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4 août 1789. Héros méconnu de la Révolution, le vicomte de Noailles fait abolir les privilèges.

mardi 4 août 2015

C’est à l’initiative de ce noble désargenté, soutenu par le duc d’Aiguillon, que l’Assemblée constituante abolit les privilèges.

Ô monde injuste et cruel ! De la Révolution française, la mémoire populaire ne retient que Mirabeau, Robespierre, Danton, Desmoulins, Fouché ou encore Marat. Mais qui se souvient du vicomte de Noailles ? Personne, ou alors les fayots qui se sont jetés immédiatement sur Wikipédia... Or, cet aristocrate jusqu’à la moelle des os joue un rôle fondamental dans le changement de régime. Sans lui, les nobles et les curés tiendraient toujours le haut du pavé ! Giscard continuerait à se faire offrir des diamants et Philippe de Villiers serait grand argentier du royaume de France...

Beau-frère de La Fayette et héros de la guerre de l’Indépendance américaine, libéral dans l’âme, c’est en effet Noailles qui, le 4 août 1789, sonne la charge de l’abolition des privilèges. D’un pas ferme, il monte à la tribune de l’Assemblée nationale constituante pour s’écrier, avec les trémolos de Mélenchon en moins : "Vous voulez arrêter l’effervescence ? Il faut satisfaire les paroisses rurales qui désirent moins une Constitution que l’abolition des aides et le rachat des droits féodaux avec la suppression sans indemnité des servitudes personnelles et l’égalité de tous devant l’impôt."

Il est gonflé, l’aristo : en préconisant la suppression des privilèges, il sape pas moins de mille ans de royauté. C’est qu’il y a urgence dans la maison. Un mois et demi après la prise de la Bastille, la France est au bord du gouffre. Même si le citoyen Hollande décèle des signes de reprise... Au nord, au sud, à l’ouest, à l’est, les paysans sont saisis d’une peur hystérique. Ils craignent un retour de manivelle, que les seigneurs leur envoient brigands ou soldats pour leur réclamer les anciens impôts qu’ils ne paient déjà plus. Et quand le paysan tremble, il prend les armes pour attaquer les châteaux et les brûler. Le tocsin répand la terreur dans les campagnes. Bientôt, le pays risque d’être à feu et à sang. La Constituante doit réagir. Immédiatement. Faut-il employer la force pour ramener le calme ? Ou faut-il sur-le-champ abolir ces centaines de servitudes et autres impôts injustes sans attendre la rédaction de la nouvelle Constitution ?

Assemblée électrisée

Le 3 août, l’Assemblée nationale constituante se réunit donc à Versailles pour faire son choix entre les deux options. La discussion générale tourne à la confusion. Les orateurs se succèdent sans qu’une majorité se dégage. Les bourgeois et les députés de la noblesse penchent plutôt pour l’usage de la force, tandis que les représentants du tiers état y répugnent. Quant aux curés, ils se taisent courageusement. Heureusement, il y a le "club des Bretons" (le futur club des Jacobins), rassemblant une centaine de députés, originaires majoritairement de Bretagne, qui décide de prendre les choses en main. Il compte dans ses rangs de nombreux aristos libéraux qui comprennent qu’il vaut mieux lâcher sur plusieurs points que d’assister à l’explosion de la cocotte-minute. Le club des Bretons se réunit en marge de l’assemblée générale et se met d’accord pour demander l’abandon des privilèges. Parmi les plus âpres à défendre ce point de vue, il y a le vicomte de Noailles et, surtout, le duc d’Aiguillon, qui est l’homme le plus riche de France après Louis XVI. Les partisans de l’abolition des privilèges décident d’intervenir vigoureusement à la tribune de la Constituante dès le lendemain.

Le 4 août 1789, rebelote, le millier de députés se retrouvent de nouveau à Versailles, vers 20 heures, pour écouter la proposition d’un comité ad hoc désigné la veille. C’est un avocat du nom de Guy Target, émule de Montesquieu, qui s’exprime. Il préconise la manière forte. L’imbécile. C’est alors que le vicomte de Noailles s’empare de la parole pour réclamer la fin de tous les privilèges. Son envolée lyrique électrise l’assemblée. On l’applaudit à tout rompre, on s’embrasse. Compte rendu du Courrier de Versailles à Paris du lendemain : "Les paroles de Noailles excitèrent un tel enthousiasme dans les galeries qu’une des personnes qui étaient présentes lui adressa sur-le-champ un quatrain qu’il répéta assez haut pour que tous ceux qui l’environnaient l’entendissent. Je ne me rappelle que les deux derniers vers : Un monstre nous restait : la féodalité/Abattu par Noailles, il hurle, tombe, expire."

Curée

C’est au tour du duc d’Aiguillon de s’exprimer. Il commence par remercier son prédécesseur : "Messieurs, je comptais faire ce qu’a fait Monsieur le Vicomte de Noailles ; il a prévenu ma démarche, j’ose croire qu’il n’a pas prévenu mes sentiments ni mon coeur. Je suis bien loin d’en être jaloux : je le remercie au contraire d’avoir été mon fidèle interprète." Puis il passe à son discours : "Le désordre n’est pas le fait de brigands mais du peuple, insurgé contre l’inégalité, l’arbitraire, l’iniquité des droits. Coupable mais explicable est l’attaque des châteaux. Pour l’arrêter, des sacrifices sont nécessaires et les droits féodaux, propriétés qui blessent l’humanité, doivent être rachetables, mais être jusque-là perçus."

C’est du délire dans la salle, les députés issus du tiers état applaudissent à tout rompre. Arlette Laguiller ses béquilles pour danser un french cancan endiablé sur le bureau du président... Dans la foulée du vicomte et du duc, les députés se disputent pour abolir chaque privilège. C’est la curée. Toutes les chaînes féodales volent en éclats. Au fil de la soirée, on décide l’abolition de la qualité de serf, des juridictions seigneuriales, de tous les privilèges et immunités pécuniaires, du droit exclusif de la chasse, des colombiers, des garennes. On décide également l’égalité des impôts, l’abandon de la dîme, l’accès libre aux emplois civils et militaires, la justice gratuite, la suppression de la vénalité des offices, la destruction des pensions obtenues sans titre...

Le duc de Liancourt court tenir Louis XVI au courant des débats. Celui-ci commente : "J’approuve tout ce que l’Assemblée nationale va faire, je m’en rapporte à sa sagesse et ses lumières, et surtout à ses vertus." Quelques jours plus tard, il change d’avis, refusant de ratifier les décrets de la Constituante mettant à bas tous les droits féodaux. Il ne s’y résoudra que violenté et forcé.

Toute une révolution

Le vicomte de Noailles ne s’endort pas sur ses lauriers. C’est un militaire, ne l’oublions pas. Ce qui l’effraie, c’est la désintégration de la discipline dans l’armée et, surtout, la multiplication des désertions. Le 13 août, devant la Constituante, il réclame l’établissement d’un comité pour réorganiser l’armée. Un mois plus tard, ce comité qu’il préside préconise la suppression du tirage au sort, la création d’une milice nationale répartie en 2 000 bataillons de mille hommes, l’ouverture à l’avancement sans condition de naissance. Toute une révolution. Quelques mois plus tard, il réclame l’abandon des titres de noblesse, l’égalité civile des Juifs, la diminution du traitement des ministres.

Le 26 février 1790, Noailles est même élu président de la Constituante. Mais le vicomte est plus tard victime de son frère aîné qui, ne partageant pas son feu révolutionnaire, émigre au lendemain de la fuite à Varennes. Il en devient, lui-même, suspect. Mais déjà l’ennemi attaque la France. Il est nommé gouverneur de Sedan, battu en mai 1792, il préfère démissionner d’une armée trop indisciplinée, puis s’enfuit en Angleterre après avoir été dénoncé comme beau-frère du marquis de La Fayette. Il s’installe à Philadelphie, d’où il apprend l’exécution de sa jeune femme. Après tous les services rendus à la Révolution ! Il ne revient en France qu’en 1802 pour servir Napoléon. Il meurt le 7 janvier 1804 à La Havane, grièvement blessé par un boulet sur le pont de son navire, lors de l’évacuation de Saint-Domingue. Ainsi disparaît un héros de la Révolution française...


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