MosaikHub Magazine

28 juillet 1835. Louis-Philippe réchappe par miracle au carnage de la machine infernale de Fieschi.

mardi 28 juillet 2015

Pour assassiner le roi, le petit corse de 44 ans a bricolé une mitrailleuse avec 25 canons de fusils juxtaposés.

Le 28 juillet 1835, Paris en fête célèbre le cinquième anniversaire de la Révolution de juillet. Une foule immense se presse sur le boulevard Saint-Martin pour voir passer la Garde nationale menée par le roi Louis-Philippe accompagné de ses trois fils. Il arbore la mine satisfaite d’un Hollande persuadé d’avoir jugulé la crise... Au troisième étage du n° 50, un petit homme au regard noir jette un coup d’oeil à travers la jalousie. Sa figure fermée arbore le rictus de celui qui prépare un mauvais coup. L’homme est petit, moins d’un mètre cinquante, cheveux châtains, menton rond, yeux bruns. C’est un Corse. S’il se fait appeler Girard, mais son véritable nom est Giuseppe Fieschi. Il passe une dernière fois en revue la machine infernale qu’il a fabriquée avec génie : vingt-cinq canons de fusil juxtaposés et finement ajustés pour balayer le boulevard sur douze mètres de largeur et trois de hauteur. Il en est fier. Grâce à son courage, à son génie, dans quelques minutes la monarchie sera décapitée. Encore plus jouissif que de descendre un préfet en Corse ...

Le terroriste baisse un chouïa les canons pour que la foule situés face à sa fenêtre soient moins exposés à la mitraille. On a tous nos faiblesses... Le temps s’étire indéfiniment. Le roi bourgeois arrive enfin à la hauteur de la fenêtre. Sans hésiter, Fieschi approche une allumette phosphorique de la traînée de poudre qui court à la hauteur des lumières des canons. Une terrible explosion retentit. Une fusillade monstrueuse déchire l’air. Une pluie de balles et de projectiles métalliques arrose la tête du cortège. C’est un carnage. Autour du roi, plusieurs officiers-généraux chutent de cheval, frappés à mort, notamment le général Mortier. Le pavé est rouge de sang. Par miracle, Louis-Philippe s’en tire indemne, la joue simplement éraflée par une balle. Le dauphin et ses deux frères échappent également au massacre. La foule postée face à la fenêtre, elle, a morflé : deux hommes et une fillette s’écroulent, mortellement blessés. Le bilan final s’élève tout de même à treize tués sur le coup et de nombreux blessés.

Fieschi en sang

Après quelques secondes de stupeur, la foule pousse un hurlement de frayeur. On se précipite sur les morts et les blessés. La plupart sont transportés jusqu’au café Turc tout proche pour y recevoir les premiers soins. On cherche des matelas pour les étendre. Un général, touché à la tête, râle avant de rejoindre son créateur. Le roi et le cortège reprennent leur marche pour s’éloigner au plus vite du lieu de l’attentat, laissant les gardes nationaux chercher l’origine de la fusillade. Pas compliqué : une fumée épaisse s’échappe du troisième étage du n° 50. Les deux premiers sont occupés par un marchand de vin. Depardieu, qui en ressort en titubant, crie son innocence.

La maison est aussitôt cernée. Les gardes enfoncent la porte du troisième. Ils y trouvent Fieschi en sang, qu’ils n’ont aucun mal à maîtriser. L’homme a la gueule fracassée, le front ouvert, le flanc sanguinolent. Trois des vingt-cinq canons de fusil ont explosé, le blessant cruellement. On le presse de questions, mais il est incapable de parler. On prend le temps de le panser avant de le faire descendre au deuxième étage où le procureur du roi, assisté de deux commissaires, entame déjà son enquête, recueillant les dépositions. Fieschi est jeté sur un matelas pour être interrogé, mais il ne peut répondre que par signes. Il parvient tout de même à donner son nom d’emprunt : Girard. Il souffre cruellement. Il fait signe qu’il a soif, se plaint par gestes d’un courant d’air.

Fieschi est rapidement transporté au poste de police du Château d’eau. On pense alors à le fouiller. Sur lui, ses gardiens trouvent un paquet de poudre, un couteau à manche de corne, une paire de lunettes vertes, une montre, quelques pièces et, surtout, une arme étonnante : un fléau constitué d’un manche et de trois cordes à l’extrémité desquelles une lourde balle de plomb est attachée. C’est l’arme favorite de Fieschi, empruntée aux Chouans et avec laquelle il comptait se frayer un chemin pour s’enfuir.

Un aventurier paranoïaque

L’attentat commis par Fieschi fait, au total, dix-huit morts et une vingtaine de blessés sévères. Ses deux principaux complices sont arrêtés dans les jours qui suivent. Le premier est un militant républicain nommé Pierre Morey, affilié à la Société des droits de l’homme, une organisation interdite depuis deux ans. Fieschi le considère comme son bienfaiteur, car il l’a recueilli deux mois chez lui quand il était dans la dèche. L’autre comparse est également un républicain, répondant au nom de Théodore Pépin. Il est le financier de l’attentat. En fait, Fieschi n’est pas plus anarchiste, comme on a pu le dire, qu’Hollande n’est de gauche... Il n’est mu que par l’argent et la gloire. C’est plutôt un aventurier paranoïaque, mégalomane et insolent. Bricoleur de génie, il a proposé aux deux autres de concevoir une machine infernale capable de rayer de la surface de la Terre Louis-Philippe et ses mioches. Et le plus surprenant dans cette histoire, c’est que Fieschi a oeuvré durant plusieurs années comme espion au service du roi !

La vie de Giuseppe Fieschi mériterait un film. Il naît en 1790 à Murato dans une misérable famille de bergers corses. À 16 ans, il s’engage dans l’armée napoléonienne, faisant preuve de bravoure au combat, notamment durant la campagne de Russie contre les cosaques. Cela lui vaut plusieurs médailles. Passé au service du roi de Naples Joachim Murat, il se distingue avant de le trahir en livrant des renseignements aux Autrichiens, sans doute pour de l’argent. Du coup, battu, Murat doit fuir Naples. Et lorsque, plus tard, il lance une expédition pour reconquérir son trône, Fieschi le trahit à nouveau (voir l’éphéméride du 13 octobre). Après la guerre, Fieschi revient en Corse pour se faire condamner à dix ans de réclusion pour vol. À sa libération il devient drapier, monte à Paris, puis devient instructeur à la baïonnette. Grâce au piston d’un certain Lavocat, lieutenant-colonel de la Garde nationale, il est durant trois ans un espion du préfet de police, qu’il renseigne sur les sociétés républicaines. Le plus incroyable, c’est qu’il parvient ainsi à dénoncer plusieurs tentatives d’assassinats contre le roi.

Son monde s’écroule quand le préfet change, car le nouveau ne fait plus appel à lui. Le voilà délaissé. Son ego en prend un sacré coup. Il se sent bafoué, mortifié. Au même moment, sa compagne le rejette. Il se met à fréquenter les tripots, monte des combines avec Thomas Fabius... Il perd son emploi de drapier pour avoir détourné de l’argent qu’il a joué au casino. Il est recherché pour usage de faux, il se cache. C’est alors que Pierre Morey vient à son secours en acceptant de l’abriter. Fieschi est ainsi mis au courant du projet de son protecteur et des membres de la Société des droits de l’homme d’assassiner Louis-Philippe. Il fait l’intéressant, prétend être capable de fabriquer une machine infernale composées de 25 fusils. Théodore Pépin finance l’achat du matériel, la location de l’appartement boulevard Saint-Martin. Des essais de mise à feu de la poudre sont faits dans le cimetière du Père-Lachaise. Un complice passe même à cheval sous les fenêtres de l’appartement du boulevard Saint-Martin pour régler la hausse de la machine infernale. Un émissaire d’al-Qaida vient les conseiller...

Il réclame la mort

Après l’attentat, Morey était supposé attendre Fieschi à proximité pour lui remettre un passeport afin de faciliter sa fuite. En fait, le bonhomme avait à dessein bourré trois canons de chevrotine et de divers projectiles pour provoquer leur explosion et la mort de Fieschi, histoire d’éliminer un témoin gênant. Le 30 janvier 1836, après plusieurs mois d’instruction, s’ouvre le procès de Fieschi et de ses complices. L’homme reconnaît les faits avec outrecuidance. Il fait le beau. Il est à son affaire. Il se pavane. Il regrette que Harry Roselmack ne soit pas là pour l’interviewer dans son émission Sept à huit... Tandis que Morey et Pépin plaident l’innocence, lui réclame la mort. Tous trois sont condamnés à la guillotine. Le jour fatidique, le petit Corse marche bravement à la mort. C’est son jour de gloire. Il s’est fait relooker par Christina Cordula sur M6. Dès trois heures du matin, la foule se précipite vers la barrière Saint-Jacques où l’échafaud est dressé. La circulation des voitures, charrettes et diligences devient impossible. Environ 25 000 Parisiens trépignent d’impatience.

Fieschi et ses deux complices sont tirés de la prison du Luxembourg à 7 h 30 du matin. Chacun a droit à sa voiture particulière. Elles sont encadrées par une soixantaine de gendarmes et de gardes municipaux. Fieschi est fier comme un paon de son succès, et excité comme une puce. Sur son passage, Hanouna et toute la bande de Touche pas à mon poste font la danse de la sardine... Environ 6 200 hommes à pied et à cheval sont déployés autour de l’échafaud et sur le parcours pour éviter tout débordement. La foule fait silence à l’arrivée des trois condamnés. Papin est le premier à faire connaissance avec la lame fatale. Il s’écrie : "Je meurs innocent. Adieu mes amis !" Morey le suit, tout aussi flageolant. C’est maintenant à la star du spectacle de présenter sa tête à la terrible machine. Avant de monter sur l’échafaud, il lâche : "Je regrette mes victimes plus que ma vie." Puis il grimpe les marches de l’échelle deux à deux. Un sourire sardonique flotte sur ses lèvres, copié sur celui de Cahuzac interrogé par les parlementaires... Pendant que les aides le ligotent sur la planche, il leur dit : "Messieurs, je vous assure que j’ai dit à la France toute la vérité et rien que la vérité. Dites que je suis mort avec courage." Le tranchoir s’abat sur le cou du petit Corse. Certains spectateurs voient ses lèvres bouger encore quelques secondes. Il entonnerait une dernière fois le Gangnam Style


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie