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Faut-il vendre des armes à l’Iran ?

mercredi 8 juillet 2015

L’Occident refuse de lever l’embargo sur les armes qui frappe la République islamique, même en cas d’accord. Pour ne pas heurter Israël ni l’Arabie saoudite

Un « problème majeur » de dernière minute pourrait faire échouer les épineuses négociations sur le nucléaire iranien. En cas d’accord final avec l’Iran, les grandes puissances (le « groupe des 5 + 1 » : États-Unis, France, Royaume-Uni, Allemagne, Russie et Chine) pourraient refuser de lever l’embargo de l’ONU sur les armes à destination de la République islamique. Adoptée en 2010 par le Conseil de sécurité en raison des activités nucléaires suspectes de l’Iran, la mesure vise notamment les ventes d’armes lourdes telles des chars de combat, des hélicoptères d’attaque, des navires de guerre, des missiles et autres lanceurs de missiles.

« C’est un sujet très politique qui se joue entre ministres », confie une source diplomatique occidentale participant aux négociations. « Ce point pourrait faire capoter les négociations, mais tous les protagonistes le comprennent assez bien. » Que disent les Iraniens ? D’après eux, l’embargo de l’ONU sur les armes étant lié aux activités nucléaires de l’Iran, il serait par conséquent logique qu’il soit levé en même temps que les autres sanctions onusiennes (interdiction d’importer du matériel pouvant servir au programme nucléaire, sanction contre des particuliers, entités et banques iraniennes soupçonnées de financer les activités de l’Iran).
Faire attention au message envoyé » (diplomate occidental)

« Il s’agit tout d’abord pour Téhéran d’une question de souveraineté nationale », explique François Géré, directeur de l’Institut français d’analyse stratégique (Ifas). « À plusieurs reprises, les Iraniens ont fait part de leur volonté de moderniser leur arsenal et de continuer à développer leur programme de missile balistique. » D’autant que Téhéran est déjà frappée depuis 1984 par un autre embargo sur les armes - cette fois exclusivement américain - relatif au soutien de la République islamique à des mouvements terroristes. En obtenant la levée de l’embargo, la République islamique compte bien rattraper son retard en termes d’armement conventionnel dans la région.

Côté occidental, on affirme comprendre la logique iranienne. « L’embargo sur les armes n’est pas directement lié au programme nucléaire iranien, et a été ajouté comme un moyen de pression », admet une source diplomatique occidentale. « Mais il faut faire attention au message que l’on envoie. Il serait assez obscène de régler la question du nucléaire tout en autorisant l’Iran à récupérer l’argent et la capacité d’importer et d’exporter des armes. »

Pressions saoudienne et israélienne

Ce n’est pas à Vienne, théâtre depuis deux semaines de négociations acharnées entre Iraniens et Occidentaux, qu’il faut chercher les plus grandes réticences à la reprise du commerce des armes vers l’Iran. Mais en Arabie saoudite et en Israël, les deux grands rivaux régionaux de la République islamique, vent debout contre un accord qui autoriserait Téhéran à conserver son programme nucléaire, d’autant plus qu’il lui permet de retrouver des liquidités.

« Pour les Occidentaux, ce n’est pas une question de justice, mais de politique », analyse Ali Vaez, spécialiste de l’Iran à l’International Crisis Group. « De nombreuses pressions sont exercées sur eux afin que l’Iran ne puisse pas utiliser les dizaines de milliards de dollars relatifs à la levée des sanctions pour acheter des armes et se renforcer au Moyen-Orient. » En effet, en dépit des sanctions qui frappent la République islamique depuis 2007, l’Iran a continué d’avancer ses pions dans la région, devenant même aujourd’hui le principal pays étranger à combattre l’organisation État islamique en Irak.

Deux poids deux mesures des Occidentaux

Profitant des conflits en Syrie, en Irak ou au Yémen, l’Iran chiite a renforcé l’axe Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth par le biais de ses alliés régionaux : le gouvernement irakien et les milices chiites, le régime syrien de Bachar el-Assad ainsi que le Hezbollah libanais, considéré comme une organisation terroriste par les États-Unis et l’Union européenne. « L’Iran continue d’aider ces mouvements, car il voit qu’il est encerclé par les bases américaines », rappelle l’expert Ali Vaez. « En termes d’armement conventionnel, Téhéran est surpassé par tous ses voisins arabes sunnites alimentés par l’Occident et est exclu de surcroît de tous les accords sécuritaires régionaux. Or, lorsqu’on est isolé, la seule politique viable est asymétrique : il s’agit de soutenir vos alliés, loin de vos frontières, pour dissuader vos ennemis de vous attaquer. »

Pendant ce temps, les adversaires de l’Iran - les pétromonarchies du Golfe et Israël - continuent à dépenser des milliards de dollars en armement. « Les États-Unis vont continuer à vendre massivement aux pays arabes à titre de protection, notamment s’ils n’ont pas confiance en l’accord sur le nucléaire », prédit François Géré, pour qui une levée de l’embargo iranien ne « déstabiliserait pas la région mais s’inscrirait davantage dans un processus de course aux armements ». Ainsi, en réaction à l’annonce d’un diplomate américain selon lequel les « restrictions sur les armes et les missiles » vers l’Iran seraient maintenues, le politologue Trita Parsi, président du Conseil national irano-américain (une ONG défendant les intérêts de la communauté irano-américaine, NDLR), a tweeté les chiffres de ventes d’armes de l’Arabie saoudite et de l’Iran. Et le verdict est sans appel : en 2012, la pétromonarchie wahhabite a dépensé 56,5 milliards de dollars, contre 10,6 milliards à la République islamique (en dépit du double embargo qui la frappe, NDLR).


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