », ce genre de textes qui passaient à la radio lors des émissions pour les jeunes auteurs. TICKET/Le Nouvelliste : Premier prix décroché ? Est-ce que j’ai décroché des prix ? Non ? Je n’en ai pas le souvenir. Je crois que Daniel Marcelin m’a décerné une plaque honorifique pour mon travail dans le théâtre et a baptisé une des salles du Petit Conservatoire « Salle Syto Cavé ». TICKET/Le Nouvelliste : Première conférence ? J’en ai eu pas mal. Je me souviens à New York, on en faisait beaucoup à Columbia dans le cadre de Kouidor. Des conférences sur des auteurs de la négritude, Léon-Gontran Damas, Aimé Césaire, TICKET/Le Nouvelliste : Première participation à Livres en folie ? Cette année. TICKET/Le Nouvelliste : Premier salon du livre ? Je crois que c’est au Canada lors du Salon du livre de Montréal, il y a peut-être deux, trois ans. Mais je n’en ai pas l’habitude. Je n’y suis pas invité. C’est tant mieux et c’est bien. TICKET/Le Nouvelliste : Première polémique ? Je crois qu’on avait mis sur pied, un petit club, un petit cénacle littéraire avec Bérard Sénatus, Pierre Michel, etc. Donc on avait déjà nos points de vue, nos tentatives de créer, de trouver une nouvelle piste après Haïti Littéraire, d’avoir notre mot à dire dans le champ littéraire. Face à nous, il y avait un autre groupe qui s’appelait Hounguénikon avec Gérard Camfort Jean Max Calvin, Roger Aubourg. Et, souvent, cela chauffait entre nous. Des polémiques terribles. Des prises de gueule qui passaient à la radio, dans les journaux, ou bien à haute voix, publiquement. TICKET/Le Nouvelliste : Première bagarre ? Dans les années 60, au lycée Alexandre Pétion. Avec un camarade de classe, mon ami. Il y a une friction entre nous. Il y avait des jeux assez violents qui se faisaient dans la classe. Et puis on s’est fâchés. On a pris rendez-vous sur la cour de recréation, on s’est battus. Au premier combat, je l’ai battu. Mais le lendemain, il réclame sa revanche. Il me bat à son tour. Moi, je ne suis pas content de cette défaite, donc rendez-vous au Champ de Mars. On a passé l’année entière à se battre. On est restés ennemis pendant toutes nos classes secondaires au lycée Pétion et même plus, car on s’est perdus de vue. Moi, j’étais parti pour New York et lui pour l’Allemagne. Quand on s’est revus plus de 30 ans plus tard, voilà Port-au-Prince, on est tombés dans les bras l’un de l’autre et cela a été une chose extraordinaire. TICKET/Le Nouvelliste : Première voiture ? J’ai toujours voulu apprendre à conduire, mais mes parents n’étaient pas en mesure de m’en acheter une. Mon oncle en possédait une, et j’ai essayé de faire une connexion directe, comme on dit, pour la faire partir sans clé. Bien sûr, je ne savais pas conduire. Avec mon copain, on a failli mourir. On est rentré dans un mur, on a failli heurter des gens. On a eu une fessée pour cela. Je crois que c’est quand je suis parti pour New York, j’ai essayé d’apprendre à conduire avec des amis. Mais je n’avais pas de permis. Quand je suis revenu en Haïti en 1982, avec ma femme on a acheté une voiture. Elle conduisait puisqu’elle avait sa licence. Et je me disais, ce n’est pas possible qu’elle soit la seule à conduire. Et un jour, je suis sorti, sans permis. Et je réalise que je peux conduire. Je ne me rappelle pas quelle marque, mais c’était une voiture japonaise automatique, qu’on avait achetée, à 2000 dollars, d’un monsieur qui louait des voitures. TICKET/Le Nouvelliste : Premier travail ? Chez Nodé, dans les produits pharmaceutiques. Il y avait la maison Nodé à la rue Pavée. Après le bac, j’étais à l’École de droit, mais il me fallait quand même gagner ma vie. Il y a un cousin qui était démarcheur de produits pharmaceutiques, il m’a dit : « Écoute, je vais te faire embaucher là-bas. Tu vas y travailler. Tu feras les fiches de vente, l’inventaire des marchandises... ». Nodé m’a tout de suite embauché, me disant que j’étais le benjamin de la famille. J’avais droit à 200 gourdes par mois, me promettant qu’après trois mois, il me donnerait une augmentation. Augmentation que je n’ai jamais eue ! 200 gourdes à l’époque, c’était beaucoup. Mais en même temps c’était peu, parce qu’on avait des responsabilités. Il fallait, à la fin de l’année, acheter des cadeaux pour la belle, pour les parents, enfin, faire quelque chose. Puis, il fallait sortir aussi, aller au bal, au cinéma. Travailler implique tout cela aussi ; ta vie change, tu as des obligations envers toi-même, envers tes relations, ta famille. Il faut ramener quelque chose à la maison… A côté des produits pharmaceutiques, chez Nodé, on vendait de grosses boîtes de chocolat. J’en achetais donc à crédit… et je ne remboursais jamais ! Je considérais cela comme l’augmentation promise. Je me suis dit que l’augmentation que je n’ai pas eu après trois mois -puisque j’ai passé près d’une année là-bas,- je l’ai eue en chocolats et en bonbons de toutes sortes. TICKET/Le Nouvelliste : Premier gros chagrin ? Les chagrins voyagent avec moi. Je ne suis pas resté à Marie, mon premier amour. Elle a fait son chemin. Et moi j’ai eu d’autres femmes. Or l’amour vient toujours avec son poids de douleur et de bonheur aussi. Il y a eu tout cela. J’ai navigué entre des moments de grands chagrins et des moments de joie inouïs. Cela m’a maintenu en vie. Cela m’a permis de dire que l’amour est toujours possible. Toute ma vie le ressent. Même si on échoue avec une femme, ou qu’on est rejeté par une femme, ou qu’on se comporte mal, mais au bout du trajet, à un tournant, dans un carrefour, sous un lampadaire, on rencontre une femme et puis on se dit : « Mais elle a le visage de l’amour ». Et tout recommence. TICKET/Le Nouvelliste : Premier mariage ? C’était avec la mère d’Alan, Yannick Jean, que j’ai beaucoup aimée. Je suis tombé fou amoureux d’elle. Elle assistait à une répétition de théâtre au Petit Conservatoire où je jouais le rôle de Rodrigue dans « Le Cid ». A la fin, elle m’invite à son anniversaire. C’était jusqu’à Delmas, moi j’habitais à la rue Capois. Je pris la route à pied, avec une boîte de bonbon Ritz sous le bras comme cadeau… c’était tout ce que je pouvais offrir. Elle m’accueillit dans un style assez bruyant. À la Brigitte Bardot. Entre elle et moi, cela avait été une grande histoire d’amour. C’était vers les années 1964, ou même avant, parce qu’on s’est aimés pendant des années… Et lors même que je ne fus plus chez Nodé (parce qu’elle venait me voir là, Yannick avait une amie qui nous permettait de nous voir chez elle. On allait s’embrasser là) on a décidé de se marier. Yannick était tombée enceinte. À ce moment-là, je me suis dit qu’il faut partir. J’ai pris la décision que je n’aurais jamais cru de ma vie, celle que j’avais toujours refusée : j’ai dû partir avec Yannick ! Donc on s’est retrouvés à l’étranger, à New York, en 1966. Quelques mois après, Alan était né prématurément avec trois livres et demie. Une grosse responsabilité, puisqu’il a fallu le garder dans un incubateur pendant trois mois, jusqu’à ce qu’il ait pris assez de poids. TICKET/Le Nouvelliste : Première infidélité ? C’était pendant ma relation avec Yannick. J’étais à New York. Ça n’allait pas entre nous, cela s’était cassé, effrité entre nous. Je crois aussi que c’était l’ambiance de New York. On s’est séparés une première fois. Et en au cours de route, j’ai revu Marie. Ah ! Donc je retrouvais le premier amour, l’amour d’enfance. J’ai hésité. Mais c’était toute l’enfance qui revenait. J’avais encore les yeux de l’enfance pour elle ! Et donc, il y a eu cette infidélité. Après, je me suis dit que tout cela aurait dû rester dans l’enfance, n’appartenir qu’au passé, car chacun de son côté, on avait fait d’autres choix. Je suis retourné vers Yannick. On s’est séparés à nouveau. Puis elle a décidé de rentrer en Haïti rejoindre ses enfants, Alan et Ti Syto, mon deuxième fils. Elle voulait avoir une fille, mais on a eu d’abord deux garçons. Puis, finalement, Gaëlle, la fille qu’elle voulait, est arrivée. Encadré Drôles de questions à Syto Cavé TICKET/Le Nouvelliste : Les questions que l’on ne vous pose jamais ? Pourquoi j’ai ce ventre ? Comment ai-je pu devenir si vieux aussi vite ? Et si je devrais y répondre, je dirais que je suis moi-même surpris d’être victime de cela. Un jour je vais devant mon miroir et je ne rencontre plus le même homme. TICKET/Le Nouvelliste : Les questions auxquelles vous ne voulez jamais répondre ? Les questions bêtes et ridicules. TICKET/Le Nouvelliste : Les questions que vous aimeriez que l’on vous pose ? Les questions de justice, de paix, d’amour, de reconquête de nous-mêmes dans notre espace à nous. Le rêve de construire vraiment un pays. Donner un visage à ce pays, parce que ce pays le mérite et nous pouvons le faire. Et là, je crois que ce serait un lieu de rencontre autour de cela, un lieu de paroles vraies, sincères et puis recréer Haïti.

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